Ça y est, vous vous dites, ça dégénère, ce blog devient graveleux, un type qui avait tant de qualités, quel dommage, c’est en train de virer pipi-caca son truc et en plus on s’en fout, on sait bien qu’non.
Faux. Les profs sont des estomacs comme les autres.
Et aussi aptes que chacun à faire retentir une corne de brume.
Mais pour nous et pour tous ceux qui exercent un métier public c’est un réel problème.
Mais contrairement aux autres, nous les profs, si par malheur nous nous livrons à un dégazage intempestif, les élèves ne manqueront pas de diffuser la nouvelle et bientôt votre contribution à l’effet de serre sera connue par les 600 élèves du collège, l’ensemble des profs, les parents d’élèves et la totalité du personnel administratif. J’suis même pas sûr qu’ça remonte pas jusqu’au ministre.
J’vous raconte pas comme c’est facile ensuite de traverser l’établissement avec une tranquille assurance en les voyant tous pouffer sur votre passage.
Par chance, la nature m’a doté de pets inodores.
(NDLA : à tous ceux qui sont en recherche d’emploi, n’hésitez pas à placer subtilement ce genre de détail sur votre CV, vous remporterez l’affaire à coup sûr. C’est vrai, c’est des petits trucs auxquels on pense pas.)
Et je lui en sais gré.
En fait je n’ai à gérer que le bruit.
Et vous imaginez bien qu’après tant d’années j’ai développé des techniques sans faille.
Mais le plus important c’est la perte d’autorité qui en résulte.
C’est toujours un poil délicat, aprés avoir émis un diapason pendant cinq longues secondes, de conserver le regard droit et fier, et de vaquer à ses occupations comme si aucun paquebot n’avait klaxonné dans la classe.
De feindre d’ignorer que vous êtes l’épicentre des légères vibrations qui en résultent et qui secouent imperceptiblement les bureaux.
De contenir en serrant les fesses les répliques inévitables qui s’annoncent et qu’il va bien falloir gérer à un moment ou un autre.
De laisser découvrir à vos élèves que vous êtes un humain.
De passer outre le fait qu’ils ont cessé immédiatement toutes leurs activités et que pointe vers vous une bonne trentaine de regards interrogateurs et qu’ils n’auront de cesse tant qu’ils n’auront pas eu une explication claire et franche.
On remarquera au passage qu’aucun n’ose commenter la déflagration car, ils le sentent bien, on est dans un domaine extrêmement sensible, de l’ordre de l’intime, et que l’humiliation ressentie par le prof pourrait déboucher sur une colère qui le rendrait incontrôlable.
Mais comment réagir.
En fait vous avez deux solutions :
Reconnaître les faits, prétexter une maladie grave, un manque de concentration ou autre, et s’excuser.
Ou feinter.
Et là, le plus simple, c’est d’accuser un élève. C’est parfaitement dégueulasse mais je vous rappelle qu’il en va de l’autorité du prof, et qu’il est bien normal de sacrifier un élève sur l’autel de l’ordre scolaire.
Les incas le faisaient bien eux.
Pour être franc, ça m’est arrivé une seule fois(*).
La classe est devenue anormalement silencieuse, comme figée.
Ils me regardaient tous et n’attendaient qu’un mot pour se livrer à une franche rigolade.
Intérieurement ça m’amusait, certe, mais je me suis bien gardé de leur dire.
Je suis resté impassible. Stoïque.
Mon regard a parcouru la classe, très lentement, tel Clint Eastwood dans Pale Rider et j’ai simplement dit :
— Si y’en a un qui fait une remarque…
Mais mon rire intérieur, sans doute sous la pression des gaz, sortit de sa cachette et j’amorçai un léger sourire.
Ce fut le signal de départ d’une poilade fameuse et générale dont le souvenir m’émeut encore aujourd’hui.
Il est vrai que leur chahut fut un peu bruyant.
Mais j’en profitai pour finir d’égrener la suite de mon chapelet.
* Si c’est vrai.