Le cas Benjie

Parmi les 6e4, y’en a un qu’est vraiment rigolo, c’est Benjie.
C’est vrai.

La première chose qu’on remarque chez Benjie, c’est qu’il court tout le temps.
Franchement, j’l’ai jamais vu marcher ce gamin. À l’age où les enfants apprennent à marcher, ben lui, il a appris à courir.
Alors des fois, depuis la salle des profs, par la fenêtre, je le regarde. Alors y part d’un bout de la cour et y court à fond vers l’autre bout de la cour, et j’peux vous dire que ça vionze. Et y s’retourne, et zou, dans l’autre sens. J’croyais qu’il courrait après les filles, mais même pas.
Alors bien sûr, quand il arrive en classe, il est juste à peine trempé, et je lui demande pourquoi il est trempé comme ça, alors y m’dit :
— Ben pasque j’ai couru.
Qu’est-ce que je vous disais ??

Bon au niveau des résultats, y court beaucoup moins vite, et au niveau du travail y transpire beaucoup moins. Mais bon, en même temps, on peut pas courir partout.
C’est vrai qu’au niveau des notes, c’est pas vraiment ça, mais dès que je pose une question, c’est toujours le premier à lever la main. Pour dire une connerie, c’est vrai aussi, mais au moins, il est le premier à la dire. Pour vous donner une idée, si on reportait toutes les notes de Benjie sur un thermomètre, ben on se caillerait toute l’année.

Et puis, j’sais pas si les garçons naissent dans les choux, mais si c’est confirmé, pour Benjie, ça doit être un chou de Bruxelles, pasque dis donc, il est tout piti. Mais tout mimi aussi. C’que j’aime bien chez Benjie, c’est sa coupe de cheveux festive. C’est vrai, et fastoche à faire en plus, quelques coups d’oreiller pour le dessus, et pour les cotés, un p’tit coup de couette, et hop, nickel.

J’ai reçu les parents récemment, que d’ailleurs j’ai cru que c’était les grands-parents. Mais bon, moi, j’pose pas de questions, mais ils ont avoué d’entrée leur forfait, en disant que ben oui, ils étaient les parents.

C’est des choses qu’arrivent, c’est vrai. T’as eu trois gamins, qui sont grands maintenant, qui font leurs études à la ville, le grand est presque en ménage, et la vie s’écoule paisiblement, un peu de jardinage, quelques mots fléchés, et là, tout bascule.
C’est dimanche soir, tu regardes Drucker peinard, et tu vois une nana avec un méga décolleté, et d’un coup, tu sens comme une montée de sève, alors tu te retournes vers Georgette et tu lui dis que tu l’as toujours aimée, et que tu voudrais lui rendre hommage.
Alors Georgette, elle pose son tricot et elle fait :
— Ben… pourquoi pas.
Et là, ben vous savez c’que c’est, un peu d’empressement, un poil de précipitation, un zest d’emballement, un tantinet d’exaltation, enfin bref, bingo, la super cagnotte, et hop, un p’tit dernier pour la route.
L’accident de fin de parcours, comme on dit.
Ben l’accident il est là, il a onze ans, il balance ses pieds d’avant en arrière en se frottant le nez, et le papa de l’accident, il est là aussi, y taquine les soixante breloques, et la maman, le visage un rien défait, pasque bon, sont un peu dépassés les parents quand même, ben ouais, c’est qu’y gigote le truc-là.

Et c’est vrai qu’un truc pareil, ça vous dynamise une préretraite, ça vous tonifie un matin calme, parce que dès le réveil, ça tagaze déjà dans tout l’appart, même pas l’temps d’enfiler tes bas de contention qu’il réclame déjà sa pitance le moufiot, c’est qu’ça bouffe à c’t’âge, et qu’y demande déjà à sortir, alors que toi t’avais juste prévu de passer un p’tit coup de polish sur la voiture, et Georgette, de concocter une jardinière de légumes.
Alors ils m’ont dit qu’ils avaient tout essayé pour le calmer, le sport, le médecin et les médicaments, mais sans résultats. Et le papa m’a dit qu’ils lui avaient même acheté une console de jeu, pas vraiment pour lui faire plaisir d’ailleurs, mais pour le fixer, mais que dalle.
Alors on a bien rigolé.
Mais la maman elle a arrêté de rigoler pour dire qu’elle était crevée, et qu’elle partait en maison de repos.
Alors on a arrêté de rigoler, et Benjie il a regardé ses chaussures, je l’ai regardé, il m’a regardé, pis il a souri avec son air coquin, et il a baissé la tête, mais bon, en même temps, il y est pour rien lui, il fait son boulot de gamin.
Alors on a papoté, le papa a dit qu’il allait préparer les repas, que ça serait pas de la tarte, on a re-rigolé, benjie aussi, et ils m’avaient l’air bien potes tous les deux.

Et je les ai raccompagnés jusqu’à la porte, souhaité bien du repos à la maman, indiqué quelques marques de nouilles au papa, et je me suis retourné pour dire au revoir à Benjie.
Mais bon, fallait pas rêver, il était déjà loin.

42 réflexions sur "Le cas Benjie"

  1. Ah quand même!

    Il était temps hein!
    Bon,j’aime vraiment bien ce que tu fais… à te lire parfois, j’ai l’impression que c’est le Petit Nicolas, et qu’il aurait grandi, et serait devenu prof de techno…

  2. Pauvre petit Benjie, il me fait un peu de peine !!!
    En même temps, j’ai bien rigolé quand même !!!
    Beau texte, ça méritait qu’on attende un peu :)

  3. Et un petit verre d’alcool au goûter, ça le calmerait pas ce petit ?!
    Ou alors aux parents d’en prendre, ils se rendront plus compte de rien …

  4. Si je le croisais dans la rue ou pire, dans un espace clos, genre un bus, il m’énerverait prodigieusement ce gamin. Sauf que tu le dépeins si justement et si bien que ça me donne presque envie de le connaître
    Faut lui faire faire de l’athlétisme à ce loupiot!

  5. Y’en des qui se tatent, pis y’en a des autes qui courent.
    C’est ça qu’est chouette.
    y n’a des p’tits, pis aussi des grands.
    C’est pas pareil.
    C’est bien, on se lasse pas.

  6. souvenir

    Raaahh c’est marrant ce que tu raconte car moi j’en ai une de comme ça!! oui une…
    Elle court elle court… et pis l’autre fois (au début de l’année)en faisant la sortie dans la cour du collège ben elle a tellement courru que quand je lui ai dit de s’arrêter ben elle s’est prise le poteau.
    Poteau rentrant qu’on appel ça! sauf que la bosse elle est sortie et même qu’elle saignait et qu’elle pleurait.
    J’arrive pas à comprendre comment en étant si petit on peu faire autant de bruit.
    Après c’était marrant parce que ces camarades ben ils l’appelaient Zidan.
    Depuis elle court moins mais elle lève toujours la main en première même si c’est pour dire des bêtises.
    Finalement moi aussi je l’aime bien!!

  7. corrections

    elle courre elle courre (un peu comme la maladie d’amour)
    ses camarades (si on peut appeler ça des camarades)
    Depuis elle courre moins (elle aurait pas prise du poids..??)

  8. De mon temps, on se serait dit qu’il avait des vers….Il a quand même l’air d’être aimé, ce p’tit, c’est le principal.

  9. snif

    tu te rends compte que t’as failli me faire couler une larmichette là tout de suite?
    non en fait pas du tout jvoulais juste faire comme toutes lectrices qui t’adulent.

    Je te bisoute quand même cependant.

  10. Chouette une bonne surprise!

    Sympa le môme! Et puis c’est vrai que c’est pas humain l’école quand t’as la bougeotte comme ça! P’têtre que si tu lui mettais un tapis roulant dans la classe, avec devant une table où il pourrait écrire ou souder, il serait content…
    Sinon, merci pour les textes Grand Prince!:) Surtout ne change pas, on t’aime comme tu es: un vrai mufle qui n’en fait qu’à sa tête! ;)

    zib
    Roselyne

  11. Du grand Charly ;) La fin de l’année arrivera qu’on connaîtra toute la classe, et c’est tant mieux ! Après le drame Fanny/Brizouille et un peu de monsieur Sciences, parce que la techno ça reste scientifique comme matière, le cas Benjie — ton blog, c’est comme la salade niçoise, il y a de tout, et c’est tant mieux.

    Ah, et merci d’être passé sur mon blog :). Et pour suivre le mouvement général des gisquettes du coin, je te bizoute, va !

  12. Moi ton style, Charlie, me fait penser à « La guerre des boutons » avec Petit Gibus, Grand Gibus et toute la clique ^^ Une sorte de réminiscence à la Pagnol aussi, ça fleure bon les jours heureux, j’aime beaucoup!

  13. pov’ benjie

    Bien vu l’image du thermomètre…j’ai bien rigolé et effectivement vu sous cet angle ça pourrait cailler…
    Félicitations pour tes post & anecdotes qui me font passer un bon moment de lectures et dont j’imagines aisément tous les acteurs !
    Bises,

  14. Ah au fait…

    Question saugrenue et naïve de novice sur ce blog, mais ça veut dire quoi « gisquette » en fait? ça sort d’où? Ca fait référence à quoi?

  15. Benjie…

    … ça me rappelle un chien, je sais pas pourquoi.
    Très mignonne l’anecdote ! Et très drôle également, sans ça je ne commenterais pas…

  16. merci Charly

    Parfois en regardant ma classe, j’me dis que le Charly y pourrait nous faire une sacrée chronique sur mes zigotos. y’a le Dylan qui taille obstinément sur feutre avec son taille crayon, et pis le Kévin qui n’a toujours pas sorti ces affaires au bout de 25 minutes de cours. Sans oublier la Brenda qui n’a pas inventé l’eau chaude mais qui ferait une très bonne carrière dans la coiffure et le Valentin qui n’a toujours pas compris la différence entre l’histoire, la géographie, l’éducation civique mais aussi les maths, l’anglais et son cahier de brouillon. Alors à ce moment, j’me réveille et j’enlève mes mains du coup de Rodolphe, il retrouve alors cette douce couleur rosée qui le rend si humain et je reprend mon cours sur l’organisation de l’Empire carolingien.
    Merci pour tous ces moments Charly.

  17. J’ai le même !!! ….

    …Plus petit car il n’a que 5 ans mais une tornade à faire vibrer tous les éléments autour de lui. Alors cela me donne un avant goût de ce que je vais vivre dans quelques années !!! En fait ils sont pleins de vie ces marmots et c’est nous qui sommes à la traine alors forcément on se défend comme on peut …. LOL
    BISOUS

  18. Un salaud ! (suite à mon dernier commentaire), oui. mais vos 6e4 sont avec vous bien à l’ abrit.

    Portez vous bien

    Flo

  19. Ah, l’était moins rigolo ce billet. D’autant que je m’y suis vue dedans. Enfin presque…

    Quand j’étais loupiote je courais partout aussi, on m’appelait « la dératée » ou « speedy gonzales ». Benjamine d’une famille de trois filles, mes parents auraient préféré un garçon, c’est plus calme ils disaient…

    En général je finissais en eau, les joues rouges et brûlantes, les cheveux raides comme des baguettes de tambour. Je sais pas à qui j’en voulais mais j’ai pas réussi à régler mes comptes, encore aujourd’hui je ne sais toujours pas marcher calmement.

    Peut-être que je voulais prouver constamment que j’étais bien vivante et pleine d’énergie, et que ça valait la peine qu’on s’occupe de moi… chépa…

  20. Un régal ce texte plein de tendresse !… vous devriez vous interroger plus souvent !

  21. vive les coiffures oreillers

    Tous solidaires avec benjie pour sa coiffure !
    Je revendique en tant que prof jamais coifée !

  22. Faudrait lui faire faire de la natation à ce petit. Le mieux pour calmer les hyperactifs.
    Et pis si ça marche pas, on peut toujours le noyer comme ça.

  23. commentaire pas certifié sans fautes

    Joliment écrit, tout ça. (ça craint, y’a plein de profs ici et je les sens noter mon commentaire !!)

    Ce gosse me rappelle un gamin dans ma jeunesse, il etait tout calme tout le temps, et puis un jour, le malheur arriva, il glissa dans un puit et y resta au moins 24h… et depuis ce jour, il n’arrêtait pas de faire le tour de la cour de récré en courant, et en y ajoutant des bruits de mobylettes avec sa bouche…
    Le genre de ptit gars perturbé.

    Alors, j’ai combien à ma dictée ?

  24. Juste une petite faute à puits, me semble-t-il! Et encore, c’est une faute de frappe, non?

    Pauvre gamin, 24 heures dans un puits, ça doit être terrible aussi!

  25. tchou tchou

    ca me rapelles un gamin qui lui faisait la locomotive toute la journée dans la cour sur le chemin du collège et meme chez lui, il collectionnait tout sur les trains et maintenant dès qu’il a sa paye il se fait un paris— marseille ou autre….mais lui était très atteint, aucune communication avec les autres sauf quand il se faisait taper…. ton benjie c’est forrest gump…. il fera de grandes chose….

  26. Vous êtes doué aussi pour les séquences émotion.
    Chez nous, y’a aussi des Benji.
    Mais ce n’est pas qu’ils ont des parents un peu… âgés ?
    Non, ils ont des parents qué zaime bien boir run ti cou…

    Même résultat.

  27. J’ en ai eu un de Zébulon dans la famille. N’ empêche qu’ il a fini ingénieur. Il ne savait pas s’ asseoir pour manger, pour réciter ses leçons à sa maman, il n’ avait pas fini sa phrase qu’ il avait déjà fait 3 fois le tour de la pièce en sautillant. Ou il courait ou il sautillait. Tantôt l’ un tantôt l’ autre!
    Sa mère s’ épuisait, se plaignait qu’ elle allait attraper le torticolis, le tournis, la tremblante… Rien n’ y faisait, il en riait et repartait de plus belle.
    Sont exigeants je trouve ces parents et ces profs qui veulent des enfants parfaits alors que si leurs propres parents étaient là pour nous dire le passé de cet adulte qui a forcément été un enfant, hum, hein, y a sûrement de quoi méditer!

    Au fait, en cours de gym, j’ espère qu’ il est le meilleur de la classe, surtout à la course à pieds!

    Ben dis donc Charly, au fait, et toi, après qui ou quoi tu cours, hein?… … Ne me dis pas que cela ne t’ occupe pas 24h par jour… …

    Bizousss

  28. Bin moi je retiens bien la leçon, (pour plus tard), passé un certain âge, faut plus regarder Drucker en amoureux le dimanche soir!!!!!!!!!!! ;D

  29. Un vrai moment de tendresse doublé d’humour. Un régal ;)
    La métaphore du thermomètre est excellente :)

  30. bonjour,
    je découvre ton blog, et j’aime beaucoup!
    tu écris bien, c’est très drôle et criant de réalisme. J’espère avoir mon concours cette année pour pouvoir à mon tour raconter de telles choses;)
    Bonne journée

  31. Je parcours de temps à autres votre blog. Y a pas à dire, vous êtes un marrant, un brin insolent quand même. Mais là, je dois avouer, vous m’avez presque fait chialer avec Benjie. Continuez, c’est un poil salvateur !

  32. En tant que -je l’espère en tout cas— future prof d’EPS, un Benje comme ça ferait bien mon affaire pour des cycles d’endurance :-)

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