Lison de 6e4

Vous le savez chers lecteurs, j’ai un problème dans le traitement des punitions, ou plutôt dans leur attribution. Il semblerait que j’accorde le participe « puni » moins aisément en genre qu’en nombre.

Oui, je punis plus difficilement les filles.

Un vieux fond de courtoisie sans doute, la persistance d’une galanterie imbécile et surannée, incompatible avec l’application stricte des recommandations de Sainte Parité.
— Sainte Parité priez pour moi, pauvre pêcheur, et pardonnez à l’humble professeur défroqué que je suis pour cet écart en votre défaveur.
— Vas en paix Charly, tu fais tant pour les dames, je te pardonne.
— Merci ma Mère.
— Ma Sœur !!!! Goujat !!!

Bien que dans certains cas, je n’aie aucune hésitation. Comme lorsque Pitchoune traite sa voisine de chieuse par exemple. Mais là, c’est moins une sanction pour insulte de proximité que l’envoi du signe fort à son attention qu’elle en est une autre.

Lorsque pour la énième fois, Imad m’a informé que son cahier n’avait pas daigné l’accompagner au collège, l’abandonnant lâchement devant le portail pour aller on ne sait où, j’ai puni l’abandonné du jour avec tout un assortiment de conjugaisons.
Donc j’ai puni.

Normal, c’est le job.
Comme disent ces héros de films américains, visages burinés, mâchouillant et relax, et beaux en plus, après qu’on les ait chaudement félicités d’avoir dégommé une petite centaine de types à la kalachnikov.

Mais lorsque je me suis retourné, et que j’ai vu la main de Lison :
— Oui ???
— J’ai oublié mon cahier…
— Ah…

Je fus placé devant un dilemme.

Car Lison est tout simplement un ange.
D’une discrétion absolue, d’une absolue gentillesse, d’une douceur infinie, d’une infinie patience, jamais un mot, toujours au travail, même si les résultats ne sont pas toujours en rapport.

Le genre d’élève que l’on découvre par inadvertance au détour d’un cartable trois mois après la rentrée. Dont on n’a évidemment pas mémorisé le nom, car elle commet chaque jour une erreur impardonnable, celle de ne pas nous emmerder.
Car les premiers prénoms que l’on mémorise sont ceux des emmerdeurs.
Et oui, quelle injustice.
À ceci, ajoutez un petit air craintif, une timidité discrète, une de celles qui m’enchantent, qui vous change une maladresse en grâce et une hésitation en charme.

Voilà, ça y est, je recommence.

Non Charly !!!! Ne te laisse pas attendrir, c’est une petite fille certes, mais n’oublie pas ce que deviendra un jour cette choupette si fragile : une femme. Souviens-toi de ta guitare pulvérisée, fracassée sur le bord d’un évier malencontreux, puis agonisant sur le carrelage de la cuisine, anéantissant d’un coup tous tes efforts pour jouer « au clair de la lune » sur la dernière corde avec un doigt sans t’arrêter.
Alors n’aie aucune pitié, prononce la sentence.

Le genre d’élève dont on dit aux parents qu’elle devrait s’exprimer plus à l’oral, alors que l’on ne l’interroge jamais, et pour cause, on ne la voit pas.

Et ces petits yeux qui fuyaient les miens, attendant le verdict du bourreau que je suis, prête à se rendre jusqu’à l’échafaud sans dire un mot.
Je suis une brute, une sale brute.
Oh que je suis maudit !!!!

Charlyyyyyy !!! Ne te laisse pas avoir, ce sont toutes les mêmes, ça minaude, ça roucoule, et hop, deux minutes après, obligé de choper la gouttière la plus proche pour se barrer.
Ne te relâche pas Charly, ne faiblis pas !! C’est ton devoir, punir comme tu l’as fait pour Imad, il en va de l’équité, de la justice dans tes cours, de la république !!!! Et puis pense à tes essuie-glaces torturés à même le pare-brise et gisant dans ton coffre dans l’attente d’un hypothétique redressement.
— Oui ben Lison c’est pas bien ça…

Oh que c’est bien envoyé !!! Quel courage !!! Mais sais-tu que tu pourrais lui faire peur ???

Quel dilemme. Que de souffrances endurai-je !!! Mais que n’ai-je donc été gardien de phare !!!!
(Y’en a plus ducon) (Ah bon ???)

Mais que vais-je deviendre ???

Elle baisse les yeux, sent sur elle tous les regards, pour une timide, c’est terrible, je dois abréger sa souffrance, enfin, façon de parler. Mais je vois tellement de circonstances atténuantes, c’est vrai, c’est la première fois, et qui n’a jamais oublié son cahier ??? Qui es-tu toi Charly pour lui jeter la pierre ??? N’as-tu jamais oublié un gâteau au four ??? Ou tes enfants sur une aire d’autoroute ??? Dans leur couffin ???

Et ce petit air trognon, franchement, comment fait-on pour punir de tels élèves ???

Comme ça :
— Oui bon, c’est la première fois ??? Bon, ça va pour ce coup-ci, mais cahier à jour la semaine prochaine, sinon je serais impitoyable ok ????
— Ouiche.

Ouf, mission accomplie, mais bon, j’ai failli être trop cool.

21 réflexions sur "Lison de 6e4"

  1. C’est tout mimi…T’es un vrai gentleman Charly!
    (Jusqu’au point final, j’ai eu peur que tu la punisses, Lison….Quel suspense!)

  2. et Imad de reprendre « mais m’sieur, c’pas juste, pourquoi moi j’ai tout ça à faire et pas elle?? ya d’l’abus m’sieur! »

  3. Et si la Pitchoune oublie son cahier, tu vas minauder aussi?
    Oh que non !… pas de pitié pour les chieuses !

  4. Ta mansuétude te perdra !
    … Pasqu’à mon avis, Pitchoune aussi, elle a dû repérer ton point faible !
    M’est avis que tu devras surveiller le rétro ! ;-)

    (Alors, comme ça tu as « oublié » tes gamins sur une aire d’autoroute ? Ben mon cochon ! )
    Finalement, tu es assez rousseauiste, quand on y regarde bien.
    En tout cas, pour cet article : dans le mille, Emile ! J’ai bien ri !!! :-))

  5. Par chez moi, on met des « croix » dans un tableau qui réunit divers critères, ‘voyez ? Au bout de 5 croix, tous domaines confondus, l’affreux est collé.
    Tu restes donc juste, pas obligé de punir de suite, t’as pas le cœur fendu devant les petits yeux mouillés et implorants d’une mignonne petite affreuse.
    Gnark. Subtil.

  6. Et bien, de mon temps, les profs de techno avait moins d’état d’âme. Sous le prétexte fallacieux que j’avais pyrogravé une table au fer à souder (j’aimerais dire que c’était par rébellion, mais c’était juste par maladresse), je m’étais retrouvé avec un mot dans le carnet fort peu élogieux pour mes capacités manuelles sans compter toutes les blagues grasses qu’il m’a fallu subir pendant tout le reste de l’année…
    Allez pour une fois, un peu de mansuétude, tu as bien fait, pauvre Lison!

  7. Vas y donc !

    Pour le commun des mortels, l’erreur est classique, banale, tristement anodine.
    Chez un prof, elle est infamante !

    Le verbe ALLER à l’impératif :
    « va chercher l’éponge et nettoie donc ce tableau »
    … l’élève ne bouge pas …
    « Vas-y Trapugne, et ne lambine pas en route »

    La langue française a parfois des règles curieuses.
    Pour les verbes du premier groupe, à l’impératif, point de S … sauf … lorsqu’il est indispensable pour la liaison.
    Ainsi, « Va donc, manant » ne prends pas de S, alors que « Vas-y toi, bouffon » en prend un.

    Citons dans un autre genre :
    « Mange ta soupe, Bouzigue »
    « Manges-en, et tu seras aussi grand et sage que le prof »

    Espérant avoir contribué au relèvement du niveau grammatical de ce blog (déjà relativement élevé pour un prof de collège ! :o), je vous prie d’agrée, Charly, mon respect le plus abyssal.

  8. erreur infamante, respect abyssal…
    ô rage ! ô désespoir!… que n’ai-je pas ouvert mon Bescherelle de la conjugaison ?
    Fais-y dont Charly !

  9. Dis donc caribou, chapitre ortografe il t’ en reste à en prendre pour ton compte tant qu’ à apprendre aux autres, infâme prend un accent circonflexe et « je vous prie d’ agréer… » Nonmého, c’ est pas bô de faire la morale aux autres quand on ne sait pas grammatiquer soi-même, et toc!

    Bon, eh ben sur ce coup là rien de spectaculaire. L’ ami Charly considère son élève comme je l’ ai été moi-même par ses prédécesseurs, sauf que je n’ ai pas connu la technologie. J’ ai été dans ce cas de figure et cela n’ a pas changé d’ un iota depuis. Les rares fois où je n’ avais pas le substrat scolaire adéquat posé devant mon charmant minois ou pas pu fournir un travail fini je n’ ai pas été sanctionnée. Je parle de l’ époque d’ avant l’ adolescence comme pour Lison en 6e, après cela s’ est dégradé… Mais rien de bien grave pour autant!

    Merci Charly t’ es un amour, comme d’ hab.

  10. -Tu ne vantera(?) point ton ortografe(?) avant d’avoir relu ton comentère(?)

    C’est une maladie commune aux profs de techno je supose, le mien a la même manie… Je tiens à dire que je n’en ai jamais profité, j’oublie rarement mes affaires. Cependant, les filles ont la possibilité de le charier gentillement dans le genre insunuer qu’il est sexiste et macho sous pretexte qu’il nous a dit qu’on est nulle parce que qu’on est une fille…(J’lui en filerai moi des baffes!!)bien sûr il faut toujours s’attendre à une riposte, et vlan!! un paquet de feuille derrière l’oreille^^!
    On l’aime bien quand même!!

  11. J’suis nouvelle. Faut faire une fiche?

    Salut Charly,

    Pfffiouu… j’ai tout lu… Pour l’interro surprise, j’espère que j’ai tout retenu.
    Je m’aventure à laisser un commentaire mais j’ai peur de prendre des pierres si j’avoue que je ne suis pas prof (je ne l’ai pas dit fort, ne visez pas la tête).
    Parce que, il faut quand même le dire, ce site est très mal fréquenté.
    Avec le titre, pas de soucis, je savais où je mettais les pieds… mais que, de surcroît, les commentaires soient trustés par des représentants du corps enseignant (enfin, quand il travaille), cela devient limite sectaire…
    Je crois que je suis en train de me faire endoctriner : je suis arrivée dans ce lieu de perdition par l’intermédiaire d’une certaine Morue.

    Le lavage de cerveau a fait son œuvre : Pour la première fois de ma vie, je m’apprête à féliciter un prof… BRAVO CHARLY !!!!
    (j’ai honte, mais honte !!)

  12. A la place d’Imad,

    je négocie le partage de punition. Y’a pas de raison.

  13. charly serait il humain?

    Alors là Charly tu m’as fait craquer. J’en chialais comme une madeleine devant mon écran de te voir si craquant devant la petite Lison. Bien sûr t’as pas pu t’empêcher de balancer quelques vacheries sur les filles. Chassez le naturel il revient au galop surtout chez les bourrins! Mais, bon , j’oublie parce que , là, j’ai bien vu qu’il y avait du bon en toi.Finalement même si parfois t’es qu’un gros bourrin, t’es pas le mauvais cheval. Et puis ton approche de la psychologie féminine m’interpelle. Tu sais ce qu’on devrait faire tous les deux ben un soir dans la semaine tu passes à la maison et on parle de tout çà hein? Je suis sûre qu’il te reste encore des approches de la psychologie féminine à découvrir.

    Je compte sur toi mon Charlot?

  14. Je me reconnais tellement dans le portrait de cette jeune 6ème… et tellement dans le portrait que tu dresse de Lison dans quelques années ;)

  15. Gnark…. ça me rassure, y’a pas que moi qui m’fait avoir. Un œil qui brille, un menton qui tremble, des cils qui battent pour chasser (ou contenir) la larme naissante…. Bon sang, faut avoir un cœur de pierre pour résister et faire son fortiche…
    Je le savais, depuis le début, tu fais ta brute, mais tu transpires le nutella…

    Pour toutes les Lisons, les Marions, les Manons , les Suzons… Merci à toi Charly Le Grand, Charly le Maître du Cœur, l’As de la Bonté….

    Quand elle sera vieille Lison, elle sera infirmière. Dans une maison de retraite de l’EN. Elle se souviendra de toi. Sûre qu’elle dira rien quand elle te verra chiper le pain à la table.

    Tu as parié sur ton avenir.

  16. Infâme Nandou !

    Je reviens, avec un tantinet de retard, et je constate que mon commentaire a été publié, et a appelé une ou deux réponses.
    Si la grammaire peut faire encore réagir de nos jours, le genre humain n’est pas perdu !

    Je dois donc faire amende honorable pour une faute d’inattention dans mon précédent commentaire : « je vous prie d’agréeR » et non « je vous prie d’agrée ».
    Les plus malins auront corrigé d’eux-mêmes.
    Je présume que c’est à cet oubli que faisait référence Maripoupi …
    Je concède une faute d’inattention, mais en aucune manière une faute de grammaire, et encore moins d’orthographe : je renvoie donc Nandou Guanaco à son Petit Robert, ou, à défaut, au dictionnaire en ligne de l’Académie Française (seule source valable en ces tristes périodes de tektonik et de délitement de la culture orthographique) http://atilf.atilf.fr/academie.htm

    Infâme tu es, infamante tu restes !… (Les accents circonflexes … tout ça …)

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