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Encore un débat passionnant à la cantoche

Avec les collègues à la cantoche ce midi, grand débat sur l’intelligence.
C’est un sujet qui me passionne parce que depuis quelques années je fais un certain nombre d’observations me concernant, et donc, j’avais plein de choses à dire. Et j’ai bien fait d’en parler parce que Christophe a dit que pour lui, c’était tout pareil.
En effet, j’ai observé que j’ai des variations de QI dans la journée assez phénoménales.
Isabelle nous a expliqué que la moyenne nationale c’était 100 de QI, et ben moi par exemple, le matin, au réveil, j’ai quatre. C’est pour ça que j’ai choisi un réveil qui fait beaucoup de bruit, pasqu’il s’adresse directement à mon moi profond.
Sous la douche c’est mieux, mais guère. Je dois tourner aux alentours de quinze. Ça explique bien des choses, notamment pourquoi j’me fous toujours du champoing plein les yeux.
Au p’tit dèj, j’taquine les quarante, ce qui me permet haut la main de mettre ma tartine dans la bouche et pas dans l’oreille, mais ce qui s’avère très insuffisant pour mettre des chaussettes de même couleur.
Au boulot, j’arrive aux alentours de 80, ce qui est bien pour un prof de collège. Avec ça je peux tourner toute la journée et ça suffit pour résoudre la plupart des problèmes.
Alors bien sûr, des fois, y’a des pics, mais jamais pendant les cours. Mais bon, pour qu’il y ait un pic, faut quand même une sollicitation importante. Par exemple, quand t’essayes de comprendre ta fiche de paie, t’as un méga pic. Ou quand t’essayes de faire un recto-verso avec la photocopieuse. Moi, avec 80, je le fais le recto-verso, mais c’est jamais dans le bon sens. Heureusement qu’Isabelle est là pasqu’elle vient bosser avec 100. Moi je trouve que c’est un peu gâcher, mais en même temps, ça lui permet de faire face à l’imprévu, et c’est elle qui me le fait.

Par contre j’ai une baisse de QI après le repas, quelque chose de joli, putain. Mais tant pis, je fais cours quand même.
Pendant l’acte d’amour, j’ai fait des mesures aussi, ben je tourne à 60, pas mal hein ?? Par contre au moment de l’extase, j’ai deux.
Pour résumer, je m’endors avec deux, je me lève avec quatre, hé, j’gagne quand même deux points en dormant !!!
Tu parles d’une tronche.
C’est sûr que quatre c’est peu, t’as juste les fonctions vitales. Mais avec quatre tu peux communiquer avec les lapins, et te faire plein de copains. Bon c’est sûr, reste le problème des affinités, mais au moins, t’es en phase. Et avec deux, c’est sûr, c’est pas grand-chose, mais tu peux parfaitement t’intégrer dans un plant de salades, et même des fois, tu peux taquiner une gisquette, une laitue par exemple.
Bien que personnellement je trouve les laitues un peu maniérées.

Alors les collègues filles elles ont laissé entendre que les filles elles étaient un poil plus intelligentes que les garçons. Donc y’a eu comme des p’tites chicaneries au moment des petits pois, c’est qu’ça peut être très taquin une gisquette. Mais moi, j’les ai trouvées limite revanchardes les collègues, quasi revêches. Mais bon, faut reconnaître que depuis qu’elles ont accès à l’intelligence, depuis la guerre en gros, elles se démerdent pas mal. Et d’ailleurs y’en a partout des filles et surtout chez nous. Mais comme le faisait remarquer Cricri, y’en a beaucoup moins à la légion étrangère, comme quoi elles sont vraiment pas cons les nanas. Alors Isabelle elle a demandé si on cherchait plutôt des femmes intelligentes avec Cricri. Ben pas trop en fait. Mais bon, nous en même temps, c’est pas pour faire des débats qu’on drague, donc elles ont dit qu’on était des primaires, des rustres, et on était assez d’accord avec Cricri. Et pis, comme on a dit avec Cricri, si on avait une femme intelligente à la maison, ça ferait doublon. Ouais là, on en a pris plein la tête, comme quoi on était des prétentieux, qu’on s’prenait pour qui non mais oh, regarde-moi les ces deux-là, c’est qu’ça s’met vite en colère ces petites choses-là, elles se seraient presque moquées dis donc. Mais on s’est bien marrés. Et on a dit qu’on préférait les femmes qui rigolaient, que c’était notre seul critère, alors Isabelle était d’accord mais pas Corinne, qui a dit qu’on pouvait pas passer sa vie à rigoler non plus. Bon, on s’en doutait un peu avec Christophe, mais cons comme on est, c’était bien de nous le rappeler. Entre parenthèses, Isabelle, je l’aime bien, mais bon, elle est mariée.
Mais pas trop j’crois, juste un peu quoi.

Pour en revenir à mon histoire de QI, y’a des variations selon les classes aussi. Par exemple y’a des classes qui posent plein de questions, alors faut un peu réfléchir. Et y’en a d’autres, t’es vraiment pas emmerdé. Dans ces cas-là, je me règle sur 60, et je laisse filer, en roue libre.

J’ai beau jeu de disserter sur mes variations de QI, mais je ne te mentirai pas cher lecteur, il s’agit d’une diversion. Car ce matin, putain, en me pesant, je peux t’assurer que mon poids, lui, était désespérément stable.

Noël

Noël approche et c’est le moment de décorer ma garçonnière.
Je commence toujours par les guirlandes. Surtout qu’au fil des années, j’en ai accumulé une bonne vingtaine de kilomètres, ce qui me permet de retapisser intégralement mon bel appartement, le temps des vacances.
Nul n’échappera à ma vindicte décoratrice, j’optimise l’existant et je réquisitionne chacun des meubles, chacune des pièces, que j’enguirlande sans vergogne, jusqu’aux toilettes, dont le réservoir se verra finement ourlé d’une guirlande violette d’un très mauvais goût mais qui rappelle à chacun que ce modeste endroit s’associe à la fête, car c’est ici qu’elle s’achève le plus souvent.

Pour le sapin, je fais simple, je mobilise un des résidant du salon, et c’est donc le ficus qui s’y colle. Il a droit à une splendide camisole de guirlandes du plus bel effet, ainsi qu’à de multiples boules qu’il maintient crânement à bout de branches, tandis que je finis de l’étrangler avec une guirlande lumineuse que je fais clignoter un peu tous les soirs, mais juste un peu, jusqu’à ce que ça me gonfle quoi.

Au collège, la semaine avant les fêtes, l’événement, c’est le repas de Noël à la cantine.

À ceux qui pensent que l’expression « repas de Noël » et le mot « cantine » sont incompatibles, permettez-moi de vous dire que vous faites preuve d’un mauvais esprit particulièrement affligeant.
Car avec les collègues, on est vachement contents d’aller s’taper la cloche au self.

Et je ne résiste pas au plaisir d’exciter vos papilles.
En entrée, radis au naturel servis sur un lit de beurre avec l’emballage alu tout doré autour, pilon de dinde dans sa sauce brimade et son escadrille de pommes dauphine (six, pour être précis, et en formation serrée). Pour le fromage, assortiment de triangles, isocèle de camembert ou équilatéral de Brie.
Au dessert, un délicieux sabotage à la vanille nappé d’une onctueuse vague d’attentat au chocolat.
Pour le vin, afin d’escorter l’ensemble, un dévastateur mais gouleyant « Saint Joseph priez pour nous et pardonnez à ces humbles vignerons car ils ne savent pas ce qu’ils font ».
Je passe sur l’indispensable carafe d’eau car elle est au repas de Noël ce que le cathéter est au perfusé : le petit détail qui peut jouer en votre faveur.

Mais surtout, surtout, le petit sachet avec les trois papillotes dedans et la p’tite crotte qui va bien. Que c’est mimi !!!!
Tout Noël résumé dans un sachet.

Pour les adultes, c’est champagne. Mais champagne de cantine, c’est-à-dire low-coast. Comptez environ cinq euros pour une caisse de douze, mais en négociant bien, vous pouvez obtenir une ristourne.

Le retour dans la cour pour récupérer les élèves se fait dans une ambiance festive, ponctuée d’éclats de rire, et mon Christophe, hilare, envisage le plus sérieusement du monde de faire cours malgré deux grammes par litre, cette conscience professionnelle l’honore, et c’est un poil amusé que je le vois remonter les bretelles aux élèves qui se refusent à le suivre, et pour cause, ce ne sont pas les siens.

Aaaaaah !!! Ce jour béni où le réfectoire se transforme en guinguette, d’où surgit une joyeuse bande de profs hirsutes et défroqués, imbibés d’infâme piquette, macérant encore dans l’ignoble sauce, pataugeant dans la fange la plus abjecte, où la plus vile des vannes côtoie la plus basse paillardise, offrant à notre besogneuse jeunesse le visage affligeant d’une certaine joie de vivre.

Mais Noël au collège, c’est aussi la séance récréative.
Ou, quand la salle de classe se transforme en espace détente et le prof en GO.

Elle ponctue des mois de dur labeur et constitue la mise en bouche des quinze jours de glandouille qui s’annoncent. Certains collègues refusent de se prêter au jeu de la séance récréative, c’est leur droit, certains par contre la préparent. Quant à moi, je me laisse aller à une totale improvisation qui débouche le plus souvent sur un joyeux bordel. Ainsi, si vous visitez ma classe pendant une séance récréative, vous constaterez qu’il y souffle comme un vent de mutinerie. Vous constaterez la même chose chez ma collègue d’arts plastiques, mais là, il s’agit d’un cours normal.

Le tableau générant d’immenses frustrations chez l’élève de base, car son accès lui est interdit, sa principale requête sera, en cette séance bénie, l’accès sans limitations à l’objet tant convoité.
Ainsi, après d’âpres négociations, les mutins partent à l’assaut du tableau, et vont mettre un point d’honneur, quand c’est pas un bras, à me flinguer une boite entière de craies multicolores que j’avais patiemment accumulée à force de visites chez l’intendante, à barbouiller mon espace réservé de fleurs approximatives, juchés sur des chaises, pour le saloper bien jusqu’en haut, et ce dans un bordel ignoble et une abominable mêlée.
C’est en général ce moment de l’année que le chef choisit pour me demander quelque chose, et qu’il entre dans la salle.
Et là, à la vue de ses yeux révulsés, je suis contraint de le refouler dans le couloir pour un rapide massage cardiaque et entendre sa requête.

Voilà, c’est donc en tant qu’effaceur, devant le tableau et la brosse à la main, que j’achèverai ma prestation cette année, avant de rejoindre Christophe pour un ultime demi en ville, à refaire le monde, mais au niveau local, nous imaginant pères Noël généreux pour dames esseulées, et planifiant deux semaines annoncées de bombances et de ripailles.

Brèves de cantoche

Ce midi à la cantoche, avec Christophe, on s’est bien marrés.

Comme souvent avec Cricri, on parle de l’actualité, enfin, de celle qui nous concerne.
Et là, on parlait du soutif créé par Wonderbra cet été, celui avec les faux tétons.
Les collègues nous croyaient pas trop, mais comme j’avais lu et relu l’article, et que j’avais recoupé l’info en vérifiant sur le site du fabricant, j’étais incollable sur le sujet. Mais j’ai aucun mérite, s’informer des innovations techniques, c’est mon boulot.

Mais ça m’avait foutu un de ces bourdons, putain, c’est vrai quoi, le monde marche vraiment sur la tête. Mais on va où comme ça ?!?!? Et franchement, quel monde on va laisser à nos gosses ???
Alors avec Cricri on réfléchissait à une parade, un détecteur de faux tétons par exemple, on avait plein d’idées en plus, et les collègues elles ont dit qu’on était vraiment des cons, mais en langage prof quoi, et qu’y avait des choses bien plus graves dans la vie, mais sans préciser lesquelles. Un peu facile l’argument.

Bon, on a bien rigolé, et y’a le collègue de physique qui s’est pointé.
Il avait une grosse tristesse pasqu’il venait de se faire inspecter et qu’y avait eu une bagarre pendant son inspection. Deux filles de 3e qui se sont battues, et y’a un gars de la classe qu’a voulu les séparer, et du coup, ils se sont battus à trois. Bon déjà le gars, vouloir séparer deux filles qui se battent, c’est un téméraire ou un doux rêveur, mais moi, ça me serait même pas venu à l’idée.
Moi je sépare que les garçons, que d’ailleurs une fois j’ai choppé un élève par le col pour qu’il arrête d’en étrangler un autre, et que j’ai arraché un bouton de sa chemise et qu’il a voulu porter plainte pour arrachage de bouton, et pour être franc, j’l’ai trouvé un poil tatillon le bambin sur c’coup-là.
Ben ouais, sont comme ça les gamins, très procéduriers en fait.
Donc du coup, maintenant, j’attends qu’ils aient fini de s’étrangler pour intervenir. Y’a plus de pertes mais on s’en fout, les classes sont moins surchargées.

Alors le collègue, quand il a raconté son histoire de bagarre, il était blanc, livide comme un linge, et nous avec Cricri, on s’est regardés, et comme c’était tellement gros son histoire, mais véridique, on est partis dans un de ces fous rires, mon vieux. Et pis pas le p’tit fou rire à sa mémère, non, un bien gros, un de ceux qu’on essaie vainement de retenir, à tort d’ailleurs, pasque ça fait encore plus rire, et même que des fois, ça fait péter.
Je sais c’est vache pour le collègue, mais on n’a pas choisi, c’est parti tout seul, pasqu’on s’imaginait la scène, le bordel généralisé pendant une inspection.
Ben ouais, c’est toujours le jour où il faut pas que les emmerdes arrivent. Comme Cricri quand il a passé son permis. L’inspecteur lui a demandé de s’arrêter à coté d’une cabine téléphonique, mais Cricri, il a pas dû bien comprendre, pasque lui, y s’est arrêté « dans » la cabine téléphonique. Véridique en plus.
Alors l’inspecteur du permis y lui a fait des histoires, un vrai chicaneur y paraît, un pointilleux quoi, alors qu’y faut quand même pas pousser, à un mètre près, le Cricri, il avait bon. Et en plus y’avait personne dans la cabine, à première vue en tout cas.

L’inspection, c’est un des temps forts de la vie de prof.
Avec la retraite bien sûr.
Vous avez vu le film Midnight Express ? Quand le gars y passe la douane avec la drogue tout transpirant et le cœur à 250 ? Ben un prof, le jour de l’inspection, c’est pareil, il a peur de se faire gauler. Et de le voir quitter la salle des profs la tête basse, c’est très chargé en émotions, alors on lui fait coucou avec nos mouchoirs, pasqu’on est pas sûrs de le revoir.

Pour en revenir au collègue, comme il avait pas encore eu son entretien avec l’inspecteur, ben y balisait.
Alors on a cessé de rigoler et on a posé des questions comme si on s’intéressait mais bon, on était plus crédibles. Avec la pétoche qu’il avait, il a dit qu’il avait pas faim, alors on lui a demandé s’il pouvait nous passer son éclair au chocolat, et les collègues elles ont dit qu’on était vraiment de sacrés cons, qu’on commençait vraiment à faire chier, mais on a dit que si on pouvait plus rigoler maintenant.
En fait les collègues filles elles avaient l’air d’être tristes pour lui, mais comme je m’y connais en fille, j’peux vous dire qu’en fait elles avaient toutes envie de rigoler.
Et pour finir, le collègue a dit qu’il s’inquiétait pour son rapport d’inspection, alors avec Cricri on a dit qu’il avait raison.

Et on a repris notre conversation sur le soutif de Wonderbra et on a suivi Tati qui ramenait son plateau.
— Franchement Tati, des soutifs avec des faux tétons, ça te choque pas ?
— Un peu c’est vrai, mais ce qui me rassure, c’est qu’on trouve encore des choses authentiques.
— Et tu penses à quoi ??
— À votre connerie par exemple.

Ben dis donc, c’était pas not’ jour avec Cricri.

Lulu

J’ai pris une habitude, y’a bien longtemps déjà, c’est d’arriver tôt au collège.
Vers sept heures trente, c’est bien. C’est une technique anti-stress car à cette heure-là, la photocopieuse est disponible. Inutile de préciser que le collège est désert. La concierge vient à peine d’ouvrir les portes et les seules personnes que l’on rencontre, ce sont les personnels de service. Ceux qui entretiennent et nettoient l’établissement.
Pour l’entretien, ce sont plutôt des hommes, et il faut bien le dire, pour le ménage, ce sont plutôt des nanas. Ainsi va la dure loi de la génétique (ou de la statistique, j’sais plus).
Du coup, ces nanas, j’les connais bien. En tout cas bien mieux que certains collègues, que j’vois assez peu en fin de compte. J’m’arrête toujours auprès d’elles pour papoter, et dire trois conneries.

Et puis y’a celle qui nettoie ma salle : Lulu. On s’voit tous les jours.
Elle arrive avec son p’tit caddie. Et elle a tout dans son p’tit caddie, Lulu. Tout pour balayer, cirer, récurer, gratter, poncer, lessiver. Tout ça dans son p’tit caddie. Et j’peux vous dire qu’elle frotte.
Et je sais aussi qu’elle est contente de me voir.

Lulu, elle attend toujours que j’la fasse rire. Ce que j’essaie de faire. Et puis des fois j’la taquine.
Comme lorsque je remplis les bulletins dans ma salle pendant qu’elle balaye.
Ainsi je commente tout haut en disant des trucs comme : votre fils est un vrai petit con, si c’était votre objectif, bravo, c’est réussi, ce sera un excellent délinquant…
Et là, Lulu, elle cesse de balayer, tend l’oreille, et elle reprend lentement son balayage.
J’entends le balai s’approcher, doucement, et s’arrêter près de moi :
— J’savais pas qu’on pouvait écrire des trucs comme ça sur les bulletins…
— Ben si Lulu, on est très directs maintenant sur les bulletins…
— Ah bon.
Et elle reprend son chemin poussant gommes, crayons, papiers, cartouches…
— Mais je déconne Lulu !! C’est pas vrai !!!
— Ah bon, j’me disais aussi… remarquez, avec tout c’qu’on entend d’nos jours…

Mais y’a quelque chose qui me gêne dans le fait qu’elle fasse le ménage de cette salle. Parce que c’est ma salle et que je suis le seul prof à y enseigner. Et qu’on m’a toujours appris à nettoyer mes cochonneries.
Du coup, j’ai demandé un aspirateur, qui m’a été accordé et je le passe tous les jours sur les postes de travail, espérant ainsi la soulager. Je suis aussi très sévère avec les gamins qui jettent des papiers ou autre.
Parce que ça m’emmerde que Lulu nettoie leurs conneries. Et j’leur dis d’ailleurs.
Je sais que Lulu, elle a un cœur gros comme ça et qu’elle se plaindra jamais.

À la fin de l’année scolaire, Lulu et ses collègues nettoient toutes les tables des classes et je peux vous dire que décoller du chewing-gum, c’est coton. Elles y passent deux semaines, jusqu’au 14 juillet.

Un jour, Lulu m’avait dit que son animal préféré, c’était le dauphin. Alors, sans lui dire, j’en ai dessiné un avec un logiciel de dessin, je l’ai usiné dans du plastique avec une machine numérique et j’ai monté une horloge dessus.

Le dernier jour avant les vacances, le collège était déjà vide.
J’ai cherché Lulu pour lui offrir mon dauphin.

Mais j’ai pas trouvé Lulu.

Alors je suis retourné dans ma salle, et j’ai posé le dauphin sur mon bureau.
Avec un post-it : pour Lulu.

Ma salle des profs

Ah ! Que n’avez-vous rêvé de pénétrer ce lieu !!!!
Alors je vous invite, mais chutttttt… . pas de bruit.

C’est au bout du couloir, à droite, que vous découvrirez notre sacristie.
C’est une grande salle aux murs harmonieusement disposés, en rectangle quoi, comme si l’architecte, délaissant un instant sa quête exaltée de formes épurées, avait cédé soudain à une fantaisie débridée et délirante.
Leur couleur, jaune pâle, presque ictérique, qui n’est pas sans rappeler les pissotières d’autrefois, accentue leur troublante verticalité.
Le plafond, dont la forte charge néonisée saura mettre en valeur la moindre de vos petites rides, vient chapeauter l’ensemble de façon assez astucieuse.

L’endroit est calme, propice au recueillement, tout juste troublé par le ronronnement de la machine à café.
Celle-ci, pour la modique somme de quarante centimes, déversera dans une pimpante timbale cartonnée, un bon demi litre d’un liquide jaunâtre aux senteurs inconnues et curieusement légales.
Son goût diffus, fus, saura éveiller votre curiosité et susciter en vous de lancinantes questions :
la vie vaut-elle vraiment le coup d’être vécue ?
Et si oui, est-ce donc là le prix à payer ?
Et vous regarderez dubitatif les touches de sélection : non, vous n’avez pas choisi
« décoction de queues de cerise » mais bel et bien « café court et sucré ».

La décoration murale est dévolue à deux de nos créatifs : Tati et Patrick.
Leur totale maîtrise du plan vertical rendrait fou de jalousie n’importe quel architecte d’intérieur et ramènerait ces derniers à ce qu’ils sont en fait : de petits joueurs.

Leur procédé est fort simple.
Tati procède par agrafages successifs et concomitants, punaisant et piquant à tour de bras toute sa littérature secrétariale.
Le carroyage ainsi obtenu alterne quinconcément les avis de réunions, les reports de ces dernières, leur annulation, ou leur changement d’ordre du jour, les comptes rendus, des réunions, quand elles ont eu lieu, et les annexes, quand il y en a, des comptes rendus, des réunions, quand elles ont lieu.
Et elles ont lieu.
Mais aussi les exclusions d’élèves, les absences de prof, l’inverse étant plus rare, le planning du chef, et « JOYEUX NOËL ».
Quand c’est noël.
Sublimissime.

Patrick, plus audacieux, a fait le choix d’œuvres plus contemporaines, plus bigarrées et chatoyantes.
Ainsi vous verrez là se côtoyer de jeunes peintres inconnus tel que SNES ou SGEN-CFDT ou encore MGEN.
Des artistes de rue pour la plupart.
Dantesque.

Mais l’œuvre la plus regardée est située juste à coté de la porte. Elle est une projection en deux dimensions et sur cinq jours, des menus de la cantine.
Tout simplement remarquable.
Une œuvre éphémère dont vous vous délecterez en demandant pour la énième fois : pourquoi le jeudi c’est toujours frites ?

Au fond, un local excentré, car clairement sexué, le haut lieu de la reproduction :
la salle des photocopieuses.
C’est nanti de votre « carte photocopies », que l’intendant a généreusement crédité de mille unités, pour trois mois en ce qui me concerne, que vous allez humblement contribuer, mais c’est déjà bien, à la déforestation générale.
Mais soucieux d’optimiser l’espace papier, vous avez astucieusement condensé les trois dernières semaines de cours en trois lignes explicites et consécutives.
Donc avec un simple format A4, vous livrez un cours complet à une vingtaine d’élèves.
Et encore, vous avez bien pensé à utiliser la fonction recto-verso mais comme personne ne sait comment ça marche…

Le mobilier est un joyeux tintamarre de formes et de couleurs, où Ikea le dispute à Confo, tandis qu’Emmaüs tente une intrusion, heureusement limitée, formant ainsi un curieux modèle de mixité mobilière.
Quelques fauteuils épars, cinq pour soixante profs, quelques tables au centre, quatre pour soixante profs, bordées de chaises, dix pour soixante profs.
Et oui, un prof en pause est un prof debout.

Une des tables est squattée à l’heure du repas, et à l’année, par quelques collègues de français. Les piles de copies y côtoient les tupperwares béants où vous apercevrez ratatinée, une omelette de la veille, pour les protéines, soigneusement découpée et mélangée à des haricots du jardin, pour les fibres.
Miam-miam.
Une table bavarde et parfois pliée, de rire, lorsqu’au détour d’une copie, une perle d’élève est pêchée et commentée.

Les casiers masquent tout un pan de mur. Nous y sommes collés les uns aux autres dans une vaste partouze postale. Au dessus du mien, au dessous et à ses cotés des profs femelles car l’essentiel de l’effectif est constitué de femelles. Quel ravissement pour moi de voir ma boîte ainsi cernée.

Voilà, c’est depuis ce lieu secret, où nos cerveaux las viennent soulager leurs hémisphères, que nous nous préparons à rejoindre nos joyeux drilles.
Dans ce collège, où jour après jour, chacun d’entre nous, vient expier ses études brillantes.

Mais qu’est-ce que j’enseigne au fait ?

Ou tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sans oser dire que vous n’en aviez rien à foutre.

Ben c’est vrai ça, au fait, c’est quoi ce truc ?
Des fois, y’a des gens qui m’demandent :
— Charly, vous faites quoi dans la vie ?
— Ben, je suis prof de techno.
— Ah ouais ? Et comme boulot ?
Pauv’ con va.

Bon alors voilà.
J’aurais du commencer par ça mais bon, il n’est jamais trop tard pour rien faire.
L’idée, le concept, le projet, l’ambition des bigs chefs qui sont tout en haut de la France (à Paris), c’est de faire acquérir à nos élèves une culture générale technologique.
Ça vous la coupe hein ?
Et ouais.
Et à quoi ça sert ?
Bon, écoutez, j’veux bien expliquer, mais commencez pas à m’faire chier.

Donc je reprends. L’idée, c’est de leur faire appréhender leur environnement technologique.
Et au cœur de cet enseignement : l’objet technique.
— Ouaaaah !! Chouette !!

Et c’est quoi un objet technique ?
Ben c’est un objet qu’il est fabriqué par la main de l’homme (ou de la femme mais c’est plus rare (non j’déconne))
Comme un tire bouchon par exemple.
Au hasard.
Ben vous le saviez pas, mais vous ouvrez vot’ pinard avec un objet technique.
Ça vous la coupe hein ?
Je sais, on est fortiche.

Alors évidemment vous allez me dire :
— Ouais mais à c’compte là, ben un enfant c’est un objet technique, pisqu’il est fabriqué par l’homme.
Non mais quels cons !!! Fabriqué avec la main on vous a dit !!!!

Bon, l’objet technique c’est le cœur mais on en profite pour leur expliquer comment ça se fabrique.
Enfin, quand on sait.
Et pis on fait comme si on était une entreprise, mais pour de faux, et on fait des trucs genre « étude et réalisation d’un prototype », « production d’un service », « etc. ».
Enfin tout ça quoi. Rien qu’des trucs intelligents et empruntés à la vraie vie.
Mais on leur parle jamais des salaires, parce qu’on peut pas tout emprunter à la vraie vie, y lui resterait plus rien sinon.
Et pis surtout, y voudraient plus bosser.

Demandez leur un jour, comme ça, mine de rien, à table, juste avant le dessert, ce qu’est « l’extension d’une gamme de produit ».
Vous serez éblouis.
Et si y savent pas c’est qu’y foutent rien, donc vous pouvez bouffer leur dessert.
Devant eux, bien lentement et en faisant « miam-miam ».

Et c’est vachement varié comme enseignement.
Alors bien sûr beaucoup d’informatique : traitement de texte, tableur, CAO ou CFAO, etc.
Ou par exemple, chercher des ressources sur le web, avec des mots clés judicieusement choisis.
Z’avez jamais été impressionnés par la vitesse à laquelle y trouvent des images pornos sur Internet ?
Ben c’est nous qu’on leur apprend.

Et leur troublante capacité à s’organiser ? À trouver des solutions ? À respecter des consignes ?
Z’avez pas remarqué que vos gamins y respectaient bien vos consignes ?
Ah bon.
Ben c’est grâce à nous.

Z’avez pas remarqué que vos gamins y faisaient toujours les choses dans le bon ordre ? Qu’ils réfléchissaient avant d’agir ?
Et ben à votre avis, c’est grâce à qui ?
À bibi.

Dites vous bien que si leur chambre est toujours bien rangée, c’est qu’on met l’paquet sur l’organisation.
Ben ouais, ça vous emmerde mais c’est comme ça.

Et quand y font la vaisselle alors que vous leur avez rien demandé ? Ça vous a jamais étonné ?
C’est curieux.
Ben c’est parce qu’en technologie, on développe leur sens de l’initiative.
Ben ouais, vous la ramenez moins là ?
Je sais, on est balaise.

Et quand y font leur lit le matin avant de partir ? Ça vous a jamais mis la puce à l’oreille ?
Ben c’est nous qu’on leur dit de toujours bien ranger leur poste de travail.

Et les petites fabrications toutes pourries qu’elles marchent jamais et qu’y ramènent tout fiers alors qu’y a pas d’quoi ?
Ben c’est nous.

Et la politesse ? Z’êtes pas stupéfaits des fois comme y sont polis ?
Ben c’est nous aussi, parce qu’on doit contribuer à leur éducation.
Et ouais, faut bien que quelqu’un fasse le boulot.
C’est de notre faute à nous si les parents démissionnent ?
Ben nous on démissionne pas (tu m’étonnes, avec le statut qu’on a).

Mais nous ne transmettons pas que des savoirs.
Nous transmettons aussi un peu de nous-mêmes, de notre personnalité.
C’est un enseignement moins connu mais qui forme tout autant.
Car toi parent, je te tutoie car tu es presque mon égal, n’en déplaise au ministre, n’as-tu jamais remarqué l’élégance de ton rejeton ?
Son sens de la répartie ? Son port de tête ? Sa démarche chaloupée ? Presque féline ?
Son insolente décontraction ? Sa brillante élocution ? Son regard troublant ?
Et quid de cette gestuelle racée ?

Mais où a t’il appris tout ça ? Et surtout, avec qui ?
Et bien c’est que ton rejeton a certainement été mon élève.
Et que je lui ai transmis cela aussi.
Comme ça, sans faire exprès.
Ne me remercie pas, Ô non surtout pas, c’est cadeau.

Et si un jour tu l’entends dire une grossièreté, sois sûr que ce n’est pas en technologie qu’il l’a entendue.
Et certainement pas pendant mes cours.
Mais sûrement en français, ou en maths (y’a de grandes chances), ou en histoire-géo, ou en EPS (c’est quasiment sûr), ou en SVT, ou en LV1, ou en LV2, ou en musique (non, eux y sont gentils), ou en arts plastiques (là c’est sûr), ou en physique, ou en option latin (putain eux, quand y s’lâchent).

Mais me connaissant, cela t’étonnes t’il ?

Un bon conseil

S’il y a bien un truc qui me gonfle dans ce job c’est bien les conseils de classe.
C’est vrai ça, y’en a plein et on y entend toujours les mêmes conneries.
De là à penser que c’est parce qu’on dit toujours les mêmes.

Alors voilà, ça dure entre une heure et une heure et demie, des fois y’en a deux d’affilée, c’est dingue, et donc du coup je rate les Guignols.
Sans compter que pour trouver du pain à une heure pareille, macache.

Pour moi c’est l’époque de la régression, car je deviens le pire des cancres.
Je m’assois très loin du chef, je suis extrêmement discret car je sais que toute intervention rallonge d’autant la durée dudit conseil.
Et je m’occupe comme je peux.

Bon, comme il y a les délégués parents, les délégués élèves, le chef ou la sous-chef, et des collègues, je fais mine de m’intéresser.
Mais je galère.
Ça commence toujours par l’inévitable tour de table où chacun commente l’ambiance de la classe.
En général je balance une phrase toute faite du genre :
— Ben, c’est une classe hétérogène, mais d’un bon niveau grâce à quelques éléments moteurs. Quelques élèves en grandes difficultés mais nous en reparlerons (ouais ben pas moi). Donc un groupe intéressant et une bonne ambiance de travail.

Bon pour les classes chiantes c’est la même phrase mais que je modifie complètement.
Sinon, je laisse parler tous les collègues et lorsque c’est mon tour :
— Pas mieux !

Une fois, un parent d’élèves, vachement motivé, a demandé des détails sur tout : les programmes, les options, les cycles d’enseignement.
Il arrêtait pas, ça a pris des plombes pour lui expliquer.
J’me suis dit : ce soir mon Charly, pour Navarro c’est tintin, c’est direct au pieu !!
Putain, ces parents qui s’intéressent à leurs gamins, j’vous jure, quelle plaie !

Heureusement, lors de certains conseils, y’a Christophe.
Christophe, y présente le même syndrome que moi : le rien-à-péter-grave (phase terminale).
Donc pendant les conseils on fait des batailles navales.
On a élaboré un code, un peu comme du morse, avec les doigts et en se grattant quelque chose.
Le nez, les oreilles, la bouche, les joues, faut juste qu’on soit face à face quoi.
Et quand c’est coulé, on s’gratte aut’chose.
Mais on n’a pas le droit de rigoler.
Moi j’y arrive mais Cricri pas toujours, alors des fois y s’fait gauler.
Et comptez pas sur moi pour le tirer de là.
Parce que j’sais pas vous, mais moi, quand j’me suis fait flingué deux escorteurs et un porte-avions, je l’ai amer.
L’amitié a ses limites.

Le seul truc qui nous excite avec Cricri, c’est quand un prof se lâche sur un élève.
C’est vrai que lorsque un gamin a pourri tous vos cours, qu’il a été grossier, menteur et j’en passe, certains collègues en ont ras le bol des commentaires convenus et à la con et craquent un peu en conseil.

Au début on est surpris, on dresse l’oreille, on compatit, on admire le courageux qui ose enfin dire que le zozo est un fieffé connard.
Alors on acquiesce en secouant la tête, on attend qu’il se lâche bien et ragaillardis par l’héroïsme du collègue, et constatant qu’on prend pas trop de risques quand même, tu parles d’une bande de téméraires, on se lâche aussi.
Putain, j’peux vous dire, c’est pas beau à voir.
C’est bien simple, c’est une véritable boucherie.

J’vous passe les détails du passage à tabac mais j’peux vous dire qu’on l’met minable le gamin.
Et comme on s’est senti pousser des ailes, on le finit à grands coups de lattes dans le caniveau.
Les joies de la lapidation entre amis ou comment animer vos soirées.
Y’a même des collègues qui en perdent leurs bonnes manières et qui font comme qui dirait dans le graveleux.
Dans l’vulgaire quoi, dans l’mesquin.

Je sais c’est dégueulasse.
Mais qu’est-ce que c’est bon !

Et là je vous assure que les collègues retrouvent le sourire, y’a comme un p’tit air de vacances, ça sent le bermuda à fleurs et la tong fraîche.
D’un coup, y’a une vraie cohésion d’ensemble, et on la sent là, l’équipe pédagogique, j’peux vous l’dire.
C’est limite thérapie de groupe ce truc, et pour un peu, on s’rait prêt à louer un bus pour partir tous ensemble en vacances.
Non, déconnons pas quand même.

Alors évidemment, y’en a toujours un pour défendre le zozo.
Un audacieux quoi, un va-t’en-guerre.
Un rebelle.
Alors on se retourne tous vers lui.
Et là j’peux vous dire, y s’met à regretter de pas s’appeler Bernardo.
Parce que chauffé comme on est, on commence à te l’attaquer grave à la serpette, le divergent.
Non mais…

Putain, mais c’est pas vrai !
Le Christophe, y m’a niqué toute ma flottille !

Moquons-nous sans réserve d'autrui

Oui, c’est mon altruisme diligent.

Aujourd’hui, l’heureux élu, c’est Kévin.
Parce qu’il est un peu con-con.
Mais bien gentil.
Mais con-con.

Kévin, mon vice, ma racaille.
C’est vrai qu’il aimerait bien être une racaille le Kévin, mais il ne peut pas s’empêcher d’être gentil.
C’est son gros problème en fait.
Mais des fois il fait bien peur quand même.
Mais je sais pas à qui.

— Ouais moi j’ai des copains qui dealent !!!
— La chance que t’as Kévin !!
— Ben c’est vrai quoi…

Ouais, ce qui est sûr, c’est qu’y dealent pas des neurones ses potes.

Mon petit plaisir avec Kévin, c’est de lui poser une question intelligente.
C’est quoi une question intelligente ?
Ben pour Kévin toute question est intelligente.
Du moment qu’il a pas la réponse.

— Oh Kévin !! T’as l’heure ?
— ?!?!…

C’est rigolo.

Parce que là mon Kévin, y fait comme un blocage.
D’abord, il devient silencieux, et ensuite, il fronce les sourcils.
Comme s’il était inquiet.
Nous aussi du coup.
Ben y’a de quoi remarquez.

Parce qu’au niveau de son métabolisme, à c’moment là, y s’passe plein de trucs.
Il semblerait, mais je ne suis pas spécialiste, qu’il passe du stade purement végétatif au stade animal.
Comme ça, d’un coup.
Comme s’il passait de la tomate au lapin.
Par exemple.
Moi aussi ça m’a fait peur au début.

Le stade végétatif, il s’en éloigne jamais trop remarquez.
Parce que c’est un casanier à sa façon.
Moi, je respecte ça.

Ensuite, il est secoué par un petit rire nerveux.
Comme un ricanement.
Il doit évacuer l’énergie, je pense.
Remarquez, faut bien qu’elle aille quelque part.

Parce que neurologiquement, c’est stand-by général.
Vous imaginez l’état de fébrilité des neurones, synapses et consorts dans l’attente d’instructions claires ?

À ce stade, l’électro-encéphalogramme est plat, tranquille, relax, mais le pouls est régulier.
C’est rassurant.
Tant qu’y a de la vie, y’a de l’espoir.

— Kévin, as-tu un projet pour plus tard ?
— Heu… pour après vous voulez dire ?
— Voilà, c’est ça, après… juste derrière quoi…
— Ah oui…
Mais non.

Là, c’est le mot projet qui pose problème car il implique la notion de temps.
La quatrième dimension quoi.
Autant dire de la science fiction pour Kévin.
Et encore, j’ai soigneusement évité la notion d’espace.
J’suis pas salaud quand même.

— Alors Kévin ?
— Je cherche, je réfléchis…

Menteur va.
De toute façon, tout le système sympathique est bloqué.

Je sais que je joue avec le feu parce qu’il peut y avoir formation de caillots.

Alors bien sûr, ça fait longtemps qu’on l’a passé aux tests.
Lorsqu’il a fait les tests de Rorschach, il s’est évanoui.
Trop direct sans doute.

À l’électro-encéphalogramme, une forme de vie est apparue.
Simple, rudimentaire, mais quand même.
Donc, y’avait de l’eau avant.

Je sais, c’est pas gentil de se moquer comme ça.
Et encore là, j’suis pas en forme.

Bon je vais être franc, on m’a passé aux tests aussi.
Petit et pendant le service militaire.
Intelligence supérieure, c’est chouette.
Tu parles.

Vous savez quelle est la phrase que j’ai entendue le plus souvent dans ma vie ?
De la part des nanas ?
Celle-ci :
— Mais qu’est-ce que t’es con mon pauvre !!
Ben ouais.
Vous remarquerez au passage l’habile amalgame entre mes différents patrimoines.

Celle-ci aussi :
— Dommage que tu sois si con.
Là, on remarquera la petite pointe de regret.
C’est touchant.

Et la dernière fois, c’était il y a quinze jours, par mail :
— T’es con.
C’est tout simple, mais ça fait toujours plaisir.

Comme quoi, on est toujours le Kévin de quelqu’un.

Fiche métier : enseignant

Nombre d’entre vous ont senti naître au fil de la lecture de ce blog, une vocation pour ce noble métier d’enseignant.
Il ne pouvait pas en être autrement.
Aussi, je vous propose aujourd’hui une mini FAQ qui devrait guider votre réflexion et vous aider à finaliser votre choix.

Enseigner, un métier, un sacerdoce, une mission.
Mais aussi, un guet-apens, un coupe-gorge, une embuscade, un croche patte.
Donc attention : vocation indispensable !

Quelles sont les missions de l’enseignant ?
Trois missions sont définies dans les textes :
1) Instruire
2) Contribuer à l’éducation
3) Préparer l’insertion sociale et professionnelle (la leur, la notre ça va merci).

Jusque là c’est facile mais, car il y a un mais :
1) En faisant preuve de pédagogie.
2) Sans afficher de préférences.
3) Sans crever les pneus de leur scooter.

Et là j’peux vous dire qu’c’est une autre paire de manche.
Autant dire mission impossible.
Et oui, on est pas des magiciens non plus.
En même temps, c’est là tout l’enjeu.
Mais vous allez me dire :
— Même pas une petite claque ? Une claquounette ?
Non.
Bon, y’a bien des astuces, mais officiellement non.
(Pour les connaître, contactez moi discrètement)

Doit-on amener son casier ?
Non bien sûr.
Enfin, oui et non.
Celui de la salle des profs vous sera fourni et charge à vous de le remplir.
Par contre, il en est un que devrez produire, et vide si possible, c’est votre casier judiciaire.
Pourquoi croyez-vous qu’Alain Juppé soit allé enseigner au Canada ?
Parce qu’en France, pour enseigner, il faut avoir un casier judiciaire vierge.
Et on peut le comprendre, quel parent accepterait de laisser son rejeton devant un voyou ?

Faut-il aimer les gamins pour pratiquer ce métier ?
Non.
D’ailleurs à aucun moment du processus de recrutement, la question ne vous sera posée.
On ne vous parle même jamais d’élèves.
Et pour nombre d’entre nous, c’est une sacrée surprise de découvrir que l’on est pas seul dans la classe.
Y’a même du monde parfois.
Et évidemment ça change tout.

Quels sont les outils de l’enseignant ?
Il y en a deux :
1) Le cartable.
Si y’a bien un accessoire qui nous caractérise, c’est bien celui la.
Avec les lunettes peut-être.
En effet, qu’est-ce qui différencie un enseignant lambda d’un citoyen ordinaire au supermarché ?
Le cartable.
Qu’est-ce qui fait notre succès dans les boîtes de nuit ?
Le cartable.
Qu’est-ce qui fait qu’on se fait caillasser comme des malpropres et traiter de fainéant et de bons à rien lorsque l’on rentre paisiblement chez soi ?
Le cartable.

2) La Kangoo.
C’est un véhicule ridicule dessiné par le bureau recherche et développement de la firme juste avant leur licenciement.
Une vengeance quoi.
Les couleurs ont été choisies par des élèves de maternelle décomplexés et libérés de toute contraintes.
Elle a reçu le grand prix de l’humour à Chamrousse, et le dernier modèle, Wallace et Gromitt, si c’est vrai, a fait grimper anormalement le nombre de tués sur les routes car contrairement à l’idée reçue, le ridicule peut tuer.

Comment ne pas être confondu avec un élève ?
Lavez vous tous les jours.
Dans certains établissements, une fois par semaine suffit, ça fait déjà une grosse différence.

Quel type de prof serez vous ?
Style qui s’la pète, genre prof de lycée, qu’on s’parle jamais, parce qu’y travaillent dans les bureaux et que nous on a les mains dans le cambouis, ou style humble, genre prof de collège, parce que y’a pas d’quoi s’la péter, en général, on nous la pète, ou prof de lycée professionnel, les plus valeureux d’entre nous, les troupes d’élite qui font face à une rude adversité, qui s’la pètent pas, parce que tous les jours, y s’prennent de ces déculottées, mon pauvre, c’est rien d’le dire.

Les perspectives d’avenir ?
Elles sont étroitement liées au lieu de votre affectation, qui selon le cas, peut gravement vous affecter.

Les salaires ?
Vous connaissez tous la formule « À travail égal salaire égal » ?
C’est le credo de notre maison.
Toutefois, fort de mon expérience, je proposerai la variante suivante :
À travail égal ç’a l’air égal, mais ça l’est pas.
(voir l’article : un jeune, faut qu’ça jeûne)

L’alcool est-il interdit ?
Oui.
Bon, y’a bien des astuces, mais officiellement oui.
(Pour les connaître contactez moi discrètement)

Conseilleriez vous ce métier à un jeune ?
À un jeune qui a de l’ambition, non.
À un jeune qui n’a pas d’amour propre, une piètre image de lui-même, oui.
Et il sera même confirmé dans ses sentiments.

Voilà, vous disposez maintenant de toutes les bonnes raisons pour choisir ce noble métier.
Et d’ailleurs, il n’y en a pas de mauvaises.
(Pour les connaître, contactez moi discrètement)