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Maeva

Ma salle est située dans un bâtiment de plain-pied au fond du collège.
Au fond de la salle, une porte vitrée donnant sur une arrière cour, un portail et une route peu fréquentée.
C’est mon coin fumeur.
C’est aussi là que je stocke provisoirement les élèves pénibles, à l’isolement, histoire de les calmer, tout en les surveillant à travers la porte vitrée. Une garde à vue quoi.
Les élèves n’ont pas accès à cet espace, mais la cour étant attenante il arrive que j’en vois débouler un ou deux que je reconduis vocalement à la frontière virtuel.
Dans le coin, à droite de la porte, une grande plante, rosement fleurie.
Souvent, lorsqu’il fait beau, j’ouvre cette porte. Si les gosses ont une activité, je sors. Pas loin évidemment.
— M’sieur, qu’est-ce que vous faites ?
— J’prends l’air. Et j’admire ces fleurs.
— On peut les voir ?
— Non non, vous travaillez. Vous occupez pas de moi.
— Vous nous en donner ?
— Des fleurs ? Si vous voulez.
Je cueille quelques fleurs et j’entre pour les distribuer aux filles.
Elles sont ravies. De vraies p’tites nanas.
— M’sieur, vous êtes le prof le plus sympa.
— Je sais.
Elles les accrochent dans les cheveux, sur les chemisiers.
— Et toi Guillaume, t’en veux pas une ?
— ?!!… Moi ?
— Une p’tite fleur, dans les cheveux… Non ?
— J’suis pas un…
— Et quand bien même ?

La nouvelle s’est vite répandue.
Au cours suivant, les filles m’ont réclamé des fleurs.
Le cours d’après aussi.
Et ça pendant une semaine.
Le vendredi, je fais ma distribution.
Et là, Manon, une excellente élève de 6e me fait remarquer
que la fleur que je distribue est en fait du laurier rose et que sa maman lui a dit que c’était toxique.
J’savais même pas que c’était du laurier rose.
— Toxique ? Non.
— Ben, Maman m’a dit qu’il fallait pas toucher, ni mettre à la bouche.
Sur de moi et un peu moqueur.
— Attends, si c’était toxique, on n’en mettrait pas dans un collège !
Autrement dit, tu nous prends pour des cons ?
Fin de la séance.
Par acquis de conscience, à la récré, j’m’en vais voir Raymond, qui s’occupe de l’entretien des espaces verts.
— Dis Raymond, c’est quoi cette plante derrière ma salle ?
— Derrière ta salle ? Ah oui. C’est du laurier rose.
— Et c’est toxique ça ?
— Ah oui. Attention, fais gaffe avec ça. Si tu vois des élèves y toucher, tu leur fait bien laver les mains parce que si y mettent ça à la bouche…
— Attends, mais c’est pas malin de foutre des plantes comme ça dans un collège !
— On n’en met pas partout, juste dans les coins ou les gamins vont pas.
Et puis ça pousse bien, pas d’entretien, ou très peu, et c’est joli.
Je regagne ma salle et j’fais une recherche sur le web.
« Ne laissez pas les enfants tourner autour du laurier rose, car sa sève est un poison mortel. »
« Le laurier rose est une des plantes les plus dangereuses de nos régions, dont toutes les parties sont toxiques. L’ingestion d’une simple feuille peut s’avérer mortelle pour un adulte, en raison des troubles cardiaques souvent provoqués. »
Putain.
J’ai 250 élèves. Ce qui fait 125 filles. À peu près.
Et je viens de procéder à un empoisonnement massif et sexiste.
125 morts.
Ça fait désordre.
Je risque le blâme.
Faut qu’je vois un prof de SVT.
Ouf, il me rassure.
— Oh, y’en a qui ont peut être eu des p’tits problèmes mais elles ont pas du faire le rapprochement.
Puis, faut une consommation importante quand même.
En tout cas, j’ai pas eu de nouvelles.

Mais quel manque de culture ! De ne pas les connaître !
Bon, à l’avenir, j’évite de faire le prof sympa et d’offrir des fleurs.
Et j’fais un stage chez Jardiland.

Strip tease

Le p’tit père benoît.
Un gosse sympa.
Pas vraiment eu de problèmes avec lui.
Si, une fois quand même.
Il est rentré de récré avec Kader.
Visiblement, c’était chaud entre eux.
Une fois dans la classe, ils se sont frités. Joli.
Et c’est parti en vrille, insultes, bagarre.
Deux gamins de quinze ans qui se maillochent, ça déménage.
J’ai eu un mal fou à les séparer, évitant de peu le ko et j’ai eu mal à l’épaule pendant trois jours.
Enfin bref, je les ai expédiés chez le principal pour comparution immédiate.
Ils ont été exclus trois jours.

Benoît est un solitaire.
Problèmes familiaux, familles d’accueil, éducateurs, suivi psychologique.
Tout l’toutim, quoi.
En tête à tête, il est bien.
Sérieux, raisonnable.
Mais dans le groupe, il peine à faire sa place.

Il a été décidé de l’envoyer dans une classe relais.
Le principe est simple : cinq gamins par classe, un suivi à la culotte, tout ça pendant un mois.
Ils reviennent de là avec des résultats d’évaluations remarquables et des appréciations de comportement élogieuses.
Mais ça dure pas. Une fois le groupe retrouvé, c’est reparti.
Bon, ça fait toujours une pause.

Benoît s’est donc pointé en cours, et annonce à tout le groupe, qu’il part en classe relais.
J’explique rapidement de quoi il retourne, laisse s’exprimer quelques effusions et fais taire Kader qui peine à masquer sa joie.
— Tu veux dire quelque chose Benoît ?
— Oui m’sieur. Pour fêter ça, j’vais vous faire un strip tease.
Ben tiens, v’là aut’chose.
— Dis pas d’bêtises, tu t’assois. La classe relais, c’est demain. Aujourd’hui, tu travailles.
— Non non. J’vais faire un strip tease.
Toute la classe se marre.
Je fais mine de ne rien entendre et je commence l’appel.
— J’vais monter sur mon bureau, on m’verra mieux.
Rires.
— On verra rien du tout. Tu t’assois et tu te tais s’il te plaît.
— Trop tard !
En effet, il est déjà sur son bureau.
La classe le regarde, mais me regarde aussi.
Que va faire le prof ?
À vrai dire, j’en ai aucune idée.
— Allez, descend de là, fais pas l’imbécile.
— Tilalilalala, lalala, tilalilalalala, lalala…
Il déboutonne sa chemise en chantant, tout sourire.
Bon, qu’est-ce que j’fais moi ?
J’peux bien l’attraper et le foutre dehors, mais je crains qu’il résiste.
— Talalilililala, lololo, lululu, lalala…
Il est en tricot de corps.
Il commence à y avoir du chahut.
J’vais avoir du mal à me faire entendre.
Je refais une tentative.
— Si tu descends pas tout d’suite, tu sais à quoi tu t’exposes ?
— Tralalalili, lili, lala, lalala…
OK. J’vais envoyer les délégués chercher le principal.
Ça devrait le calmer.
En attendant, ils distribue ses chaussures à ses voisins.
Dans la foulée, ses chaussettes.
Il est torse nu, reste plus que le pantalon.
— Attention, mesdames et messieurs, maintenant, le pantalon !!
C’est l’ovation. Il fait un tabac.
Un élève m’interpelle.
— Monsieur, vous dites rien ?
— Si si. Je vais m’asseoir. Et je vais regarder la suite avec impatience !
En fait, je suis un peu désemparé, mais c’est tout ce que j’ai trouvé.
— Allez Benoît, fais-nous rêver !
Ça fait un peu saloon, mais bon.
En fait, j’viens de percuter. Tout ça n’est vraiment pas très grave.
Par contre, si quelqu’un entre dans la salle, j’vais être mal.
— Allez Benoît,
Il a baissé son pantalon.
Me v’là beau.
Reste le caleçon.
Le silence se fait.
La tension est palpable.
— Ahahahahah ! Enlève, enlève pas, enlève, enlève pas…
Il joue avec nos nerfs.
En tout cas, il connaît les trucs du métier.
— Alors, tu l’fais oui ou non ?
J’suis gonflé quand même.
— Talalala, trululu, en… lè… ve… ra…
Pour moi c’est quitte ou double.
Si j’ose dire.
— Tralalala, trululu, en… lè… ve… ra… pas !
La classe.
— Ouhhhhhhhhh !
Il remonte son pantalon, saute du bureau, récupère chaussettes et chaussures
Ouf !
— Ah benoît, toujours des promesses.
— Mais m’sieur, j’allais pas le faire. J’rigolais.
— Ouais. Ce serait dommage de pas partager ça avec le principal.
— Non m’sieur, s’il vous plaît.

J’l’ai pas puni. C’est un tort.
Mais bon. Classe relais, familles d’accueil, suivi.
Il a bien le droit de péter un plomb mon p’tit Benoît.