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Dur dur d'être un élève de 6e4

C’est vrai, t’étais peinard à l’école primaire, qu’était juste à coté d’la maison, et là, faut s’lever à six heures et demie et s’taper une demi-heure de bus, tout ça pour un cours de technologie qu’t’en as juste rien à foutre.

Ouais le matin c’est dur, surtout quand ta mère te réveille en te secouant comme si elle voulait te faire tomber un bras, j’te jure, et que tu te demandes juste à peine c’qui s’passe, qu’tu bouffes tes céréales en fixant la boite mais qu’t’as la tête qui bouge tout le temps pasque ta mère te file un dernier coup de peigne que toi t’avais déjà oublié qu’t’avais des cheveux, et que pour finir, elle te choppe par le cartable pour t’mettre une p’tite noix de gel fixant pour qu’y soit beau mon fils, ben y’a des jours, j’préfèrerais être analphabète.

Quand en plus tu rejoins l’abribus, et que tu retrouves Laura qu’a une pêche d’enfer et qu’arrête pas de sauter sur place, que tu te la coltines depuis le CE1, et qu’à peine arrivé elle se fout de ta gueule, j’te jure, si elle continue, j’la pousse sous la première voiture qui passe.

Et quand elle retrouve ses copines dans l’bus, hé Kévin tu viens, oui j’m’appelle Kévin, quelle bande de chieuses, mais en fait c’est mon premier prénom, c’est une idée de ma mère pour faire américain, mais mon deuxième prénom c’est Émile, ça fait nettement plus local, et en troisième, Camille, ça c’est juste pour que Laura le répète à tout l’monde pour s’foutre de ma gueule.
— Bouuuuuuuuuuuh Camille !!!!!!! La fille !!!!!!!!!!!
Même pas mal.

Et pis à l’école on avait juste une maîtresse, et on était toujours dans la même salle.
Ben là, y s’mettent à plusieurs pour nous faire chier, et jamais au même endroit.
Alors on passe des plombes à tourner dans les couloirs à chercher c’te foutue salle et quand par hasard on la trouve on s’fait gueuler d’ssus comme des veaux.
Et le poids du cartable, c’est à s’demander s’ils veulent pas nous lester pour qu’on se sauve pas

Et pis j’sais pas c’qu’ils ont à nous filer des devoirs comme ça, y z’ont peur qu’on s’emmerde ou quoi ?
Une vraie manie, et chaque prof en rajoute une couche, essayez d’avoir une vie privée vous, avec un boulot pareil.

Ce qui est dur aussi, c’est la cantoche, pasque vu le nombre qu’on est dans ce collège ben avec ma classe on mange à une heure de l’aprèm. Heureusement c’est ramadan en ce moment, c’est une religion où les enfants y mangent pas, donc on passe plus vite à la cantine.
S’ils pouvaient faire ça toute l’année ça nous rendrait bien service aux 6e4.

Laura elle est dans ma classe, j’vais m’la trimbaler jusqu’au brevet, c’est sûr, mais bon ça me rassure qu’elle soit là, pis c’est toujours elle qui trouve les salles, alors on la suit.

En plus elle a des super notes, moi non, quand j’vous dis qu’tout va mal, donc les parents y la prennent toujours en exemple et y m’foutent la honte.
Du coup, depuis le début de la semaine, y veulent qu’on fasse nos devoirs ensemble.
J’ai bien tenté de négocier, en disant qu’j’avais pas encore de mauvaises notes, qu’il fallait patienter, mais les parents c’est des brutes.

Alors hier soir elle m’a montré son cahier qu’il est tellement beau qu’on dirait un livre, alors que le mien, on voit bien qu’c’est un cahier.
On a été très sérieux, moi je me suis bien appliqué, pasqu’au niveau de l’écriture j’ai un peu du mal.
Mais c’est pas moi, c’est ma main, elle suit pas bien les lignes, alors les mots y montent, y montent, et ça fait comme un toboggan.
Alors Laura elle dit :
— Mais qu’est-ce que t’es nouille !!!
Ouais, c’est comme ça qu’elle me parle.

Ce matin sous l’abribus, quand je suis arrivé, Laura sautait sur place comme d’habitude, mais elle s’est pas moqué, et m’a juste dit :
— Kévin tu veux être mon amoureux ???
Elle me regardait tellement sûre d’elle que j’arrivais pas à la regarder.
— Alors tu veux ???
J’ai pas eu le choix, j’ai dit oui.

Elle a arrêté de sauter et là sous l’abribus, elle m’a fait un super smack bien bruyant.
— Et tu regarderas pas les autres filles hein Kévin ??
J’ai dit que ben non alors, et on s’est assis pour attendre le bus et elle a juste dit :
— Mais moi par contre, je regarderai les garçons.

J’ai regardé mes chaussures et je m’ai dit que c’était bizarre quand même, mais bon, j’y connais rien en filles, et pis en c’moment, avec tout c’qui m’arrive, j’suis plus à ça près.

Bon ben voilà, ce matin on a eu techno avec monsieur Le Prof, y dit toujours des blagues. Quand Laura lui a demandé s’il avait une femme, il a pris l’air de réfléchir, et il a dit que ça dépendait, mais il a pas dit de quoi. Alors Laura elle rigole tout le temps avec lui, mais c’est pas possible que ça dépende.

Bon je vous laisse, j’ai encore des devoirs à faire, et pis faut vraiment que j’essaie d’aplatir mes toboggans.

Le mot le plus long

Une tâche incontournable lors des premières séances, lorsqu’il reste du temps évidemment, c’est la réalisation de la page de garde du cahier.

Rien de bien compliqué, chaque élève doit indiquer sur la première page son nom/prénom, la classe, l’année scolaire, et en plus gros, le titre, « TECHNOLOGIE ».
Je ne donne pas de consignes particulières, si ce n’est un exemple au tableau, avec mon nom.
Évidemment la question ne manque pas de savoir s’ils peuvent mettre des couleurs et faire un beau dessin, ce s’rait tellement chouette. Il y a quelques années j’imposais une rigueur et une précision toute technologique et puis bon, vu les problèmes rencontrés par les gamins pour centrer le mot « TECHNOLOGIE » sur la page, j’ai renoncé.
C’est donc quartier libre et je peux vous dire qu’ils s’en donnent à cœur joie.

Ce matin, je regardais mes 6e4 s’adonner sans retenue à cette activité hautement pédagogique, et vas-y que j’te débouchonne le Stabilo vert, et que j’te recapuche le feutre rouge, clip-clop, clip-clop… c’est mimi, et vas-y que j’te dessine la méga fleur de l’univers infini, aucun rapport avec la techno mais bon, on va pas chicaner non plus.

Pendant cette activité, je flâne entre les tables, sans rien dire, pas un sourire, pas la gueule non plus, juste le plaisir discret d’être avec eux.
D’où quelques constatations que je vous livre.

Bon l’éternel problème, encore et toujours, c’est d’écrire le mot « TECHNOLOGIE », putain fait chier çui-là.

Pasque bon, t’as beau démarrer bien à gauche de la page, ça dépasse toujours à droite, j’te jure.
Donc si t’as la chance d’avoir senti le truc venir, tu peux réagir, mais pas toujours.
Et vous allez voir comme y sont astucieux, en fait, y suffit de faire les lettres un peu moins larges à la fin qu’au début, et hop, le tour est joué.
Donc le "G", comme ça, mine de rien, tu le ratatines grave jusqu’à c’qu’y ressemble à un « I », et le « E » tu lui coupes les pattes bien à ras et hop, ni vu ni connu.
Et même qu’y t’reste de la place, j’t’assure.

Au final, t’as l’impression que le mot « TECHNOLOGIE » s’est gaufré à fond le bord de la page, comme un crash-test quoi, le devant est tout niqué, mais le derrière, nickel.

Mais des fois, tu l’as pas vu arriver le bord de la page, donc y t’reste trois lettres dont tu sais pas quoi foutre.
Et là, vous allez pas m’dire comme y sont malins ces gosses, les trois dernières lettres, plutôt qu’de les écrire sur la table, tu les choppes par le col, et zou, tu les mets juste bien pile poil en dessous, sous l’tapis quoi, mais pas trop bas, et bien à droite.
Mais comme tu sens bien que t’as peut-être fait une erreur, et que ça risque de se voir, l’air de rien, tu changes de couleur, pour faire diversion.

Quand je vois ça, je m’arrête devant le gamin et je regarde son titre, très sérieusement.
Du coup, le gamin me regarde, alors je le regarde.
Pis je regarde à nouveau son titre, très sérieusement, et lui y fait pareil, et ensuite, on se regarde.
Un bon moment.
Alors y m’dit :
— Ça va comme ça ?
Et je lui réponds :
— Impeccable.
Et là, surmotivé, y passe un méga coup de Stabilo pour faire joli sur le titre qu’était pas sec.

Pis des fois, t’arrives à mettre toutes les lettres mais pas d’bol, t’en as oublié une.
En général c’est moi qui leur fais remarquer.
Alors le gamin y regarde le tableau pour vérifier, des fois qu’tu lui aies dit une connerie, et y dit :
— Ah oui.
Ben ouais.
Mais pas d’panique, c’est quoi la lettre qui manque ? Le « H » ?
Et là, t’emmerde pas, crois-moi, tu choppes le « H », tu le mets dans un étau et tu serres, tu serres, jusqu’à qu’y respire plus.
Et tu le glisses juste pile poil entre le « C » et le « N », avec des petits coups de massette s’y faut, pour qu’ça rentre bien, et hop, nickel-chrome.
Et tu regardes le prof et tu dis :
— Ça va comme ça ?
Et je réponds :
— Très bien, et surtout, ne change rien.

Pis y’en a qu’aiment pas trop les couleurs pastel, pasque ça fait un peu tapette quand même, alors y z’écrivent avec un gros feutre indélébile.
Le gros avantage du feutre indélébile, c’est que ça tape bien à l’œil, et surtout, il est indélébile sur les dix pages suivantes aussi.
Donc elles servent plus à rien et tu peux les arracher vite fait.
Mais surtout, faut éviter de mettre un coup de Stabilo sur de l’indélébile, ça peut tacher.
Mais bon, des fois, t’y penses après.

Et pour finir, je tombe sur un truc nouveau, le mot récalcitrant écrit verticalement.
Ça, t’y aurais pas pensé, ben le gosse là, oui.
Mais comme c’est un sacré rebelle le mot « TECHNOLOGIE », et ben même verticalement, les lettres elles rentrent pas non plus.
Alors là, et vises un peu la combine, tu laisses comme c’est, tant pis, il a eu sa chance, et pis c’est tout, c’est vrai quoi, j’me demande pourquoi on s’emmerde des fois, et du coup, t’inventes une nouvelle matière : la technolo.
Et si le prof fait une remarque, n’hésite pas, envoie-le quasiment chier, pasque faut quand même pas pousser, tout l’monde comprend c’que ça veut dire, non mais je rêve.
Et comme t’aimes bien la jolie finition qui fait la différence, n’hésite pas à bien barbouiller l’intérieur des lettres, en dépassant un peu, mais pas trop, et pis surtout, avec la même couleur si possible, ou mieux, en noir, pour qu’ça ressorte bien, qu’ça en jette quoi.
Et tu regardes le prof et tu dis :
— Ça va comme ça ?
Et je réponds :
— J’aurais pas fait mieux.
Du coup, surmotivé, tu envisages de barbouiller aussi l’intérieur des lettres qu’elles en n’ont pas d’intérieur, mais tu hésites un peu en regardant le prof, ben faut pas, j’t’assure, vas-y, sors de ta réserve, va de l’avant, et touille bien comme y faut, pense à bien racler les bords, tu verras, ça fera un joli trou.
Bon, ce sera juste un peu illisible, mais franchement, qu’est-ce qu’on en a à foutre ?

Alors vous rejoignez la fenêtre, vous regardez la campagne alentour, et vous souriez, discrétos, et vous vous laissez aller à repenser à une brune aux cheveux courts, ses jambes, ses ballerines taille 37, son regard noir, ses baisers de folie, ses somptueux ni…
— M’sieur, j’me suis trompé, j’peux mettre du blanc ?
— Oui oui, vas-y, fais-toi plaisir.

Ben vous savez quoi ?
Sont trop mignons mes 6e4.

La rentrée des 6e

Ce matin c’était le premier cours de techno pour les 6e4, à huit heures.
Je les attendais patiemment dans ma salle, porte close, position semi-allongée, les pieds sur la table, en lisant Closer, oui, je m’ouvre sur le monde.

J’entends la porte du couloir grincer, des chuchotements, ils doivent chercher la salle. Je finis de me poiler tranquille en lisant mon article. Parce qu’à partir de maintenant ça rigole plus, je vais afficher ma tête de tueur, ce qui est assez facile vu mon reliquat de sommeil.
Je me lève, contrôle ma tenue, impeccable, beau mais alors, si vous saviez, je laisse échapper un dernier sourire en pensant à François Hollande en train de baisouiller les pieds de sa greluche, je fronce les sourcils, et j’ouvre la porte.

Ils sont là, en vrac, une myriade de cartables multicolores qui s’agitent et se télescopent telles des autos tamponneuses.
— 6e4 ? Vous vous mettez en rang s’il vous plait.
Le premier truc qui me surprend c’est qu’ils ont tous les cheveux propres.
Tu parles, les parents ont dû te les coller à la douche la veille, avec pertes et fracas.

— Et en silence.

Je baisse délibérément la tonalité de ma voix, à la limite de l’infrason, c’est excellent pour l’autorité.
C’est un vieux truc, j’vous dis pas la virilité que ça dégage. Avec une voix pareille, j’peux vous exciter une paire de tétons à trente mètres et faire vibrer un champ de clitoris à plus de cinquante !

Ils obtempèrent, sans moufter, je les toise, et je longe la file lentement avec un petit air insolent, mais alors, et insupportable en plus, si vous saviez, même moi j’ai du mal à me supporter.
Ils n’en mènent pas large, putain, c’est quoi ce prof de tecno (y savent pas encore comment ça s’écrit), y nous fout les j’tons !!

— Allez-y, et en silence.
Ils passent devant moi, évitant soigneusement de me regarder, et je ne peux m’empêcher de les trouver touchants ces 6e, franchement c’est vrai, et puis cette odeur de shampoing aux œufs, c’est frais, c’est léger. Je suis à deux doigts de leur sourire, et c’est vrai que j’suis tout mimi quand j’souris, mais je me reprends, et je referme la porte, avec le pied, oui, je suis un rebelle.

Après la minute de silence que j’impose à toutes mes classes, en mon hommage, je leur demande de s’asseoir. Et vingt-cinq gamins qui déplacent autant de chaises ça fait un barouf du diable, donc première gueulante :
— OOOOOH !!!! LES CHAISES ÇA SE SOULÈVE !!!!!
Putain c’est vrai quoi.

Et ils déballent leurs petites affaires.
C’est aussi ça la rentrée, les cartables Minimoys, qu’y z’ont à peine tous le même, les trousses bigarrées de l’espace intersidéral aux couleurs tellement flashy que tu la mets à la fenêtre t’éclaires tout l’quartier, les gommes spatio-temporelles translucides bi-composants latex/vinyle qui reconnaissent l’ADN de c’que t’écris faux, les stylos-plumes pour les odyssées interplanétaires que tu peux écrire la tête en bas sur une éponge que ça bave même pas, du fluo, du clinquant, du rutilant, du pimpant, du chatoyant, et ça étincelle, ça brille, ça reluit, ça miroite, ça tape-à-l’œil, ça éblouie tellement que t’as perdu 5/10 à chaque œil à la fin de la séance, et comme y sont un peu jaloux, un p’tit coup d’œil sur les fournitures du voisin, des fois qu’il ait le porte-mine qui déchire sa race, le taille-crayon qui tue sa mère, le stylo qui nique sa sœur, les trente Stabilo de la mort que personne lui a demandés, le classeur de l’OM qu’y en avait plus chez Auchan et que t’as l’air d’un naze avec ton classeur de l’OL qui sont même pas premiers du championnat, le cahier Barbie qui arrache sa mère, sa sœur, c’te pute, et tonton Maurice, ce vieux pédé, et j’en passe.

Je pose délicatement mon popotin sur le bureau.
— Bon et bien bonjour à tous, et bienvenue en salle de technologie. Je suis monsieur Le Prof (j’écris mon nom au tableau) et je serai votre professeur de technologie durant toute cette année, cachez votre joie.
On a pas mal de choses à voir pendant cette première séance alors je vous demanderai d’être attentifs… au fait, vous me virez ces cartables des allées s’il vous plait, j’ai pas envie d’me gameller à la première déambulation !!. (c’que j’peux être désagréable des fois, j’vous jure).
— Pour commencer (j’écris le programme de la séance au tableau), vous allez vous présenter, non pas qu’ça m’intéresse particulièrement de vous connaître, pour c’que j’en ai à foutre de vos p’tites vies à la con, mais c’est le règlement, je vais vous remettre une petite fiche pour ça.
— Ensuite je vous expliquerai le pourquoi de la technologie au collège, et ce que l’on va faire ensemble cette année, le programme. Bon, vous étiez à l’école primaire donc la plupart d’entre vous ne savent certainement ni lire ni écrire, donc avec moi, de l’écriture vous allez en bouffer !
Puis on abordera le problème du matériel que j’impose d’avoir au complet et à chaque séance, vos parents ont touché du blé pour les fournitures alors venez pas m’faire chier qu’ça coûte cher et que ça s’casse, putain 274 € de prime de rentrée scolaire, c’est l’prix de mes pompes !!

— On enchaînera sur le travail à la maison, les règles de sécurité et la discipline lorsque vous serez avec moi, mais sachez d’entrée que pour les heures de colle, ici on m’appelle super-glue, alors le premier qui fait l’con, j’l’allume, j’le carbonise, j’l’immole, j’l’incendie, c’est pigé ?!?! (En fait j’en donne pas ou très peu c’est juste pour les faire chier) et pour finir, si vous avez des questions, j’y répondrai, si j’ai envie.

Voilà, ç’a l’air un poil sévère, mais j’ai juste appliqué la règle, être ferme d’entrée.
Courtois, mais ferme.
Bon, avec ça, la séance est bien remplie.
J’ai déjà parlé du programme de 6e ici, donc vous savez que l’on étudie le vélo et la trottinette électrique.
Donc les gamins sont plutôt contents de l’apprendre alors en fin de séance je leur montre le vélo et la trotti.
— Pour conclure la séance, j’vais vous faire une petite démonstration de trottinette électrique, vite fait.
Ils se regardent médusés, ne savent pas trop si c’est du lard ou du cochon, du gigot ou de l’agneau, une angine blanche ou une MST, c’est comme vous voulez.
Je démarre la trotti, toujours sérieux, et hop, je m’élance vers le fond de la salle, à toute vionze, et zou, demi-tour, et hop, petit slalom entre les tables, je mets les gaz, j’approche de mon bureau, je tente un wheeling, oh putain, p’tit coup d’patin, j’embarque la poubelle, la trotti s’emballe, je pile, la roue avant se bloque, nom de dieu, je dois m’éjecter, je plonge sur le bureau, la trotti continue sa route, et badaboum, ou patatras, à vous de voir, crash contre la porte !!
Putain la frayeur !!

Je suis un pédagogue expérimenté et je sais pertinemment ce qu’ils pensent à ce moment précis :
"Putain, on a récupéré le prof le plus fêlé de toute l’académie !!!".

PS : tout n’est pas vrai dans ce texte, à vous de repérer ce qui est faux. Je sais, c’est pas facile.

Et si on pique-niquait ?

En fin d’année scolaire, j’ai proposé à la classe de 6e1 dont j’avais la charge, si, la charge, un petit pique-nique dans l’enceinte du collège.
Celui-ci est suffisamment vaste et propose de bien belles pelouses.

— Ouaiiiiiiiis !!!!!
Y z’étaient tout contents.

Bon, j’ai invité quelques collègues à nous rejoindre, mais que dalle.
Christophe m’a dit qu’il nous rejoindrait et quant à Tati : j’lui ai pas demandé.
Par contre j’ai demandé à Julie, élève de 3e, de venir jouer un peu de guitare pour les gamins.
Elle a dit ok.

Le jour dit, nous v’là partis au fond du collège avec les moufiots, qu’étaient bien contents de rien foutre.
Les mamans avaient préparé des petits sacs avec plein de bonnes choses comme elles savent le faire.

Moi, j’avais juste pris un peu de jambon, pour faire chier les élèves musulmans, non j’déconne, et des œufs durs, qui se sont avérés pas si durs que ça d’ailleurs.
Et aussi quelques barres chocolatées, que je leur ai bien montrées, en leur expliquant qu’y en avait que pour moi.
Pour bien les faire chier quoi.

Les gamins ont sorti des cadeaux pour moi, parce que j’étais leur prof principal, c’était sympa et très touchant.
Et d’ailleurs, sous le coup de l’émotion, j’étais à deux doigts de leur donner mes barres chocolatées.
Mais heureusement, je me suis repris.
Et y z’ont eu que dalle.

Julie s’est amené, nous a bien cassé les breloques avec sa guitare et j’ai donné le ok pour manger.
Ben c’était bien calme, y z’étaient tout mignons.
Y m’ont fait plein de compliments, comme quoi j’étais gentil comme tout, et bien rigolo, et qu’on foutait jamais rien dans mes cours, et donc, j’étais pas peu fier.

Sur la pelouse, y’avait plein de petits tas de bois car les agents avaient élagué récemment.
À la fin du repas, y z’ont commencé à s’amuser un peu.
Bien gentiment parce qu’y z’étaient tout mignons.
Et pis y se sont amusés un peu plus.

Christophe est arrivé, on s’est assis au pied d’un arbre, Julie nous a rejoint, dans le rôle d’assurancetourix, et on a papoté.
Cricri m’a dit que j’avais su créer une super ambiance dans cette classe et que j’avais…
— Hé Ho !!!!! Vous touchez pas aux tas de bois !!!!!!
Et que j’avais su donc, asseoir mon autorité avec cette classe difficile et particulièrement…
— Putain !!! Qu’est-ce que j’viens d’vous dire !!!!
Il a ajouté que c’était sûrement la relation entretenue avec les parents qui avait permis d’obtenir de tels résultats…
— Ho ho ho !!!! Vous m’écoutez oui ou merde ?!??! Kévin tu poses ça toute suite !!!
Et que c’était tout à mon honneur d’avoir su insuffler cet esprit d’équipe…
— Putain Kévin !!!! Mais tu veux l’assommer ou quoi ?!?!
Et que mes qualités de pédagogue…
— Qui a lancé ce bout de bois ??? Qui a lancé ça ??!!! Où vous allez ?!??
Associées à un humour tout de finesse et d’allusions…
— Hé ho Christophe arrête de t’foutre de ma gueule maintenant !!! Et Julie arrête de nous faire chier avec cette guitare, merde !!!!! HOOOOOooo !!!! Vous revenez tous ici !!!!!

Dans une classe pour se faire entendre c’est facile, mais sur une pelouse qui fait la taille d’un terrain de football, wallou.
— Fanny, y sont où César et Benjamin ?
— Ben y sont là bas, y font des essais de boomerang…
— De boomerang ?!?!? Mais qu’est-ce que c’est qu’ce bordel !!! Et Antoine ?
— Il a été cherché un briquet pour faire un feu de camp…
— Un feu de camp ?

Un feu de camp.
Bien.
Ok pigé, j’ai eu l’idée du siècle.

— Bon ben Charly, nous on va te laisser…
— Déjà ?
— Ben c’est pas pour être médisant mais c’est parti en couille ton pique nique…
— Oh toi ça va… voulez pas m’aider ?
— J’sais pas…
— Allez Cricri…
Cricri et Julie partent faire les rabatteurs pour rassembler le troupeau.

Je suis là, debout devant ce spectacle affligeant, la pelouse jonchée de bouts de bois, un véritable champ de bataille.
Ah Charisme !! Quand tu nous lâches !!!
Et pas un gamin à l’horizon.

Sauf Fanny qui est là, à mes cotés.
— C’est dommage m’sieur, ça avait bien commencé.
— On ne m’y reprendra plus…
— Vous aviez invité le principal ?
— Non pourquoi ?
— Ben parce qu’il arrive.

Et si on se mélangeait ?

C’est en effet une des missions du collège : la mixité, le brassage social.
C’est vrai que chez nous ça brasse pas mal.
Le principe est simple : on mélange tout le monde.
Pourquoi ?
Pour vous emmerder.
Non j’déconne.

Tout simplement parce que lorsqu’on mélange les gens, on réduit les préjugés et la propagation du racisme qui se transmet très bien dans les familles.
C’est un principe humaniste.

Bon, c’est aussi le mélange des riches avec des pas bien riches voire des franchement pauvres.
Bon là, ça fonctionne moyen.
Mais l’idée de départ est sympa :
les riches comprennent que ça vaut pas le coup d’être riche si y’a pas de pauvres pour être jaloux.
Donc leur vie prend tout son sens.
Et les pauvres comprennent que c’est mal parti pour eux, mais du coup ils ont une ambition démesurée et bossent comme des malades.
Non j’déconne.

Bon, mélanger les riches et pauvres c’est pas évident.
Allez savoir pourquoi mais les riches auraient tendance à rester entre eux.
Comme de vilains petits égoïstes.
En même temps, vous m’direz, à quoi çà sert d’être riche si c’est pour se mélanger avec des pauvres ?
À rien, on est bien d’accord.
C’est d’ailleurs pour ça que les pauvres veulent tous être riches, c’est pour plus s’faire chier avec des pauvres.

Mais les pauvres ont aussi cette tendance à rester entre eux.
Mais eux c’est parce qu’ils ont le sens de la communauté.
Ou pas trop le choix.

Bon, mélanger un noir pauvre et un blanc pauvre ça marche pas mal.
Un blanc riche et un noir riche c’est déjà plus dur.
Mais un blanc riche et un noir pauvre c’est pas possible.
Mais vous allez me dire :
— Et un noir riche et un blanc pauvre ?
Et je vous réponds :
— Vous avez déjà vu un noir riche vous ?
Non j’déconne.

Bon, sinon y’a le privé.
Ça mixe aussi dans le privé, mais y z’ont un mixeur qui marche pas bien.
Donc ça mélange pas trop et du coup, les blancs remontent.
Mais le résultat est beaucoup plus riche.
Vous énervez pas, j’déconne.

Voilà, en fait, tout ça pour dire que le collège, c’est comme qui dirait, la touillette de la République.

En fait.

Un jeune, faut qu'ça jeûne

Y’a des privilégiés chez nous.
Ben ouais.
J’aime pas cafter, mais là, j’suis obligé.
J’en ai parlé avec Christophe et il est d’accord, faut tout dire.
Même le reste.

Vous avez remarqué qu’y a des jeunes partout, à la télé par exemple, y sont tous jeunes et beaux (sauf Pujadas), au ciné pareil (sauf Roland Bacri), et dans les pubs itou.
Ben ça c’est du jeunisme.

Et à la télé, même dans les pubs pour les obsèques, et ben les vieilles qu’y nous montrent, et ben j’peux vous dire, c’est quand elles veulent les mamies : j’arrive !
C’est rien qu’des canons.
Mais nous avec Christophe, on l’savait pas ça.
Et donc maintenant, on va aller draguer dans les maisons de retraite.
On commence demain.

Mais chez nous, le jeunisme passera pas.
D’ailleurs y pourrait pas.
Parce que nous les profs, on est des rebelles, et rien qu’pour faire chier tout le monde, on fait tout l’contraire : tout pour les vieux.
Et en plus, on vous emmerde.

Dehors, quand un jeune arrive, on lui file un boulot simple au début, pis on complique, comme un apprentissage quoi.
C’est logique d’ailleurs, enfin, c’est c’que vous pensez, mais c’est parce que vous êtes vraiment des cons.
Parce que chez nous, un jeune qui s’pointe, on l’fout direct dans la merde.
Et on sait c’qu’on fait, parce qu’on est pas des cons.
Nous.

D’entrée on te le fout dans une bonne vieille ZEP de derrière les fagots (avant qu’ils brûlent), et avec un tout petit salaire, pour qu’il en bave bien.
Voyez.

Ben oui.
Vous l’saviez pas, ça m’étonne pas, mais nous si.
Quand j’vous disais qu’on est pas des cons.

Vous allez me dire :
— Et vous, monsieur le prof, ou vous situez-vous dans tout ça ? Jeune ou vieux ?
Ben avec Christophe, on est pile poil au milieu.
Christophe, bien pile poil au milieu, et moi, un peu à coté, mais juste un peu, mais pas trop.
Mais quand même.

Et pis ces jeunes, y faut les comprendre, toutes ces Kangoo sur le parking, ça les fait rêver.
Encore dix ans avant de parader dans une Kangoo Wallace et Gromit, ça fout les j’tons.
C’est pas humain un truc pareil.

En plus, y z’ont plein d’idées, y connaissent les programmes par cœur, les nouveaux en plus, y maîtrisent l’informatique.
Donc y devraient gagner deux fois plus.
Ben non, y gagnent deux fois moins.
Et si vous trouvez ça pas très normal, c’est qu’vous êtes vraiment des sacrés cons.

J’peux vous dire.

Un p’tit tour de trotti ?

Depuis la rentrée 2005, un nouveau programme de technologie est proposé aux élèves de 6e.
Un thème, les transports, décliné en cinq points : les énergies, les matériaux, l’évolution des transports, une fabrication et l’étude du fonctionnement d »un ou deux moyens de transport.
C’est là où je voulais en venir.

Mon collège a reçu une dotation pour acquérir deux moyens transport.
Rassurez vous, pas d’avion cargo ou de palace flottant, mais des trucs simples.
J’ai choisi un vélo et une trottinette électrique dont on va analyser en cours le fonctionnement en détail (enfin, pas trop de détails quand même).

Bon, le vélo on s’en fout, mais la trottinette électrique c’est bien rigolo.
C’est une vraie de vraie et vous pensez bien que je l’ai testée à fond dans la salle, entre les bureaux, et que c’est bien poilant.
Bon, les gamins se chamaillent pour en faire, mais tintin, c’est moi qui fais les démonstrations.
Y s’croient où eux.

Mais ça va pas assez vite.
Alors avec Christophe on a étudié le truc, on a déposé le moteur et on a monté à la place un 1200 W.
Putain, j’peux vous dire qu’ça vionze.

On a été voir tati, puisque les chefs étaient partis à une réunion de chefs, et on a déboulé dans les bureaux avec.
À fond.

— Mais qu’est-ce que vous foutez ?
— Ben, on vient te montrer la trotti, on l’a trafiqué, tu veux l’essayer ?
— Vous êtes vraiment cons tous les deux, on a qu’ça à foutre peut être.
— Allez tati, ça nous ferait plaisir, tu la baptises comme ça.
— Mais votre truc, ça tiendra jamais.
— Pourquoi t’es méchante comme ça ? C’est vrai quoi, nous on t’aime, et toi tu nous méprises.
— Bon allez, faites voir votre truc.

On lui montre pour l’accélérateur et le frein, et elle démarre dans le couloir.
Elle va tout doucement au début, nous avec Christophe, on est très sérieux, parce qu’on attend qu’elle se casse la gueule.
Elle revient et nous dit que ça lui rappelle quand elle était jeune, et on lui dit de refaire un tour mais plus vite, qu’y a aucun risque.
Et elle repart en mettant la gomme.
Elle arrive au bout du couloir, au taquet, et là, la porte au bout du couloir s’ouvre, et y’a le chef qui apparaît.
Et y s’la prend en pleine poire.

Une tati lancée à cette vitesse c’est une énergie cinétique considérable.
Donc l’autre part à la renverse et se retrouve sur les fesses avec tati dans les bras dans une position que j’ose pas décrire sous peine d’être obligé de fermer ce blog.
En plus avec la trottinette, c’est limite sado maso leur truc.

On arrive en courant.
— Oh, y’a pas de mal ?
— Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ?!?!
— Mais vous avez pas une réunion vous ?
— Mais de quoi j’me mêle ?
— Ben nous on dit ça, c’est pour vous.
— C’est votre secrétaire, elle voulait essayer la trottinette.
— Mais qu’est-ce que tu racontes toi ? Ça va pas non ?
— Ah ça messieurs, vous m’la copierez !

J’aide le chef à se relever mais y veut pas :
— Ah pis lâchez moi vous !

Tati se tient le mollet et elle fait « ouillouillouillouille ».
— Ça va aller tati ?
— Tu parles d’une paire de couillons ces deux là, mais bien sûr qu’j’ai mal !
Elle a peut-être quelque chose de cassé, alors je lui masse le mollet mais comme il est bien charnu, j’trouve pas l’os :
— Tati, j’sens pas l’os.
— Et celle la, tu veux la sentir !
— Ben t’énerve pas, je cherche.

Christophe constate avec effroi les dégâts de la trotti et fait un bilan concis mais explicite :
— Tin l’autre, elle nous l’a tout pété !

— Alors messieurs ? Votre explication ?
— Ben, on voulait faire un test pleine charge pour la sécurité des élèves et…
— Vous m’prenez pour une buse ?
— Une buse ? C’est quoi ça ?
— Allez, j’en ai assez entendu, on règlera ça plus tard !

Tati se relève, boitille et le chef l’aide à marcher jusqu’à son bureau.

On s’en va avec Christophe, tristes pour tati, mais pas trop quand même, juste un peu quoi, et on arrive sous le préau.
— Tin, on en a pour deux jours à réparer la trotti.
— Ça t’a fait des choses de lui tripoter le mollet à tati ?
— Ben un peu quand même.
— Dis donc, heureusement qu’elle avait pas mal au cul.

Le chef passe à coté de nous.
Alors je regarde le plafond, Christophe regarde le plafond, je regarde mes chaussures, Christophe regarde mes chaussures, on se regarde, et là on se prend un…
— Ça va pas s’passer comme ça messieurs !

Tin, comme y nous méprise çui-la !

Y'a pas l'feu

Dans chaque établissement scolaire, en tout cas les collèges, et pour la sécurité de tous, on procède à des alertes incendie.
Il s’agit de simulations d’évacuation impromptues décidées par le chef d’établissement. Lorsque l’alarme retentit, nous devons faire sortir les élèves, dans le calme, ceux ci laissant leurs affaires sur place, et les mener jusqu’à une zone de sécurité située à distance des bâtiments. L’enseignant doit impérativement prendre avec lui le cahier d’appel afin de s’assurer, lorsque les élèves sont en sécurité, de la présence de tous.
Il arrive lors de certaines alertes, que certains malfaisants profitent de l’aubaine pour voler tout ce qu’ils peuvent dans les classes.
Comme des malpolis.

Lors de la dernière alerte, les élèves me font remarquer qu’on entend l’alarme et qu’il serait bien que je m’en préoccupe.
Je vais dans le couloir, j’entends en effet l’alarme, mais pour être sûr, j’appelle tati depuis mon téléphone de salle.
— Non, on dansait un rock et on est tombé sur l’alarme par hasard, ducon.
Merci tati.

Donc y’a alerte.
Je fais sortir les gamins (des 6e) par la porte du fond, on rejoint la cour et y’a déjà pas mal de classes qui sont en zone sécurité.
Je dirige mon troupeau vers le salut en essayant quand même de les faire ranger par deux, vu qu’il y a des collègues et qu’un semblant d’autorité ne nuirait pas à ma réputation.
Mais penses tu.

On est encore loin de la zone car ma salle est au fond de la cour.
Deux élèves m’interpellent :
— M’sieur, nous on a laissé nos mp3, et si y’a des vols ?
— Ouais… heu… bon allez les chercher vite fait.
Les voilà partis en galopant.
Du coup deux autres font la remarque mais cette fois ci concernant une raquette de ping pong et une somme d’argent destinée à un bouquin d’anglais.
— Bon allez y mais grouillez vous.
Et ainsi de suite.

Je suis donc arrivé en zone sécurité avec deux élèves sur vingt quatre.
Ça fait désordre
Christophe n’a pas manqué de le remarquer :
— T’as gardé qu’les meilleurs ?
— J’t’emmerde.
Tout le collège est là, chaque prof devant ses élèves, procédant à l’appel, et moi devant mes deux gugusses, je fais pareil.
Le principal s’amène avec la principale-adjointe pour observer les résultats de la manip.
Du coup je plonge bien profond dans le cahier d’appel, espérant passer inaperçu tandis que Christophe fait remarquer que j’ai beaucoup d’absents.
Espèce d’enfoiré.
— Monsieur le prof, ou sont vos élèves ?
— Ben… avec les vols… certains sont retournés…
— Donc vous avez laissé une vingtaine d’élèves dans les flammes !
Comme il y va l’principal. Comment qu’y s’prend au jeu lui !
— Ben non… en fait…
Mes vingt gamins arrivent dans un boucan d’enfer, traversent la cour en vionzant, parce qu’un élève de 6e se déplace toujours en courant, c’est à ça qu’on le reconnaît, et se placent dans un bordel immonde devant moi.
Je leur suggère de se mettre en rang, que ça aurait plus de gueule, mais j’t’en foutrais ouais.
Je fais mine de les engueuler mais ils me rappellent fort à propos qu’ils avaient mon accord.
Je les en remercie vivement et leur propose d’en débattre ultérieurement.
Et à ce moment précis, une élève, Fanny, s’approche de moi et me tend ma veste.
— Voilà m’sieur, j’ai bien pensé à prendre votre veste, comme vous l’avez demandé.
Oh quelle est gentille ! La brave petite ! C’est ti pas sympa ça ? Une crème d’élève cette gosse.
— Parce qu’en plus, vous envoyez au feu une élève pour récupérer vos affaires, mais c’est insensé !

Je vois Christophe ricaner ainsi que l’ensemble des collègues et les mamies bien sûr qui n’en demandaient pas tant.
Je pars dans de vagues explications minables qui me voient m’enfoncer d’environ dix mètres.
Et j’entends la principale-adjointe faire remarquer à Christophe que ses élèves ont tous leur cartable sur le dos et que c’est pas normal vu qu’ils sont censés tout laisser sur place.
Le principal les rejoint.
Je sens mes abdominaux secoués par des spasmes réguliers et mes épaules itou, et je retiens difficilement mon fou rire.
Il se fait remonter les bretelles :
— Parce qu’en cas d’incendie, vous leur faites ranger bien comme il faut leurs petites affaires ? C’est ça ? Parce que d’après vous on a largement le temps, c’est ça ?
Je m’approche pour voir Christophe s’enfoncer de quinze mètres et j’ajoute :
— Et en plus, je l’ai vu, il a passé un coup de balai avant de sortir.
Et là, avec Christophe, on part en sucette et on se paie un fou rire, mon vieux, que même le principal a souri.

Bon, le principal donne son ok pour qu’on regagne nos salles et Christophe passe à coté de moi :
— Pauvre inconscient, irresponsable va.
— Psychopathe.

Je ramène mes gamins, Fanny s’approche et me tire la manche :
— M’sieur, pardon pour la veste.
— C’est pas grave Fanny.
— Et la bière ? J’en fais quoi ?