C’est avec regrets que je vous informe que nous sommes dans l’obligation de vous restituer vos enfants dès le cinq juillet au soir.
Sachez que l’ensemble du corps enseignant se joint à moi pour vous faire part de notre infinie tristesse à nous séparer ainsi de votre progéniture. Vous imaginez sans peine le total désœuvrement dans lequel se trouve l’ensemble de la communauté éducative qui voit ainsi le cœur même de son fondement partir en tongs à la playa.
J’aurai une pensée émue de vous savoir, chanceux que vous êtes, profitant de vos enfants, à chaque précieuse seconde des quatre heures que vous passerez au péage de Vienne tandis que moi, vautré dans l’avion, sanglotant aux souvenirs de ces mille anecdotes scolaires, je materai négligemment les gambettes des hôtesses.
Je vous laisse imaginer aussi l’émotion qui m’étreindra lorsque surgiront les souvenirs de ces cours magistraux, où je pris des claques magistrales, tandis que sur une île perdue sur un atoll grec je bronzerai, envahi par la nostalgie et complètement déprimé, et nu, en regardant distraitement flotter un banc de sirènes.
La jalousie m’envahit, car vous les aurez près de vous, au chaud contre votre cœur. Et ce pendant huit semaines, du matin au soir, à les cajoler, à saisir leurs rires éperdus de bonheur, mais aussi, à les faire bouffer, à écouter leurs conneries, alors que moi j’aurai quoi ? Des susurrements, des murmures, des propositions coquines ? Non vraiment la vie est injuste.
Je te vois, maman d’élève, touillant avec grâce la casserole familiale emplie de nouilles, dont je te rappelle que ton grand en reprendra trois fois en buvant du Coca, le lecteur mp3 sur les oreilles, que c’est beau, tandis que ta fille de treize ans taquine gentiment son frère sur ses tongs pointure 45. Alors que moi, pauvre de moi, je m’effondrerai en plein restaurant, à Mayotte, dévasté par le souvenir douloureux du programme de technologie des 6e4 que je n’ai pu achever, tout en repoussant le décolleté torride d’Ursula, laquelle me retrouvera plus tard pleurnichant et manquant me noyer de chagrin dans le jacuzzi où elle me rejoindra exhibant ses atours que je toucherai vaguement mais sans grande conviction, avant de m’évanouir du manque d’élèves. Car lorsque le cœur n’y est pas, il n’y est pas.
Je t’imagine, maman d’élève, gazouillant joyeusement dans l’eau avec tes deux tourteaux au milieu des graciles méduses, alors que dans le même temps, au large de la barrière de corail, en Australie, c’est ravagé par la culpabilité de cette heure de retenue infligée à Kamel alors que je n’avais pas de preuve contre lui, que je repousserai d’un revers de main désabusé les requins et autres raies manta avant de craquer nerveusement et de m’affaler en larmes dans le décolleté de Taïpiti dont les propositions répétées et finalement lassantes m’anéantiront définitivement.
Quel mépris pour mon deuil.
Non vraiment, c’est un moment difficile car ils me manquent déjà.
Alors oui, nous vous les prêtons quelque temps, mais de grâce ! Ramenez-les vite !!
Quant à moi je pars oui, mais vois-tu, quand le cœur n’y est pas, il n’y est pas.
Mais quel salaud de prof ! ! ! !
Vive la rentrée. Nous allons aiguiser nos mômes. RIEN de culturel pendant deux mois. Nous leur lirons nous mêmes les programmes tété pour ne pas fatiguer leurs cerveaux épuisés par dix mois de collège, de la perm à la vie scolaire, de la vie scolaire en cours, du cours au self. Nous détournerons nos chemins des bibliothèques, musées, des monuments, des lieux chargés d’histoire et passerons nos vacances là où il y a des boites de nuits pour jeunes, des vendeurs de tabac pas regardants et des salles multimedia climatisées. Nous installerons enfin des lecteurs de DVD dans la voiture, avec une bonne provision de films d’action sans dialogues. Nous dépenserons l’argent de l’allocation de rentrée scolaire en consoles vidéos. Ils seront parfaits, mûrs à point.
Vraiment parfait ! C’est loupé pour cette année mais promis, l’an prochain, je colle ton article dans le cahier de liaison de mes élèves. Bonnes vacances. A te relire.