
— Ben j’le dirai à mon père !!!!!
C’est ainsi que l’élève Morgnole de 6e4 conclut le vif échange qui l’opposait à Bourzig.
Je ne saurais dire précisément quel était le sujet de leur débat, mais je ne doutai point que l’échauffement résultait d’un frottement entre les trois mousquetaires et les fils de.
Car existent en 6e4 des tensions sociales, précieux héritages transmis dans les familles, pas toujours simples à identifier, car encore faut-il savoir lire entre les lignées, et je me dois d’admettre que Bourzig a bien du mal à se départir d’une certaine propension à taquiner le nanti.
Je réprimandai Bourzig et instaurai le calme, argumentant qu’il n’y avait pas de honte à être riche, qu’il fallait les accepter avec leurs différences, faire preuve de tolérance, qu’ils ne l’avaient pas fait exprès, qu’ils n’avaient pas à payer pour les autres (heu… ), et patin et couffin, enfin bref, le crédo habituel du bon républicain.
Ce n’est pas une première en 6e4 car je dispose de trois fils de nantis, Morgnole, Astapouic et Maltabronk (afin de respecter leur anonymat, je précise que tous les noms ont été changés), fort sympathiques au demeurant, et il m’arrive bien souvent de contenir les soubresauts de ces luttes de classes résiduelles.
Mais qui sont donc ces fils et filles de ?????
Déversés des 4X4 devant le portail à huit heures pétantes, douchés du jour, le cheveu enduit, la houppette bleutée, nuées de visages poupons aux sourires paraboliques, par des parents attendris bien que déprimés par les subprimes, mais qui investissent massivement sur leur progéniture, étant leurs premiers actionnaires, dans l’attente, et c’est tout le mal qu’on leur souhaite, d’un retour sur investissement.
(Chez le pauvre, le retour sur investissement, tu peux t’en faire un scoubidou et te l’accrocher derrière l’oreille. Mais c’est déjà ça, ne soyons point trop ambitieux.)
Les gosses de riches travaillent, ont de bonnes notes, des initiatives, enfin bref, la chienlit quoi.
Et souvent beaux d’ailleurs. Profites-en cher lecteur, toi qui viens souvent ici pour ne pas apprendre grand-chose, pour apprendre un truc : les riches sont beaux.
C’est même à ça qu’on les reconnaît (merci Audiard).
Pourquoi ????
Fastoche : les hommes intelligents et moches épousent des filles cons et belles, ce qui fait des gamins beaux et intelligents.
CQFD.
(Ça m’est venu pendant que je réfléchissais tout en matant les lolos de ma collègue du CDI (90 D, ça fait réfléchir non ??))
L’élève Morgnole de 6e4 est de cette race-là, la race des nantis. Conçu précipitamment dans la soie après une envolée du CAC40, instruit précocement sur son rang par voie ombilicale, informé dès sa naissance que pour lui l’acquis serait inné, et l’inné narrable (putain je me déchire là !!!!), c’est dès la maternelle, qu’on le mit en garde sur ceux qui allaient épandre le lisier nourricier sur le terreau de ses jeunes années : les enseignants. Cohorte hirsute, dépenaillée et braillarde, parasitant une économie de marché bon enfant, le prof, variante à statuts de la fiente d’oursin, dont le coût exorbitant grève dramatiquement des stock-options durement acquis à la sueur du front des autres.
Mais que fait donc ce larron dans notre école publique, alors que le privé semble tout indiqué ???
Selon des sources sûres, Morgnole junior fut choisi parmi la fratrie et mandaté par son père afin d’observer ce qu’il advenait de l’ISF familial, débours douloureux et annuel qui ne manque pas de déprimer le château. Contribution, ou contrition, expiée afin que ces feignants de profs se vautrent dans la luxure de leur salle de classe.
Salauds de profs.
Ces compte rendus précieux étaient remis à l’heure du souper, où chacun glosait à tout va et à qui mieux-mieux, tout en soufflant son velouté, avant que de fêter comme il se doit la délocalisation du jour.
Salauds de riches.
Mais voyons plutôt ce que peut nous dire Shar Li sur les fils et filles de :
« Car vois-tu petit scarabée, si l’amour est enfant de bohême, Johnny n’est le fils de personne. »
Pas grand-chose en fait.
Autre chose Shar Li ???
« Car vois-tu petit scarabée, si le riche mange maigre, le pauvre mange riche, c’est toujours ça de pris. »
Super.
Lorsqu’à la question « As-tu un projet pour plus tard ? », Morgnole avait fait part de son désir d’être juge d’instruction, ou chercheur à la NASA, ou cosmonaute ou chirurgien, précisant qu’il s’accordait le temps de la 6e pour finaliser son choix, je dois dire que d’entendre ça me laissa le cul par terre, et il faut bien dire que ça vous avait une sacrée gueule. Alors vous imaginez bien qu’au fond de la classe, les trois mousquetaires en sont restés comme des ronds de flan. Car chez les Brizouille, Bourzig et Trapugne, l’ambition est modeste, le vœu pieu, l’appétence contenue, et il est hors de question de signer un chèque en blanc sur l’avenir, d’autant qu’il y ait de fortes chances qu’il soit en bois.
Mais l’on peut supposer que Bourzig, par exemple, reprendra l’affaire familiale, la vente de légumes sur les marchés du coin. Le maraichage étant une tradition familiale, un héritage terrien transmis de génération en génération, car chez les Bourzig, il faut le savoir, on bine depuis le moyen-âge. Déjà serf pour le sieur Morgnole, son ancêtre avait épousaillé une fille du pays, une bien belle coquette, fort bien dotée du haut, le reste à l’avenant, et avait biné plus qu’à son tour les terres alentours. Jusqu’à l’arrière-pépé qui, fort de l’instruction républicaine, se rendait à son service militaire, première fois qu’il quittait son Ardèche profonde, et découvrant le Rhône, pensait que c’était la Méditerranée, et la Drôme en face, l’Algérie. Mais ses illustres ancêtres n’avaient pas leur pareil pour vous faire jaillir de la caillasse de pimpantes laitues, et vous bomber de fort avenantes citrouilles.
Ainsi donc, les trois mousquetaires affichent une profonde aversion envers les nantis, qui le leur rendent bien, ces derniers poussant l’outrecuidance jusqu’à faire leurs devoirs à la maison, espèce de petits saligauds, créant de fait, une inégalité inadmissible.
Car enfin, comment faire valoir l’égalité des chances si certains trichent à la maison ????
Mais lourd est le tribut à payer au statut de riche. Car l’élève rupin se fait voler bien plus souvent son vélo, comme quoi y’a une justice et c’est parfaitement dégueulasse. Et par qui je vous le demande ????
Hé oui, par le gueux, le manant, le pauvre, le sans tambour ni trompette, cette graine d’alcoolique, vautrée dans l’oisiveté, terreau du proxénétisme et du trafic de stupéfiants.
Alors bien évidemment, neutralité oblige, l’enseignant n’accordera aucun privilège aux nantis (d’ailleurs ils en ont déjà) au prétexte fallacieux que ce sont eux qui payent.
(Quoique un arrangement est toujours possible, les fêtes approchent, un peu d’argent frais ne serait pas du luxe, je vous fais le point supplémentaire en techno à 50 € (devis détaillé sur simple demande))
Mais il y a pire que les fils et filles de riches.
Oh que oui.
Il y a aussi les fils et filles des collègues.
Et là je peux t’assurer cher lecteur qu’on fait moins les marioles.
Car contrairement à toi parent-lecteur, qu’on ne voit qu’une fois par an quand tu veux bien t’intéresser à ton gosse, les parents des fils et filles de collègues, ben c’est nos collègues, et on se les coltine tous les jours en salle des pofs (c’est rigolo pofs non ??? Et toi ?? T’es pof de quoi ???).
Ça change la donne.
Fini d’insulter les élèves, de bâcler les cours, adieu les siestes clandestines, les coups bas : y’a des cafteurs dans la classe.
D’autant que certains de ces élèves te connaissent déjà, pour t’avoir vu lors de soirées entre profs, pendant la phase karaoké, ânonner de façon poignante une chanson de Claude François, puis t’élancer tel Travolta sur le parquet fraichement ciré, où tu t’es pris une gamelle, mon pauvre, mais heureusement, dans la foulée, tu t’es fait beaucoup plus discret, grâce à un opportun coma éthylique.
Et tu assumes difficilement cette situation.
Tu le vis mal.
Tu m’étonnes.
Alors comment punir sauvagement en toute quiétude lorsque que l’intéressé est le fruit des entrailles de ta collègue de SVT ???? Hein ???? Au risque de plomber l’ambiance à la cantine ??? De compromettre gravement ton accès au catalogue de la Camif ???
Tiens, une fois, j’avais puni la fille d’une collègue, une chieuse celle-là (la fille, pas la collègue, mais bon, comme les chiens font pas des chats… ), ben je me suis fait alpaguer en salle mortuaire pasque soi-disant j’y avais été un peu fort au niveau de la punition. Bon, elle me l’a fait remarquer en souriant, c’est vrai.
Hé bien j’me suis pas démonté, non mais oh !!! J’ai divisé la punition par deux !!! Un vrai faux-cul !!!!!
Bon, en même temps, j’avais pas le choix, elle avait mon fils en SVT.
En otage quoi.
Hé oui cher lecteur, les vrais privilégiés chez nous, c’est les merdeux des collègues.