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Nous sommes de retour

charly le profAdieu interminable été où nous fûmes bannis de vous, exsudant sur des sables exotiques, le mollet triste, l’orteil fade et la truffe terne.

Car nous sommes de retour !!

Sonnez trompettes !! Tintez olifants !! Chantez guimbardes !!
Oui !! Nous sommes de retour !!

(Ouais. C’est beau l’enthousiasme, on en reparlera lundi.)

Avec rivée aux tripes, l’envie d’en découdre…

(Ouais, c’est un poil exagéré, je te l’accorde cher lecteur mais j’ai décidé de tester la méthode Coué et je te dirai si ça marche. Là tout de suite : non.)

Nous sommes de retour.
La rage comme punaisée au corps, le mental affûté tel un brise-glace, et le mors aux dents.

(Ouais bon, ça c’est la théorie, dans le monde vrai, je galère à mort pour me lever avant 10h00 et j’ai toujours pas retrouvé mon cartable.)

Des guerriers, qu’on se le dise !!

(Ouais, le disez pas trop non plus, laissez-nous quelques semaines, le temps de réviser les programmes quoi. Au fait, vous avez reçu vos fiches de paye de juillet vous ??)

We are back to fight them !!

(Ouais, j’sais pas qui va fighter qui, mais je vous tiens au courant.)

Nous sommes de retour.
Motivés comme jamais pour badigeonner de savoirs la cohorte d’infâmes.

(Prévois plusieurs couches. Hé, vous avez vos emplois du temps vous ?? Pasque moi y m’ont niqué le mardi.)

BANZAÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏ !!!!!

(New York avec moi en octobre, y’a pas une prof d’allemand que ça intéresse ??)

Chers parents

tong_75C’est avec regrets que je vous informe que nous sommes dans l’obligation de vous restituer vos enfants dès le cinq juillet au soir.

Sachez que l’ensemble du corps enseignant se joint à moi pour vous faire part de notre infinie tristesse à nous séparer ainsi de votre progéniture. Vous imaginez sans peine le total désœuvrement dans lequel se trouve l’ensemble de la communauté éducative qui voit ainsi le cœur même de son fondement partir en tongs à la playa.

J’aurai une pensée émue de vous savoir, chanceux que vous êtes, profitant de vos enfants, à chaque précieuse seconde des quatre heures que vous passerez au péage de Vienne tandis que moi, vautré dans l’avion, sanglotant aux souvenirs de ces mille anecdotes scolaires, je materai négligemment les gambettes des hôtesses.

Je vous laisse imaginer aussi l’émotion qui m’étreindra lorsque surgiront les souvenirs de ces cours magistraux, où je pris des claques magistrales, tandis que sur une île perdue sur un atoll grec je bronzerai, envahi par la nostalgie et complètement déprimé, et nu, en regardant distraitement flotter un banc de sirènes.

La jalousie m’envahit, car vous les aurez près de vous, au chaud contre votre cœur. Et ce pendant huit semaines, du matin au soir, à les cajoler, à saisir leurs rires éperdus de bonheur, mais aussi, à les faire bouffer, à écouter leurs conneries, alors que moi j’aurai quoi ? Des susurrements, des murmures, des propositions coquines ? Non vraiment la vie est injuste.

Je te vois, maman d’élève, touillant avec grâce la casserole familiale emplie de nouilles, dont je te rappelle que ton grand en reprendra trois fois en buvant du Coca, le lecteur mp3 sur les oreilles, que c’est beau, tandis que ta fille de treize ans taquine gentiment son frère sur ses tongs pointure 45. Alors que moi, pauvre de moi, je m’effondrerai en plein restaurant, à Mayotte, dévasté par le souvenir douloureux du programme de technologie des 6e4 que je n’ai pu achever, tout en repoussant le décolleté torride d’Ursula, laquelle me retrouvera plus tard pleurnichant et manquant me noyer de chagrin dans le jacuzzi où elle me rejoindra exhibant ses atours que je toucherai vaguement mais sans grande conviction, avant de m’évanouir du manque d’élèves. Car lorsque le cœur n’y est pas, il n’y est pas.

Je t’imagine, maman d’élève, gazouillant joyeusement dans l’eau avec tes deux tourteaux au milieu des graciles méduses, alors que dans le même temps, au large de la barrière de corail, en Australie, c’est ravagé par la culpabilité de cette heure de retenue infligée à Kamel alors que je n’avais pas de preuve contre lui, que je repousserai d’un revers de main désabusé les requins et autres raies manta avant de craquer nerveusement et de m’affaler en larmes dans le décolleté de Taïpiti dont les propositions répétées et finalement lassantes m’anéantiront définitivement.
Quel mépris pour mon deuil.

Non vraiment, c’est un moment difficile car ils me manquent déjà.

Alors oui, nous vous les prêtons quelque temps, mais de grâce ! Ramenez-les vite !!

Quant à moi je pars oui, mais vois-tu, quand le cœur n’y est pas, il n’y est pas.

Humectons la nuque du corps enseignant avant de le plonger dans le grand bain

charly le profJe te salue Ô Prof, qui va d’ici moins de temps qu’il n’en faut pour évacuer un camp de roms rejoindre la cohorte des affamés de savoirs qui hululent la nuit devant ta fenêtre quémandant leur pitance.

Tu te demandes bien pourquoi d’ailleurs car depuis le temps que tu ne glandes rien, tu ne connais plus vraiment ton statut. Mère au foyer ?? Chômeur longue durée ?? Polyhandicapé ??? Testeur chez Meetic ??

Et tu vis dans le doute.

Mais non !! Rien de tout ça !! Tu es prof en vacances !!!!

Oui, tu es prof, demande à tes amis, ils confirmeront. Si le doute persiste, regarde bien le nombre figurant au bas de ta fiche de paye, en bas à gauche, voilà c’est ça, et bien ça c’est prof. Et tu vois le cartable là dans ton bureau ?? Dans lequel t’as shooté tout l’été en le traitant de noms pas bien polis ?? Ben c’est ton cartable, si si.

Bien sûr, ta dégaine estivale t’a fait perdre toute crédibilité auprès de tes voisins ainsi que le petit brin de dignité dont tu étais si fière mais je t’assure, tu es prof.

Mais c’est vrai que depuis deux mois que tu claques des tongs dans le quartier affublé d’un short improbable et du tee-shirt idoine (et ce bob, mais vire-moi ce bob merde !!), tu as largement oublié quelle était l’origine des virements bancaires mensuels qui viennent ponctuer ta morne vie mais qui égaient tant ta vie de couple.
Hé bien tu dois le savoir : c’est ton salaire !!!

— Tu déconnes ??

Non non, c’est la vraie vérité, de la pure, comme dirait mon coquin de petit voisin de 9 ans qui fait le guet au coin de l’immeuble pour ses frères jusqu’à 23h00 dans un esprit de fratrie exemplaire et particulièrement émouvant.

Hé oui prof, tu as une activité professionnelle.

Ne prends pas cet air ahuri, non, je répète, ce ne sont pas des indemnités chômage, ni le remboursement de ton appareil dentaire, c’est ton salaire.
Alors évidemment je t’entends déjà t’exclamer : « Un salaire ?? Mais j’ai rien fait !!! »
Ça, on le sait, ça s’est vu, si tu pouvais être plus discret, merci.

Donc tu as un travail, qui porte un nom d’ailleurs : enseignant.
— Enseignant ??? Mais c’est quoi enseignant ??

Allons, calme-toi, Google te renseignera abondamment sur ce noble métier, profites-en pour faire une recherche sur « travail » et tu auras une vague idée de ce qui t’attend dans une semaine.

Voilà.

Tu as bien fait de t’asseoir, ça fait un choc c’est sûr, mais rassure-toi, tu n’es pas seul, et moi qui te parle (ou qui t’écris, ouais ça va, fais pas chier) je ne sais même plus où se trouve mon collège. Donc je pars en reconnaissance dès demain et j’ai pris de la bouffe pour trois jours.

Mais le plus difficile selon moi, ce sera le réveil.
— Réveil ?? C’est quoi réveil ??

Hé bien pour faire la chose qu’on appelle « activité professionnelle » il faut se lever le matin à une heure compatible avec la vie terrestre, c’est-à-dire avant midi.

— C’est une blague ??

Mais pas d’inquiétude !! Crénom !!! Se lever ne veut pas dire se réveiller !! Ça, tu pourras toujours le faire plus tard, tes élèves seront une aide précieuse pour ça.

— Élèves ?? C’est quoi l’arnaque ??

Ah oui, tu verras, dans les salles qu’on appelle « classe », y’a plein de monde. Bon, te formalise pas, c’est prévu dans les textes, alors pas de scandale je te prie.

Alors c’est bon ?? Ça revient ?? Ça va ?? Pas trop sonné ???
Ben ouais mais fallait bien que quelqu’un en parle, ça évite les mauvaises surprises.

Chers élèves

C’est avec beaucoup de gravité que l’ensemble des enseignants vous informe que les cours cesseront le 2 juillet 2009 au soir. Cette mesure est définitive et ne fera l’objet d’aucune négociation (elle concerne également les cours de maths). Bien conscients de la violence de cette injonction, et si tant est qu’il soit possible d’atténuer votre colère, nous tenons à préciser que nous ne nous associons en aucune façon à cette décision, d’autant que nous ne sommes pas épargnés puisque cette mesure s’étend à l’ensemble des enseignants.

Aussi, c’est une communauté éducative consternée par cette échéance qui se joint à moi pour vous faire part de son affliction, et vous assurer qu’elle n’aura de cesse de trouver les responsables de cette décision.

Toutefois, chers élèves, nos chers pioupious, je vous demanderai de conserver votre calme et de rester dignes, comme l’année dernière où vous fîtes preuve d’une extrême pudeur, acceptant ces deux mois de vacances crânement, dissimulant votre détresse derrière quelques bravades, un bonheur de façade touchant, mais aussi un bordel sans nom, que vous eûtes la délicatesse d’agrémenter de quelques doigts d’honneur bon enfant.

Merci d’avance.

Je n’aurai pas l’indécence de vous révéler les drames personnels qui affligent la communauté des enseignants depuis cette annonce. Aussi jetterai-je nonchalamment un voile pudique sur les scènes de désolation ayant lieu en salle des profs, où le fait de ne plus vous voir pendant deux mois a plongé nombre d’entre-nous (moi, pas trop) dans des états de prostration proche d’un autisme radical. Cette pathologie plus connue sous le nom de « syndrome foudroyant de quand y’a plus d’élèves », peut provoquer par effet de compensation, des états de bonheur artificiels proches de ceux produits par l’injection massive d’héroïne coupée avec de la colle à rustine savamment dilué dans de la moutarde de Dijon. Ce syndrome est caractérisé par des troubles du comportement alarmants, amenant certains, voulant faire bonne figure, à masquer leur pathologie sous d’anodines questions du style : « Et toi ?? Tu retournes en Bretagne ??? ». Ou d’autres, se voulant débonnaires face au vide abyssal de votre absence, niant le deuil à venir : « Nous, on file les gamins aux parents et on s’barre en Italie !! ». Je préserverai l’anonymat de cette prof d’anglais sur le point de s’automutiler, qui sous des airs badins faussement désinvoltes, dans un total déni du réel, ânonnait à la cantonade : « Cette année, c’est bronzette à Bandol !!! Et j’m’en fous, je retente le deux-pièces !! ».

En faut-il du courage pour se voiler ainsi la fesse face.

Mais personne n’est dupe du drame qui ourdit dans ce total non-dit.

J’ai à mon tour tenté une diversion à l’accablement général par une phrase timidement teintée d’humour, quoique désabusée, mais où suintait ma déprime profonde « Moi je retourne en Grèce, t’as de ces nanas là-bas, tu verrais les lolos !!!!! » Mais je ne fis pas illusion, et ne pouvant me mentir, c’est un torrent de sanglots qui ponctua mon propos.

Ah mes chers élèves, mes gaufrettes.

Et que dire de votre prof de SVT, ce cher Christophe. Sachez que c’est un homme à bout, anéanti par l’épreuve, déambulant hagard, livide, qui tituba en direction d’un des nombreux ordinateurs de la salle (deux en fait), où là, tapotant au hasard sur le clavier déjà mouillé de son chagrin, je le vis réserver in extremis trois semaines aux Canaries en pension complète et déjeuner compris. À cet instant, bouleversé par ce spectacle, tentant de le soutenir dans l’épreuve, je simulai pour le distraire un intérêt pour la gente féminine « Hé, y’a de la nana là-bas mon salaud !!! Réserve pour moi aussi !!! ». Ce qu’il fit sur le champ, secoué par les sanglots, me mettant dans la délicate situation d’être entouré de nanas pendant trois semaines.
Mais l’amitié n’a pas de prix (contrairement à trois semaines aux canaries, putain, mon salaud).

Je n’ose vous décrire les scènes d’hystérie qui virent certains vider d’un geste rageur le contenu de leur casier afin d’y trouver une ultime convocation, mais feignant à s’y méprendre l’indifférence par des sourires radieux, dans un constant déni du réel, signe avant coureur d’un jmenfoutisme estival et communicatif, beurk, poussant l’hypocrisie jusqu’à me provoquer, proposant d’aller « boire un pot », et de « s’faire un p’tit resto dans la foulée », ultime fanfaronnade du prof bafoué, mais pathétique bravade, à laquelle je souscrivis afin de ne pas les laisser seuls, suggérant même par pure démagogie, et peur des représailles, une « sortie en boite de nuit », pour en finir.

Toutefois, chers élèves, mes chers élèves, mes calissons, si vous le souhaitez, nous pouvons rester et faire fi des décisions du cartel d’irresponsables qui nous gouvernent. Il vous suffit d’en faire la demande (par contre, je vous demanderai de nous contacter assez vite, car il y a de fortes chances que nous ne trainaillions pas de façon excessive le 2 juillet).

Avant la séparation définitive, je vous propose de communier ensemble une dernière fois. À cette fin, je vous enjoins ce jour-là de vous poster près du portail du collège, afin de voir vos enseignants quitter pour la dernière fois de l’année l’établissement.

Petit instant d’émotion à partager.

Mais aussi pour vous, une occasion en or d’assister à un départ de grand prix de Formule 1, car je peux vous assurer qu’en général ce jour-là, on traine pas trop à papoter !!!! (Pardon pour ce dérapage, mais j’essaie de faire bonne figure, croyez bien qu’il m’en coûte.)
Je tiens à préciser à cet égard, que même les profs qui viennent en vélo sont vraiment impressionnants, alors pensez à vous tenir à distance !!! Et n’essayez pas de nous faire coucou, à ces vitesses, on vous verrait pas !!! (Pardon pour ce nouveau dérapage, c’est les nerfs, deux mois c’est long.)

Mes Chers élèves, mes pioupious, mes gaufrettes, mes calissons, déjà tout me manque de vous, de vos airs mutins à vos mutineries, je vous laisse donc, par un peu de poésie : adieu !!!! Veaux !!! Vaches !!! Cochons !!! Couvée !!!!!! Et vivement la rentrée !!!!!

(Putain, c’est trop dur, je craque là.)

Priorité adroite

Aujourd’hui, je souhaiterais évoquer pour toi lecteur une anomalie que je constate chaque jour avec navrement.

Je me faisais cette remarque à la cantine ce midi, où l’on retrouve quasiment tous les gamins.

Nous arrivions avec Cricri, Tati, Isabelle, et quelques autres, une bonne dizaine en fait, et ils étaient là.
Alors, comme cela se fait dans tous les collèges de France, lorsqu’on se pointe à la cantine, et que l’on voit tous ces gamins affamés, délicieusement ordonnés en file indienne, attendre patiemment leur tour, eh bien nous sommes émus.

Oui, ils sont touchants.

Mais on n’a pas trop le temps de s’émouvoir, pasque nous on va bouffer, et là, nous on rigole plus. Pis comme on est méga pressés de s’empiffrer, on les double tous, à fond, et du coup, tous les gamins reculent de dix places dans la file, et on peut pas bien les suivre des yeux, pasque ça va très vite en fait, donc c’est pas facile de bien s’émouvoir comme on voudrait.

Ben vi, nous les profs, à la cantine, on passe prem’s,

Pasqu’on est prioritaires.

Allez hop, vire-toi de là gamin, nous on va bâfrer.

Quand il s’agit de bouffer, l’enfant n’est plus au cœur du système éducatif, mais légèrement excentré, et c’est nous qu’on est au cœur.

D’ailleurs, il l’a dit le ministre de Paris :
« Car si l’enfant est au cœur du système éducatif, le prof est au cœur du service de cantine ».

C’est pourri, c’est dégueulasse, et parfois, de passer devant eux, on pourrait croire que ça nous fait des états d’âme, ou que ça nous coupe l’appétit, ben pas du tout.

(Le seul truc qui peut nous couper l’appétit, c’est la semaine du goût. Ouais pasque c’était la semaine du goût ces jours, cuisine ethnique et tout le fourbi, putain, j’ai rien contre la cuisine équitable, (c’est vrai, bien qu’une fois absorbée, je trouve la période d’incubation un poil trop courte), mais la Sopa de fideos aux salmonelles on est obligés ???? Ouais, pasqu’à entendre la collègue du CDI, y’a de très bonnes tables au Mexique, sans dèc, tu m’étonnes qu’ils émigrent en masse. Lundi on avait soupe bolivienne, avec des parfums super sympas, des petits légumes, et quelques bactéries bien sûr, sinon ce serait pas drôle (d’ailleurs les bactéries, elles pétaient la forme, ça j’peux vous l’assurer). Alors avec Cricri, on appelle ça la semaine « Fidèle Gastro », le tribut à payer à la mondialisation. Hé, sans dèc, si tu fais pas gaffe, tu sors de table, t’es raciste. Quant aux goûts et couleurs qui ne se discutent pas, ben avec Christophe on n’est pas d’accord, on veut en discuter, et tout de suite !!!! Figure-toi cher lecteur que jeudi y’avait steak frites, putain, pour la semaine du goût, ils ne se sont pas automutilés les nutritionnistes !!! Saveurs des Flandres, tu le crois ça ?!?! Remarque, y’a pas que des inconvénients, mardi y’avait bouillon péruvien, ben moi qui ai l’habitude de lire aux toilettes, ben j’ai eu largement le temps de me taper l’intégrale de Victor Hugo et du Seigneur des Anneaux.)

Bon, j’arrête les conneries, je reprends mon sérieux.

(Mais quand même, obligé de colmater tous les soirs avec du riz nature pour retrouver une certaine étanchéité.)

Ok, ce coup-ci j’arrête, c’est juste pour rigoler, en fait c’est plutôt sympa cette semaine du goût

(Surtout quand ça se termine. Non j’déconne. Allez, j’enchaîne, si tu sais plus où t’en es lecteur, tu reprends au début, mais ce coup-ci, tu sautes le passage sur la cuisine ethnique, tu verras, le texte gagne en clarté, et tout devient limpide (si j’ose dire), pasqu’en fait le sujet à l’origine, c’est le doublage des gamins à la cantoche.)

Et je revois encore ce petit 6e, mort de faim, après une demi-journée à trimer dur, avec son petit plateau, ses petits couverts, tendant maladroitement la main pour saisir sa petite entrée, et se retrouver comme par magie reculé de dix places dans la file car nous arrivions.

Poignant.

Sans dèc, ça m’a fait comme une boule au ventre.

(Non, ça c’était le chili con carne)

Et pas un ne moufte.

(Ouais, rapport à la semaine du goût, là y’a Christophe qui me souffle « Hé, y font des soupes chez Microlax ??? », il est con. Hé !!! C’est pas moi lecteur !! C’est Christophe !!!!)

Et je vois dans leurs petits yeux une candide stupeur, leur cœur au bord des larmes, séparés par une dizaine de profs des œufs mayo.
Oh bien sûr, certains parfois font des petites remarques, mais c’est bon enfant, jamais agressif, et puis bon, quand tu te retrouves mitraillé par une dizaine de regards de profs morts de faim, je peux t’assurer que tu la ramènes moins, pis t’as la révolte modeste, la velléité confuse, n’est pas Jean Moulin qui veut (ou François Beyrou, tu choises).

Hé oui cher lecteur, prof affamé n’a pas d’oreilles et encore moins de scrupules.

Mais bordel, quand t’as la dalle, t’as la dalle merde !!!

Fils et filles de

— Ben j’le dirai à mon père !!!!!

C’est ainsi que l’élève Morgnole de 6e4 conclut le vif échange qui l’opposait à Bourzig.

Je ne saurais dire précisément quel était le sujet de leur débat, mais je ne doutai point que l’échauffement résultait d’un frottement entre les trois mousquetaires et les fils de.

Car existent en 6e4 des tensions sociales, précieux héritages transmis dans les familles, pas toujours simples à identifier, car encore faut-il savoir lire entre les lignées, et je me dois d’admettre que Bourzig a bien du mal à se départir d’une certaine propension à taquiner le nanti.

Je réprimandai Bourzig et instaurai le calme, argumentant qu’il n’y avait pas de honte à être riche, qu’il fallait les accepter avec leurs différences, faire preuve de tolérance, qu’ils ne l’avaient pas fait exprès, qu’ils n’avaient pas à payer pour les autres (heu… ), et patin et couffin, enfin bref, le crédo habituel du bon républicain.

Ce n’est pas une première en 6e4 car je dispose de trois fils de nantis, Morgnole, Astapouic et Maltabronk (afin de respecter leur anonymat, je précise que tous les noms ont été changés), fort sympathiques au demeurant, et il m’arrive bien souvent de contenir les soubresauts de ces luttes de classes résiduelles.

Mais qui sont donc ces fils et filles de ?????

Déversés des 4X4 devant le portail à huit heures pétantes, douchés du jour, le cheveu enduit, la houppette bleutée, nuées de visages poupons aux sourires paraboliques, par des parents attendris bien que déprimés par les subprimes, mais qui investissent massivement sur leur progéniture, étant leurs premiers actionnaires, dans l’attente, et c’est tout le mal qu’on leur souhaite, d’un retour sur investissement.
(Chez le pauvre, le retour sur investissement, tu peux t’en faire un scoubidou et te l’accrocher derrière l’oreille. Mais c’est déjà ça, ne soyons point trop ambitieux.)

Les gosses de riches travaillent, ont de bonnes notes, des initiatives, enfin bref, la chienlit quoi.

Et souvent beaux d’ailleurs. Profites-en cher lecteur, toi qui viens souvent ici pour ne pas apprendre grand-chose, pour apprendre un truc : les riches sont beaux.
C’est même à ça qu’on les reconnaît (merci Audiard).
Pourquoi ????
Fastoche : les hommes intelligents et moches épousent des filles cons et belles, ce qui fait des gamins beaux et intelligents.
CQFD.
(Ça m’est venu pendant que je réfléchissais tout en matant les lolos de ma collègue du CDI (90 D, ça fait réfléchir non ??))

L’élève Morgnole de 6e4 est de cette race-là, la race des nantis. Conçu précipitamment dans la soie après une envolée du CAC40, instruit précocement sur son rang par voie ombilicale, informé dès sa naissance que pour lui l’acquis serait inné, et l’inné narrable (putain je me déchire là !!!!), c’est dès la maternelle, qu’on le mit en garde sur ceux qui allaient épandre le lisier nourricier sur le terreau de ses jeunes années : les enseignants. Cohorte hirsute, dépenaillée et braillarde, parasitant une économie de marché bon enfant, le prof, variante à statuts de la fiente d’oursin, dont le coût exorbitant grève dramatiquement des stock-options durement acquis à la sueur du front des autres.

Mais que fait donc ce larron dans notre école publique, alors que le privé semble tout indiqué ???

Selon des sources sûres, Morgnole junior fut choisi parmi la fratrie et mandaté par son père afin d’observer ce qu’il advenait de l’ISF familial, débours douloureux et annuel qui ne manque pas de déprimer le château. Contribution, ou contrition, expiée afin que ces feignants de profs se vautrent dans la luxure de leur salle de classe.

Salauds de profs.

Ces compte rendus précieux étaient remis à l’heure du souper, où chacun glosait à tout va et à qui mieux-mieux, tout en soufflant son velouté, avant que de fêter comme il se doit la délocalisation du jour.

Salauds de riches.

Mais voyons plutôt ce que peut nous dire Shar Li sur les fils et filles de :
« Car vois-tu petit scarabée, si l’amour est enfant de bohême, Johnny n’est le fils de personne. »
Pas grand-chose en fait.

Autre chose Shar Li ???
« Car vois-tu petit scarabée, si le riche mange maigre, le pauvre mange riche, c’est toujours ça de pris. »

Super.

Lorsqu’à la question « As-tu un projet pour plus tard ? », Morgnole avait fait part de son désir d’être juge d’instruction, ou chercheur à la NASA, ou cosmonaute ou chirurgien, précisant qu’il s’accordait le temps de la 6e pour finaliser son choix, je dois dire que d’entendre ça me laissa le cul par terre, et il faut bien dire que ça vous avait une sacrée gueule. Alors vous imaginez bien qu’au fond de la classe, les trois mousquetaires en sont restés comme des ronds de flan. Car chez les Brizouille, Bourzig et Trapugne, l’ambition est modeste, le vœu pieu, l’appétence contenue, et il est hors de question de signer un chèque en blanc sur l’avenir, d’autant qu’il y ait de fortes chances qu’il soit en bois.

Mais l’on peut supposer que Bourzig, par exemple, reprendra l’affaire familiale, la vente de légumes sur les marchés du coin. Le maraichage étant une tradition familiale, un héritage terrien transmis de génération en génération, car chez les Bourzig, il faut le savoir, on bine depuis le moyen-âge. Déjà serf pour le sieur Morgnole, son ancêtre avait épousaillé une fille du pays, une bien belle coquette, fort bien dotée du haut, le reste à l’avenant, et avait biné plus qu’à son tour les terres alentours. Jusqu’à l’arrière-pépé qui, fort de l’instruction républicaine, se rendait à son service militaire, première fois qu’il quittait son Ardèche profonde, et découvrant le Rhône, pensait que c’était la Méditerranée, et la Drôme en face, l’Algérie. Mais ses illustres ancêtres n’avaient pas leur pareil pour vous faire jaillir de la caillasse de pimpantes laitues, et vous bomber de fort avenantes citrouilles.

Ainsi donc, les trois mousquetaires affichent une profonde aversion envers les nantis, qui le leur rendent bien, ces derniers poussant l’outrecuidance jusqu’à faire leurs devoirs à la maison, espèce de petits saligauds, créant de fait, une inégalité inadmissible.
Car enfin, comment faire valoir l’égalité des chances si certains trichent à la maison ????

Mais lourd est le tribut à payer au statut de riche. Car l’élève rupin se fait voler bien plus souvent son vélo, comme quoi y’a une justice et c’est parfaitement dégueulasse. Et par qui je vous le demande ????
Hé oui, par le gueux, le manant, le pauvre, le sans tambour ni trompette, cette graine d’alcoolique, vautrée dans l’oisiveté, terreau du proxénétisme et du trafic de stupéfiants.
Alors bien évidemment, neutralité oblige, l’enseignant n’accordera aucun privilège aux nantis (d’ailleurs ils en ont déjà) au prétexte fallacieux que ce sont eux qui payent.
(Quoique un arrangement est toujours possible, les fêtes approchent, un peu d’argent frais ne serait pas du luxe, je vous fais le point supplémentaire en techno à 50 € (devis détaillé sur simple demande))

Mais il y a pire que les fils et filles de riches.

Oh que oui.

Il y a aussi les fils et filles des collègues.

Et là je peux t’assurer cher lecteur qu’on fait moins les marioles.
Car contrairement à toi parent-lecteur, qu’on ne voit qu’une fois par an quand tu veux bien t’intéresser à ton gosse, les parents des fils et filles de collègues, ben c’est nos collègues, et on se les coltine tous les jours en salle des pofs (c’est rigolo pofs non ??? Et toi ?? T’es pof de quoi ???).

Ça change la donne.

Fini d’insulter les élèves, de bâcler les cours, adieu les siestes clandestines, les coups bas : y’a des cafteurs dans la classe.
D’autant que certains de ces élèves te connaissent déjà, pour t’avoir vu lors de soirées entre profs, pendant la phase karaoké, ânonner de façon poignante une chanson de Claude François, puis t’élancer tel Travolta sur le parquet fraichement ciré, où tu t’es pris une gamelle, mon pauvre, mais heureusement, dans la foulée, tu t’es fait beaucoup plus discret, grâce à un opportun coma éthylique.

Et tu assumes difficilement cette situation.

Tu le vis mal.

Tu m’étonnes.

Alors comment punir sauvagement en toute quiétude lorsque que l’intéressé est le fruit des entrailles de ta collègue de SVT ???? Hein ???? Au risque de plomber l’ambiance à la cantine ??? De compromettre gravement ton accès au catalogue de la Camif ???

Tiens, une fois, j’avais puni la fille d’une collègue, une chieuse celle-là (la fille, pas la collègue, mais bon, comme les chiens font pas des chats… ), ben je me suis fait alpaguer en salle mortuaire pasque soi-disant j’y avais été un peu fort au niveau de la punition. Bon, elle me l’a fait remarquer en souriant, c’est vrai.
Hé bien j’me suis pas démonté, non mais oh !!! J’ai divisé la punition par deux !!! Un vrai faux-cul !!!!!

Bon, en même temps, j’avais pas le choix, elle avait mon fils en SVT.
En otage quoi.

Hé oui cher lecteur, les vrais privilégiés chez nous, c’est les merdeux des collègues.

I have a dream

Toi aussi tu rêves d’être un jour prof de 6e4.
Et comme je te comprends.

Alors bien sûr tu as entrepris des démarches, t’es documenté, et tu as même entendu ton petit neveu faire cette remarque en mangeant sa purée :
— Moi quand je s’rais grand, j’veux être prof de 6e4… ou pompier.

Que c’est mignon.

Mais je te dois te faire un aveu. À la rentrée, c’est vrai qu’il y avait les 6e4, mais ce que je me suis bien gardé de te dire, c’est qu’il y avait aussi les 3e6.

Bon, je les aime bien les 3e6, mais pour être franc, je ne dispose pas à ce jour de preuves tangibles d’une quelconque réciprocité de ces sentiments.

Une des caractéristiques du 3e6, c’est qu’il connaît parfaitement ses droits, et si par malheur tu venais à l’oublier, rassure-toi, il se fera un plaisir de rafraîchir ta mémoire de vieux con. Bon, la notion de droits chez le 3e6 est très particulière. C’est une notion qu’ils se sont véritablement appropriés. Bien que le mot « séquestrés » me paraisse plus adapté à décrire la situation, car seuls de mauvais traitements subis par ces fameux droits, peuvent expliquer leur extrême partialité, voire le p’tit chouia de mauvaise foi qui énerve pas du tout.

Mais bon, faire cours à une classe de téléphones portables, c’est vachement sympa.

Ceux que je préfère, ce sont les Nokia. Mais bon, c’est normal, c’est le haut de gamme. Les Sony-Ericsson sont pas mal non plus, et j’ai aussi quelques Motorolla tout à fait agréables. Par contre, j’ai beaucoup de problèmes avec deux Samsung au fond de la classe, notamment le SGH-U700, celui avec le couvercle coulissant, je pense que s’il continue à sonner comme ça, intempestivement, je vais lui confisquer son élève.
Le seul avantage du Samsung, c’est qu’il ne pèse pas lourd. Par contre, il dispose de peu de mémoire et ses capacités de stockage sont donc très limitées. Contrairement aux Nokia qui de plus, affichent toujours de bonnes résolutions.

Et franchement, les portables, ça nous rend trop service à nous les profs. Parce que ça devenait vraiment trop facile d’enseigner, c’est vrai, on finissait par s’emmerder. En plus, avec les lecteurs mp3 qu’on voit même pas, et ben on est très contents parce que ça corse encore un peu plus le truc, ça met du piment quoi, et pis ça crée du lien, pasque putain, quand j’en choppe un…
Pis j’viens d’apprendre que la télé sur les portables c’est pour bientôt, je ne vous cache pas que je me languis, c’est trop d’la balle.
Mais c’est surtout un vrai test pour les nerfs, pasque quand t’en as confisqué un, et ben c’est pas facile de pas le faire tomber sans faire exprès, et de ne pas marcher dessus par inadvertance.

Ils sont marrants les 3e6. Je repère très vite quand ils jouent avec leur appendice. D’abord, ils sont anormalement calmes, studieux, et ils me regardent, comme s’ils me voyaient, j’vous jure, à la limite, ça fait peur. Et même certains ont l’air de réfléchir, je vous assure, c’est bluffant. Seulement voilà, un détail ne m’a pas échappé, aucun d’entre eux n’a les mains sur son bureau, car elles sont occupées à manipuler l’ustensile, dès que j’ai le dos tourné, cela va sans dire.

Alors évidemment, ils sont persuadés que vous ne voyez rien, que vous n’avez pas du tout repéré leur petit manège, que vous êtes un gros nul quoi. C’est un peu vexant, c’est sûr, mais bon, comme vous allez leur coller un bon petit contrôle surprise, que vous m’en direz des nouvelles, dans moins d’un quart d’heure, vous reprenez confiance en vous. Mais qu’on soit bien d’accord, y’a pas de méchanceté de votre part, et encore moins de vengeance, et c’est surtout pas pour les faire chier, c’est le boulot quoi. D’ailleurs, ça fait toujours un petit pincement au cœur de savoir qu’ils vont se prendre une bonne grosse gamelle, mais que faire, il faut bien que quelqu’un évalue l’acquisition des connaissances, puisque celle des portables est déjà faite.

Pis des fois, j’en confisque. Mais faut avoir le cœur bien accroché pasque c’est comme si tu leur coupais un bras. Encore qu’un bras soit un mauvais exemple, pasque franchement, pour ce qu’ils s’en servent. Mais il faut être très psychologue, pasque le portable, c’est leur point faible. Et je culpabilise parce que du coup, et ça c’est terrible, leur vie n’a plus aucun sens. Sans compter que pour certains, c’est 80% de leur personnalité qui s’en va, et les adieux sont déchirants.

Je sais, je suis trop émotif.

Du coup, ils régressent grave, et même des fois, mais c’est qu’ils deviendraient méchants ces cons !!!

Hé oui, car si la vie d’un prof de 6e4 est un long fleuve tranquille, celle d’un prof de 3e6 est plus proche de la séance de canyoning en pleine saison des crues, avec comme seuls équipements, ton short et tes tongs.

Poisson d’avril !!!!!

Bon, bien sûr, ce jour-là, je remarque à peine que les élèves m’observent bizarrement, se demandant sans doute comment me coller dans le dos leur poisson d’avril long comme mon bras, sans se faire gauler.

Mais ce jour-là, bon prince, je deviens insensible du dos, et je ne sens quasiment pas la main tremblante, mais courageuse, qui essaie d’appuyer le scotch, putain ça tient pas ce truc, bien que souvent je trouve ça un peu long. Mais lorsque j’estime qu’il a eu sa chance, je reprends mes activités, en ne sachant quasiment pas que j’arbore en mon verso, un de ces poissons approximatifs, ou malades, dont l’œil géométrique et blafard, en dit long sur l’état de nos rivières et la pollution des océans.

C’est mon humble contribution à cette fête poissonneuse.
Et c’est ainsi que nous vaquons, eux pouffant tant qu’ils en peuvent, et moi, prenant l’air étonné du gars qui débarque. Ce qui démontre que par une simple mutualisation des envies de déconnage respectives, une tradition peut perdurer.

Mais nous aussi avec Christophe, on fête le premier avril, mais bon, un peu tous les jours quoi.
Bon, pas avec des poissons malades, mais avec des virus informatiques.
Mais pas des vrais virus méchants et tout, non, nous, on programme ce qu’on appelle des poils à gratter informatique, ça efface rien, ça plante rien, c’est juste pour rigoler.
Et le premier avril, mais je dois confesser que nous dépassons bien souvent ce cadre poissonnier, nous nous faisons un plaisir de pourrir tous les PC de l’administration du collège.

Avec Cricri on se répartit les tâches, lui trouve les idées à la con, et moi, je les programme.
Notre premier poil à gratter à la con (prononcez PAGALAC), bien rigolo d’ailleurs, prend l’image de votre écran, et la retourne de 180°, comme si on avait retourné votre écran quoi, sauf qu’il est pas retourné, et y’a tout qu’est écrit à l’envers, les menus sont en bas, enfin bref, un bon bordel.

Alors bien sûr, un programme, faut le tester, et pour ça, on a Tati.

Et j’ai foutu le pagalac sur le PC de Tati, j’ai attendu bien sagement en papotant avec elle, et pis le pagalac s’est déclenché, l’image s’est retournée, et elle a fait :
— Oh putain !!! Y’a mon écran qui déconne !!!!
Alors comme j’étais à coté, je me suis approché, j’ai froncé les sourcils, et j’ai fait :
— Oh putain !!! Y’a ton écran qui déconne !!!!
Et Cricri s’est pointé, il a pris l’air con, et il a fait :
— Putain, ces PC, quelle merde.
Ce qui n’a rien à voir avec le poil à gratter, mais depuis qu’il s’est payé un iMac qui lui a coûté un bras, y peut pas s’empêcher de pratiquer la méthode coué, ça lui rembourse pas, mais ça lui fait du bien.

Évidemment, il suffit d’une combinaison de touches pour que le pagalac s’arrête et que tout redevienne normal, comme quand la vie était belle. Mais des fois, quand on est pas là, ben y’a des gens qui foncent acheter un autre écran, alors faut faire gaffe quand même.

Bon le deuxième poil à gratter qu’on a fait, qu’est bien rigolo, ben il inverse les mouvements de la souris. Alors quand ta souris elle va à droite, ben le curseur y va à gauche, et quand t’avances ta souris, ben le curseur y descend, et c’est pas bon pour les nerfs tout ça, et tu peux même devenir fou dans ta tête.

Alors pareil, on l’a testé sur le PC de Tati.
Et toujours pareil, on papotait avec Tati, et hop, le pagalac s’est déclenché, et elle a fait :
— Oh putain !!! Y’a ma souris qui déconne !!!!
Alors comme j’étais à coté, je me suis approché, j’ai froncé les sourcils, et j’ai fait :
— Oh putain !!! Y’a ta souris qui déconne !!!!
Et Cricri s’est pointé, il a pris l’air con, et il a fait :
— Putain, ces PC, quelle merde.
Ouais ok, t’es gentil Christophe, mais ça va maintenant hein…

Alors Tati elle a dit qu’on avait vraiment rien d’autre à foutre, qu’on était vraiment des cons, et ça nous a fait vachement plaisir avec Cricri, pasque c’est vrai qu’on se donne du mal pour faire nos conneries.

Alors bien sûr, nos poils à gratter, on peut les programmer pour qu’ils se déclenchent par exemple, dix minutes après le démarrage du PC. Alors le premier avril, on a demandé à Tati si on pouvait les foutre sur le PC du chef qu’était à une réunion à la capitale de l’académie.

Mais Tati elle voulait pas qu’on tripote le PC du chef.

Mais quand elle a vu nos airs tristes, ben elle a dit :
— Bon allez-y, mais vous faites chier.

Alors on est entrés dans le bureau du chef, on lui a pourri le PC tout bien comme il faut, et c’était pas évident, pasqu’on rigolait comme des cons en imaginant sa tête.

Et on s’est barrés.

Mon épopée

La traversée de cour est une expérience unique et risquée, car il s’agit là d’une véritable opération d’infiltration au cœur même des lignes ennemies. Se retrouver au milieu de 600 gamins livrés à eux-mêmes est un sacré défi, car la cour aux heures de pointe peut s’avérer être un véritable champ de mines.

Beaucoup de profs sont extrêmement réticents au franchissement et nombre d’entre-eux se satisferaient volontiers de quelques lianes judicieusement réparties qui permettraient de passer de bâtiment en bâtiment en survolant sans risque cette canopée adolescente, ou quelques câbles tendus et une bonne perche afin de funambuler au dessus de la fosse.
Car le prof en cet endroit n’est plus protégé par son tableau et ne peut plus se cacher derrière sa craie.
Et il est comme nu. Et un prof nu, c’est pas toujours beau à voir. Ainsi, si le prof est téméraire en cours, en cour il est beaucoup plus timoré.
Alors bien sûr, vous pouvez éviter de passer à découvert, et emprunter les couloirs, passer derrière les bâtiments, j’ai un collègue de techno qui fait ça, ou alors longer les murs, en baissant bien la tête, ça devrait le faire, ou alors, en dernier recours, tenter les égouts.
Car tous les moyens sont bons pour éviter la cour.

Mais moi j’aime bien.

Bon, le plus grand danger lors de la traversée, c’est de prendre un 6e en pleine poire. Pasque le 6e se déplace très rapidement et regarde rarement devant lui, car le 6e sent intuitivement que la route est dégagée, et sait bien au fond de lui, que le danger vient souvent de l’arrière.

À tort en fait.
Et comme à cet âge, le freinage est encore approximatif, empirique donc, vous subissez un méga tampon ventral et le 6e amorcera un mouvement de recul car quelle surprise de trouver un prof dans un tel endroit, et vous lisez dans son regard un truc du genre « mais qu’est-ce que tu fous là toi ??? », oui, un élève peut vous tutoyer du regard et devenir un tantinet familier, mais il saura faire diversion comme ceci :
— Bonjour m’sieur !! scusez-moi… heu… z’avais pas vu…

Je te salue Ô toi, Poney Fougueux et Intrépide, que je scalperais volontiers à la petite cuiller pour avoir osé comprimer le grand côlon de Cheval Fourbu, qui à l’occasion te mettrait bien un bon coup de sabot où j’pense, c’est vrai quoi merde.

Mais où court donc le 6e ???
Ah !!! Vaste question !!!
Il s’agit en fait de vastes migrations déclenchées par une atroce sonnerie, vers 9h50, des wc aux casiers en passant par les cartables, le rythme est soutenu et le stress considérable car si t’as pas ton livre, t’as la p’tite croix de la mort sur le cahier, et t’es mal quoi.
Lors de l’expédition, il conviendra donc de conserver les mains hors poches afin de raffûter le 6e migrateur, de l’esquiver par de petits sautillements latéraux, et ainsi pour finir, de contourner la majestueuse transhumance du 6e en récré.

Autant le 6e est extrêmement mobile, autant le 3e est stable, relativement statique et il vous interpellera à distance comme ceci :
— Hé !! M’sieur !! HOOOO !!! HÉÉÉÉÉ !!!! M’SIEUUUUUUR !!!!BONNE ANNÉÉÉÉÉÉÉE !!!!

Au début vous croyez à une engueulade, le ton étant plutôt menaçant, alors vous baissez la tête, et vous hésitez entre : vous agenouiller en implorant et tendre votre portefeuille, ou prendre un 6e en otage afin de quitter l’établissement en toute sécurité. Mais comprenant la bienveillance derrière la virilité du ton, vous esquissez un sourire, faites un signe discret de la main, le tout étant assorti d’un classieux clin d’œil, votre marque de fabrique, votre autographe, votre sceau, quelle classe quand même.

Tiens, des 4e.
— M’sieur !! Y’a contrôle aujourd’hui ?!?
— Ben oui, bonjour jeune homme…
— Heu… oui bonjour… mais m’sieur, on peut pas décaler ?? Pasqu’on a plein de contrôles cette semaine ?!?

Oui, le 4e est soucieux du planning, et souhaiterait un échéancier plus respectueux des contraintes adolescentes, ceci afin d’éviter le surmenage inhérent aux cadences infernales et préserver une certaine équité, voire une forme de statu quo. Mais je ne peux m’empêcher, soupçonneux que je suis, d’y voir une certaine malignité, voire une odieuse perfidie et je synthétiserai ma réponse comme ceci :
— Non.

Le jeune 4e, envoyé en éclaireur, rejoint alors sa troupe pour faire part de la mauvaise nouvelle et vous n’osez même pas imaginer ce qui se dit sur vous, car on est bien au-delà de la diffamation, et le préjudice serait tel, que vous pourriez bien vous effondrer en sanglots, avili par un tel langage.

Après moult péripéties, assailli de « bonjour vous allez bien ?? », vous atteignez l’autre rive en parfaite santé. Puis, vous retournant pour mesurer le chemin parcouru, vous remarquez la petite prof d’arts plastiques s’apprêtant au franchissement. Et là, tandis que la joliette avance, jupettée de court, talonnée de hauts, la cour semble soudain comme ralentir, et la jouvencelle muer en lieu géométrique de toutes les attentions, comme si soudain un ange malicieux avait vaporisé dans l’air de la testostérone en spray, faisant balancer les regards au rythme de son popotin.

Bourzig et Trapugne qui traînaient dans le coin, sans doute à la recherche d’une inactivité quelconque, se trouvèrent comme figés par la vision. Je pris part au matage, en déclarant que ma foi, la vie était fort belle et la nature bien faite. Ils acquiescèrent en silence et nous restâmes un instant tous les trois, unis dans le recueillement, suivant avec attention la trajectoire du missile.
Je pris acte intérieurement, et avec fierté, de leur sérieux, car je ne les savais pas capables d’une telle attention, et je les en félicitais.

Voilà, ainsi s’achève mon épique épopée du jour, celle qui fait de moi le Christophe Colomb des cours de récré, le capitaine Nemo des abysses adolescentes, le Gagarine de l’intersidéralité juvénile, le presse-purée de… heu… non là je m’égare.

Tiens au fait, j’y pense, j’ai un truc à lui demander à la prof d’arts pla.