
Mardi à la cantine, les collègues ont parlé du prof qu’a donné une claque à un élève et qu’a eu des ennuis pour ça. Donc gros débat sur les tartes, les coups de pied au cul, l’efficacité pédagogique, le non-dit, les différentes techniques, etc.
Et c’est Corinne qui nous a interpellés avec Cricri pendant qu’on essayait d’écrire nos noms avec la purée.
— Et ces messieurs, pro-tartes ou anti-tartes ???
Bon moi les tartes c’est pas trop mon truc, c’est vrai, j’ai pas le réflexe. C’est con vous me direz, mais c’est comme ça. Non, par contre, moi, j’ai plutôt le réflexe coup de pied au cul. À chacun sa spécialité. Mais j’en donne pas pour autant.
Alors vous me direz, pourquoi un coup de pied au cul plutôt qu’une tarte ???
Et bien parce que j’ai reçu une formation intensive étant jeune, une formation essentiellement pratique d’ailleurs, je le regrette, un peu de théorie ça fait jamais de mal, en tout cas moins que la pratique, donc j’aurais préféré, et ensuite, pasque pédagogiquement c’est aussi très efficace, ça fonctionne un peu sur le principe du réflexe conditionné de Pavlov. Ainsi, moi qui vous parle (qui vous écrit, ouais ça va), bien des années après, et bien chaque fois que je vois un carreau cassé, je mets mes mains aux fesses et je pars en courant vers l’infini. Pasque lorsque j’étais moufiot, j’étais un spécialiste du bris de vitre et du coup de pied au cul associé. Et donc dans mon esprit, y’a comme une association d’idées : carreau cassé, fesses serrés. Comme une sorte de madeleine de Proust en fait, mais une sans sucre, et qu’on aurait trop cuite, avec un p’tit arrière goût de salsifi voyez, sympa quoi.
Et pis bon, je cassais pas des petites vitres, ça j’peux vous dire. Bon, à l’occasion, je faisais aussi le soupirail, la lucarne, mais quand même, mon truc, c’était plutôt les vitres genre verrières voyez, les baies aussi, enfin, tout ce qui est à base de verre et qui coûte un max à changer.
Un jour, mon petit parachutiste était resté coincé dans des branches, alors en faisant les cons avec les copains, on lançait des cailloux pour le décrocher. Pis j’ai lancé un méga caillou en direction de la branche, et je sais pas, il a tourné dans l’air, comme un virage quoi, et il a fini sa course sur une méga vitre de deux mètres de haut qu’était à l’entrée du porche. Alors évidemment, une fois passé l’effet de surprise, avec les copains, on s’est bien gardé d’aller le chanter sur les toits et on a continué à vaquer à nos occupations de l’époque, à savoir, faire tourner à fond le tourniquet pour faire tomber les petits, ou selon l’humeur, les pousser du haut du toboggan.
Alors les pères du quartier ont fait une enquête, assez rapide d’ailleurs, pour pas dire bâclée, pasque comme par hasard, l’enquête est tombée sur nous. Bon, c’est vrai que j’aurais pu me dénoncer, mais j’ai pas eu le réflexe, c’est vrai, j’ai pas pensé en fait, mais c’était pas grave, vu que d’après les conclusions de l’enquête, on était tous coupables, et qu’on a tous pris un bon coup de pied au cul. Et les pères ils ont dit qu’en plus, c’est nous qui paierions la vitre, mais en fait, on n’a jamais payé, mais ça, chut.
Pis mon père il avait une super technique pour le coup de pied au cul.
Y disait rien, et y se postait juste entre moi et la porte. C’était assez bien vu de sa part, vu que pour rentrer à la maison je passais rarement par la fenêtre, et il attendait que je passe devant lui, avec un petit air narquois, limite goguenard même.
Alors y disait :
— Ben vas-y rentre…
— Oui j’arrive… je dis au revoir aux copains… et j’arrive…
Bon, c’est sûr que je faisais traîner un peu le truc, pas de précipitation inutile c’est clair, puis j’avançais, mais lentement, modeste quoi, un poil timide, limite maniéré même, mais c’était normal, c’était de bonne guerre, pis bon, trop d’empressement dans la vie, et tu passes à coté des belles choses. Mais bon, y’a un moment, faut bien avancer aussi dans la vie, alors tu te lances, allez hop, au casse-pipes !!
Alors je passais devant lui, y me regardait, je le regardais, presque complices d’ailleurs, comme de vieux potes en fait, sans dèc, y’a des moments précieux dans la relation père-fils, et là, on était en plein dedans, c’était presque touchant cette osmose. Et je prenais un petit air angélique tout à fait craquant, mais macache, quand j’avais un peu dépassé, mais pas trop, juste un peu quoi, bingo, un méga coup de savate, et du coup, ça me faisait gagner un bon mètre, et je finissais en courant pour aller me plaindre à ma mère qui l’engueulait pasque j’étais pas un ballon de foot.
En parlant de foot, pareil, à l’école, l’instit avait organisé un match dans la cour. Je choppe le ballon, je drible, hop, un crochet à gauche, zou, je repique au centre, et là, un méga super shoot juste pile poil entre les piles de manteaux qui servaient de poteaux pasqu’on avait pas de cage. Et pis je sais pas, le ballon, au lieu de s’arrêter simplement après les cages, ce con, ben il a continué tout droit, à fond, et il a fini sa course dans un carreau d’une salle de classe qu’était juste derrière, et je suis resté comme un rond de flan. Alors évidemment, une fois passé l’effet de surprise, l’instit, qui avait un fort accent du sud ouest, tellement accentué que je me demande toujours comment j’ai pu apprendre à lire et à écrire avec ce type, ben il m’a botté le train arrière, en disant que vraiment c’était pas croyable de voir un gamin aussi peu dégourdi des pieds.
Je me souviens, ça m’a vexé. Pas dégourdi des mains, je le savais, mais des pieds, c’te honte. Et je me suis pensé, tu peux toujours causer toi, tu m’as pas l’air d’être bien dégourdi de la langue.
Et toc.
Alors bien sûr aujourd’hui en classe, les gamins cassent pas les carreaux, cassent pas des briques non plus, par contre, ça leur arrive de me casser les breloques.
Alors quand ils retournent à leur table, j’ai comme des fourmillements au niveau du pied droit (oui, je suis droitier des pieds), mais bon, je maîtrise la pulsion, et je me contente d’un bon coup de pied au cul virtuel, ça leur fait pas de mal, et moi, ça me fait un bien fou.