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La domotique

Repas à la cantine, vendredi, 12h34.
Intervenants : Isabelle, Tati et moi.

— Dites les filles, je voulais avoir votre avis, pasque j’ai des fabrications à choisir pour les élèves, et là j’hésite. Alors voilà, le thème c’est la domotique, informatique et électronique à usage domestique…
— Tu manges pas ton surimi ???
— Heu non, si tu l’veux… Oui alors j’voudrais des trucs typiques pour les filles et les garçons quoi…
— Et moi j’peux avoir ton kiwi ???

Les filles, elles aiment bien bouffer chez nous.

— Le kiwi ??? Ben… heu… bon ok. Alors comme objet à étudier j’avais pensé à une télécommande pour les garçons et un aspirateur pour les filles…
— Ah bon, pasque l’aspirateur c’est typiquement féminin ?? Dis, le technologue là, on t’a informé qu’on avait le droit de vote ???
— Ben quoi, j’ai dit une connerie ???
— Ah mais celles-là tu devrais les mettre en musique… remarque, ton idée d’aspirateur c’est pas mal, mais moi je choisirais l’aspirateur pour table c’est bien plus élégant… t’en penses quoi Tati ??
— Ben t’as raison c’est plus féminin, pis ça prolonge bien le bras, ça affine la silhouette…
— Ben j’en ai offert un à ma mère…
— Ben elle devait être heureuse ta mère, on sent bien que tu l’aimes… sinon, si tu veux leur enseigner un truc typiquement féminin j’ai bien une idée…
— Vas-y, dis-y…
— Ben t’as le sex-toy, ça c’est typiquement féminin…
— Sex-toy ???? C’est quoi ça ??? La suite de Toy Story ???
— On peut dire ça comme ça oui…
— Ah bon, et y’a une télécommande pasque…
— À ma connaissance non, pis je vois pas l’intérêt … quoique…
— Une télécommande ça serait bien, pis faut que ce soit démontable…
— Ah ça j’sais pas j’ai jamais essayé…
— Ben c’est super, moi qui cherchais un objet de taille réduite, à usage domestique, qui rend des services pratiques…
— Ah ben c’est tout à fait ça… pis j’pense que les parents se feront un plaisir d’acheter ça à leur gamine…
— Ah mais c’est génial, si tout le monde y trouve son compte…
— C’est le cas en général… y’a peut-être juste au niveau de l’inspection académique que ça risque de coincer un peu, mais j’dis ça, j’dis rien quoi…
— Et pourquoi ??? Attends, un objet technique, à usage domestique, y’a de quoi combler n’importe quel inspecteur. Au fait, c’est à piles ou sur secteur ????
— Ben ça dépend des modèles, moi c’est à pile…
— Bon de toute façon, doit y’avoir un mode d’emploi…
— Oui, mais crois-moi, sans, on se débrouille très bien quand même…
— Et ben super, je vais en commander quelques cartons, je vais regarder sur les sites de technologie…
— Oui, j’pense pas que tu y trouves ça, mais fais une recherche sur Google. Pour les cartons, oui, je pense qu’ils ont des commandes pour des collectivités, genre couvent ou autre…
— Ah ouais ??? Les couvents ???? Ben dis donc. Ok, je vais chercher sur google… et ça coûte cher ?? Pasque j’peux pas demander plus de dix euros aux gamins…
— Ça dépend, le modèle canard, tu peux le toucher à vingt euros je pense…
— Ah pasqu’y a un modèle canard ??? Ah mais dis-donc c’est très ludique en fait, c’est parfaitement adapté aux gosses quoi. Quoique canard, ça fait un peu bébé quand même…
— Ben là pas trop, je t’assure… quoiqu’il existe un modèle mini, en tout cas ils sont tous waterproof…
— Ah ouais ??? On peut les amener à la piscine ???
— Tu demanderas au collègue d’EPS, tout se négocie…
— Et ben Isabelle, merci, tu m’as retiré une sacrée épingle du bras…
— Une épine du pied on dit…
— ?!?!… Mais sinon, ça sert à quoi ce truc ???
— Ben j’sais pas, comment dire… ben t’es chez toi, t’as un moment tranquille, et là t’as un problème, et comme t’as pas d’homme sous la main, ben tu le règles toute seule…
— Ah ouais ??… Ça remplace un homme en fait… Comme pour les travaux de force, décoller du papier peint par exemple…
— C’est pas le premier exemple qui me serait venu à l’esprit, mais ça permet de décoller en effet…
— Si ça se trouve, c’est Black & Decker qui fait ça et j’vais en trouver à Bricorama…
— Tente le coup, on sait jamais… Quant à savoir qui fabrique, je sais pas, t’as une idée Tati ???
— Ben savoir qui fabrique, on s’en fout un peu, mais c’est vrai que si ça peut faire travailler des p’tits chinois, on est ravies, ça fait un p’tit plus…
— ?!?!… Ouais, en tout cas, j’ai mon objet, super !!! Comme quoi, c’est toujours bon de discuter avec des collègues !! Merci mesdames !!!
— Y’a pas d’quoi, quand on peut rendre service…

Rentrées

Après ces quelques semaines de glandouille estivale, septembre s’annonce avec son cortège de rentrées, sociale, politique, littéraire, scolaire, etc.

Mais il est une rentrée dont on ne parle pas, que les médias ignorent et que chacun abhorre, qui pourtant concerne la majorité d’entre nous. Une rentrée d’un genre particulier, qui se produit quelques jours avant la fin des vacances, qui touche à l’intimité de chacun, qui s’effectue dans le huis clos d’une chambre, sur le bord d’un lit (là ça vire porno mon truc), seul devant son miroir (ah non ça va. Quoique), je veux parler ici de la rentrée dans le pantalon.

Le challenge de la rentrée.

Hé oui cher lecteur, passées les vacances le bidon flottant sous la bise estivale, tu avais fini par oublier que tu avais un ventre. Heureusement la rentrée est là pour te le rappeler. Oui, tu as un ventre, regarde bien vers le bas, il ne peut t’échapper, le vois-tu ??? Ben ouais, c’est pas beau hein ???

Beurk.

D’autant que pour réussir cette rentrée, une autre est nécessaire, c’est la rentrée du ventre.
— Mon dieu, que de rentrées !!! T’écries-tu guilleret tout en esquissant un pas de danse.

Naïf va.

Bon, en même temps, la rentrée dans le pantalon est une rentrée facultative, elle peut tout à fait ne pas avoir lieu, il peut arriver à chacun de se faire refouler à l’entrée par son pantalon. N’aies crainte, personne ne t’en fera grief. Et puis bon, six mois de régime, c’est pas la mer à boire non ???

Alors bien sûr, nombreux sont ceux qui se laisseront aller à des « FAIT CHIER PUTAIN !! », puis des « BORDEL MON 44 !! » suivis des inévitables « SALOPERIE DE MERGUEZ BIO !!! », le tout conclu par un larmoyant « MAIS QU’EST-CE QUE J’VAIS M’METTRE ?!?! BOUUUUUH !!!! ».

Ben rien.

Une djellaba peut-être ???

Car oui, sous tes yeux, quarante litres de rosé te contemplent, plus cent Magnum double épaisseur, cinquante merguez accompagnées d’autant de saucisses, les apéros, les chips, les salades estivales où y’a pas de salade, les vautrages sur le sable, et j’en passe. Quel exploit !!!!

Ah !!!! L’été !!!!!

Alors lecteur ???? Tu l’as faite cette rentrée dans le pantalon ????? Hein ???? T’as bloqué aux genoux ???
Hé oui, ça peut nous arriver à tous (mais aux genoux, quand même, t’as gravement déconné).

Et moi, me diras-tu cher lecteur.
Moi ??? Impec, c’est rentré nickel.
(Sinon j’en parlerais pas, héhé)

Voilà, à part ça, j’ai vécu un truc sexuel bizarre cet été, avec une brune de Toulouse. Mais bon, vous allez encore dire que c’est ma vie privée et que ça ne vous regarde pas, alors je n’insiste pas.

Allez, bye.

Cartons pleins

Il est des instants où la discrétion est de rigueur.

Des instants où la discrétion se mue en recueillement.

Tel cet instant où une collègue interpelle chacun en salle des profs afin de trouver des volontaires pour son déménagement.

L’heure est grave.

Alors vous tentez désespérément de passer inaperçu, évitant tout geste brusque, tapi en pleine lumière, essayant de vous fondre dans le décor avec un réalisme confondant, arborant des faux airs de baie vitrée. Mais trop tard. Votre visage se fige, car elle vous a vu (ça vous apprendra à faire les vitres), et vous ne disposez que d’une fraction de seconde pour trouver une excuse valable.
Ainsi toute votre vie défile devant vos yeux, ses joies ses peines, ses épisodes de Navarro, à la recherche d’une petite nièce qui aurait la bonne idée de se faire baptiser le jour dit, ou un grand oncle celle de se faire enterrer.

Mais la vie est injuste, cueilli à froid à même la machine à café, vous bredouillez un truc inaudible à destination de vos chaussures, et déjà elle s’éloigne vous remerciant alors que vous n’êtes pas sûr d’avoir donné un accord quelconque.

Et vous êtes soudainement pris de compassion pour Christophe qui entre tout sourire d’un réveil heureux, le pauvre, sans savoir que vient à sa rencontre la chère collègue qui ne lui laisse aucune chance et l’enrôle à son tour comme sherpa; afin de conquérir ses trois étages sans ascenseur lesté de quelques tonnes d’électroménager.

Et c’est ainsi que nous nous retrouvâmes avec le père Cricri, le jour dit à l’heure dite, nantis de flamboyants shorts extra larges, le biceps à l’affut, l’abdo concentré (mais la lombaire réticente), les mollets flottants sous la bise matinale, admirant nos baskets respectives qui nous allaient aussi bien que des pantoufles Mickey.
(On m’a souvent dit que j’avais une tête à chapeau, mais je dois le reconnaître, je n’ai pas le pied à basket.)

Je te mets en garde cher lecteur, si une prof de français te demande de l’aide pour son déménagement, attention, peut y avoir anguille sous roche, voire totale arnaque. Car lorsque tu crois en avoir fini de faire la mule, et que tu t’apprêtes à évacuer les lieux sans te faire remarquer, ben en fait on t’annonce qu’il reste les cartons de bouquins qu’étaient planqués dans une piaule.
Tin, c’que les gens sont désagréables, c’est vrai quoi, tu leur donnes ça, et ils veulent ça (« tu leur donnes ça, et ils veulent ça », typiquement le genre de formule qui ne rend pas du tout à l’écrit, vu qu’elle s’accompagne généralement, pour être compréhensible, d’un geste qui consiste à tendre un bras sur lequel on fait apparaître avec l’autre main, simulant à s’y méprendre une hache, les différentes proportions voulues, ce qui est beaucoup plus explicite. En fait, on peut avantageusement remplacer ce genre de formule par « tu leur donnes ça, et ils en veulent toujours plus », ce qui est tout aussi explicite, et qui ne nécessite pas les mains, ce qui constitue un réel avantage pour les manchots, pour ne pas dire un privilège, ce qui est profondément injuste, mais t’inquiète lecteur, un jour, on aura notre revanche).

Bon heureusement, des cartons, y’en avait juste 15274, de 50 kg chacun, pasque sinon, on aurait pu mal le vivre, et même des fois, s’immerger durablement dans une profonde dépression.

Bon, mais avec Christophe on s’est vengés, pasque comme la collègue avait un tee-shirt léger et pas de soutif, ben des fois quand elle se baissait, on lui voyait les trucs que ça sert surtout aux bébés, et c’est pour ça qu’on pouffait comme des cons avec Cricri en descendant son armoire normande de 4,5 tonnes. (D’ailleurs, à l’attention des voisins de la collègue, concernant les gravures sur les murs de l’escalier, toutes nos excuses, mais emportés par le poids, nous avons à plusieurs reprises dérapé dans les virages)

Quant à toi chère collègue, ne te vexe pas, je sais que tu lis ce blog, mais c’est pas moi, c’est Christophe qui me l’a fait remarquer pendant que j’essayais de récupérer ma main qu’était coincée dans le tambour de la machine à laver (au fait, ma main, ça va mieux, elle est bleue maintenant).

Ah ouais, un autre truc, les cartons, la collègue, elle les avait pas scotchés, pas le temps qu’elle a dit, ben du coup, chaque fois qu’on en soulevait un, on prenait tous les bouquins sur les arpions, et fallait tout remettre dedans, et ben j’vous jure, ça nous a quasiment pas énervés.

Mais c’est en voulant porter l’armoire de sa chambre que tout a basculé.
Bon, vous connaissez le principe, un à chaque angle, et ensuite, à la une, à la deux, à la trois, on soulève et … prouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuut !!!!!!
C’est Christophe qu’a desserré le détendeur, trahi lâchement pas son menu de la veille.

Ah !!! L’insolence du féculent !!!! Ah !! L’infamie du pois gourmand !!

Bon, évidemment, l’armoire, qu’on avait à peine soulevée de trois centimètres, on s’est empressés de la reposer pour nous livrer comme il est d’usage, à une franche rigolade entre amis.
Bien sûr, Cricri présenta des excuses circonstanciées, produisit moult preuves de sa bonne foi, s’engagea à contenir ses excédents gazeux, et après avoir écouté ses explications avec compréhension et bienveillance, nous prîmes toutefois quelques minutes sur notre planning chargé, afin de nous plier une fois de plus à la coutume, donc en quatre, et nous repayer une bonne de tranche de poilade sonore et débridée.

(Quand je pense aux trésors d’imagination que déploient certains pour soutirer un sourire ou son esquisse, alors qu’un simple pet vous emporte un auditoire et vous booste une audience au-delà de toutes vos espérances. Car il faut le savoir, le pet est fédérateur, et lui seul sait vous faire souffler le vent du consensus au-delà des inhibitions affectées et chagrines des timorés du fion. Oui, le pet est œcuménique, et touche à l’universalité, aussi m’interrogeais-je, ne serait-ce pas là le nouvel espéranto ??? Du fayot ???)

Malgré nos fanfaronnades, à la deuxième tentative, nous n’en menions pas large, sous le regard de ces dames attentives, par crainte de faillir à notre tour.

Enfin bref, tout ça pour dire que concernant les déménagements, chères collègues, faudrait voir à m’oublier un peu.

Merci.

Auprès de mon arbre

C’est en observant mes 6e4 l’autre jour, mâchouillant consciencieusement leur chewing-gum, que me revint à l’esprit une petite anecdote.

Lorsque j’étais petit, encore plus petit qu’un 6e4, nous allions périodiquement passer quelques vacances chez mémé et pépé. Ceux-ci possédaient une vieille bâtisse étroite, enroulée serrée autour d’un vertigineux escalier en colimaçon, qui me faisait un peu peur, avec derrière, limité au fond par une rivière, un immense quadrilatère faisant office de jardin.

Le père profitait de l’occasion pour bêcher tant qu’il pouvait, puis dessiner au cordeau de rigoureux carroyages, avant que de semer, puis arroser, tout en étant bercé par mes interminables et assommants bavardages. Car je mettais un point d’honneur à lui tenir la jambe, qu’il me suggérait régulièrement de lâcher, en me proposant invariablement d’aller voir ailleurs s’il y était, ce que je m’empressais de faire, me précipitant les jambes à mon cou vers l’endroit indiqué pour découvrir, et tu vas être étonné cher lecteur, qu’il n’y était pas. Bien sûr, j’ai souvent proposé de l’assister, mais hélas, après lui avoir pété quelques binettes, mais le plus souvent les breloques, il refusait toute assistance, et je sentais bien à ses façons, son immense déception que sa fibre agricole n’ait passé le cap de sa petite graine.

Cette année-là, constatant mon désœuvrement et ma tristesse infinie de ne pouvoir biner à mon tour, il s’approcha et me fit une proposition. En fait, un excellent truc pour assurer une paix royale à ce bon républicain.
— Il te reste des chewing-gums ????
— Ben vi, m’en reste plein…
— Alors c’que tu peux faire, c’est les planter, comme ça, l’année prochaine, on aura des chewing-gumiers.
— Des chewing-gumiers ?!?!

Mon sang ne fit qu’un tour. Je fixai incrédule mon géniteur, scrutai son visage, tentant de déceler l’infime contraction musculaire, le rictus, un simple sourcillement m’aurait suffi, qui le confondrait en révélant ce gros bobard.
Mais rien, ce sale menteur resta très concentré sur son affaire, à savoir, la mise sens dessus-dessous de la terre à ses pieds et des vers résidants. Devant son impassibilité, j’en conclus que l’affaire était sérieuse, d’autant que s’ensuivit son explication sur l’origine du chewing-gum, explication qui me laissa baba.

En voici le contenu, reconstitué de mémoire.
Importé dès la fin XVIIIe siècle par le capitaine Cook, l’arbre à chewing-gum (chewingumus-gumunus) connut un succès immédiat en Europe, où sa découverte, concomitante à l’arbre à pain, fit l’effet d’une bombe. Rapidement adopté par l’aristocratie où le mâchouillage devint un signe de distinction, la production de bulles un must (sauf en cas d’éclatement de la bulle, auquel cas, le coupable était écartelé en place publique, ou plus grave, se voyait coller un chewing-gum dans les cheveux, et un autre sous son godillot, avec obligation de traverser la ville sans s’énerver), l’expansion du chewingumus-gumunus.à l’état naturel (c’est-à-dire à la chlorophylle) ne devait plus cesser. Jusqu’au jour où, lors de l’expédition de La Pérouse, un de ses officiers découvrit sur la côte de Malabar, l’arbre à chewing-gum avec une décalcomanie dedans, et tout bascula. Les peuples se soulevèrent, entrainant la révolution de 1789, l’aristocratie renonça à son privilège masticatoire afin que les couches populaires puissent mâchouiller à leur tour. Le chewing-gum devint enfin accessible à tous, et c’est avec joie qu’aujourd’hui tous les enseignants de France témoignent de la totale réussite de la démocratisation de ces pratiques ruminatoires.

Ben dis donc.

— Ben oui, les chewing-gumiers ça existe, mais faut faire des trous, t’as qu’à t’installer au bout du jardin.

Et c’est ainsi que telle la taupe standard, je truffai le bout du jardin d’une vingtaine de trous, que mon père régulièrement venait ausculter, tout en repensant aux compétences de mon père en matière de chewing-gum, visiblement ce dernier possédait une culture abondante sur le sujet, et je dois dire que sa science du chewing-gum m’épata.

Bien que mémé, qui nous visitait de temps à autre, émettait de sérieux doutes sur son érudition, et l’incitait à plus de modération. Ce qui m’irritait quelque peu, car enfin, toute mémé qu’elle était, plutôt que de commenter nos plantations, avait certainement mieux à faire, un gâteau par exemple. Ce qui est, comme chacun sait, l’occupation principale des mémés, quand elles ne font pas leurs vitres, bien sûr.

— Fais-les un peu plus profonds quand même, pour les racines.
Car la racine du chewing-gumier est particulièrement longue et diffuse large, précisa mon historien du chewing-gum, et je m’empressai d’intégrer ça lors de mes ultimes carottages.

Et c’est ainsi que pendant deux jours, je m’adonnai à mes forages intensifs, donnant à ce petit coin du jardin des allures de champs de bataille, qui n’étaient pas sans rappeler Verdun aux heures les plus sombres.

Puis vint l’époque des semailles que mon père supervisait, rejoint par mémé, et ses commentaires de rabat-joie :
— Quand même, faire creuser des trous pareils à un gosse, c’est pas gentil…
Pas gentil ??? De me faire planter des chewing-gumiers ??? Hé, ça va pas mémé ??? C’est une super idée !!!!

Puis je replaçai la terre, dont je remarquai que le volume avait augmenté, puisqu’elle ne rentrait pas complètement, ce qui me laissa dubitatif. Mais j’en conclus que j’en avais enlevé plus que je ne pensais, ce qui me permit d’innover en matière de réflexion, car je compris que lorsqu’il n’y avait pas de solution à un problème, il suffisait de légèrement le modifier, et le tour était joué. Cette façon de procéder me rendit bien des services par la suite.

— Hé p’pa !!! J’ai fini !!!!
— Très bien. Pendant que t’y es, plante une canisse sur chaque trou, on les retrouvera plus facilement.
Et je partis en quête de jalonnettes avant de regagner l’escalier au fond afin d’observer de loin ma forêt de canisses.
— Hé p’pa !! Ça met longtemps à pousser ???
— Au moins un an.
Merdum.

Et c’est la mort dans l’âme, que la fin des vacances venue, nous quittâmes pépé et mémé, laquelle s’engagea à ma demande expresse à l’arrosage régulier de mon verger.

C’est donc l’année suivante, après avoir bisé rapidement les joues molles de mémé que je courus vers les arbres à gomme, mes chewing-gumiers. Et là, devant ma stupéfaction de leur absence, mémé m’annonça que si en une année j’avais quelque peu mûri, oh si peu, les chewing-gumiers eux, pas du tout.
— C’est ton père, il t’a raconté des bêtises…

Je ne pouvais le croire, berné que j’étais, et dépité, sous le sourire satisfait et un brin moqueur de mon fabulateur, qui déjà s’emparait d’une bêche pour exproprier les lombrics, et infliger au sol sous-jacent le même sort qu’à mon cœur, à savoir : le retourner. Je n’eus d’autre choix que de me sentir un peu con.

Je compris bien plus tard, que lorsque mon créateur s’en retournait chez sa mère, s’opérait en lui une forme de régression, qui le faisait culminer aux alentours de cinq ans d’âge. Je précise toutefois que ces régressions se limitaient à ces périodes et à son âge mental, car en dehors, sa taille de chaussure ne se réduisait point, mon cul peut vous le confirmer, et de ce point de vue, il faisait tout à fait son âge, voire plus.

Je dois confesser cher lecteur que bien des années après, je ne suis pas vraiment remis de cette déception. Mais heureusement à l’époque, il me restait le père Noël.

En attendant, mon géniteur, après m’avoir narré les aventures du capitaine Némo, m’avait expédié au bord de la rivière, où je devais attendre avec une infinie patience, d’observer le sous-marin qui selon lui ne manquerait pas de passer.
Mais je ne fus pas dupe, car j’eus beaucoup de mal à avaler cette histoire de sous-marin, en raison d’un chewing-gum qui m’était resté en travers de la gorge, mais je me gardai bien d’en faire la remarque, car attendri par les affabulations de mon pauvre bêcheur, je préférai le laisser penser que je le croyais.

Après tout, il avait le droit de rêver un peu non ???

Et si c’était vrai ????

J’étais en train de passer l’aspirateur derrière les établis lorsque mon œil, encore raviné par une nuit passée à taquiner une conquise, fut attiré par une discrète inscription sur le montant d’un établi. Je m’approchai, curieux et vaguement intrigué, lorsque qu’à trente centimètres, agissant péniblement sur ma cornée, je fis la mise au point et lus ceci : Le Prof est un gros pédé.

Fichtre.

Tu m’en diras tant.

(Et pourquoi gros ???)

Passées les quelques secondes à m’extasier devant la calligraphie soignée du tag, je m’interloquai.

Ainsi donc, au fin fond de la classe, un élève lambda émettait de sérieux doutes quant à mon hétérosexualité, sur un ton quelque peu péremptoire dois-je dire, échafaudait une hypothèse sur la base de quoi, je vous le demande, m’intimait à l’introspection, et prenait le monde à témoin, risquant de plonger dans la plus totale perplexité les élèves alentours.

Je mesurai d’un coup l’ampleur du discrédit jeté sur une vie entière consacrée à ces dames, ma vie cher lecteur, moi qui suis un grand tripoteur de lolos devant L’Éternel, me trouvai questionné sur mon orientation, alors que je peux t’assurer cher lecteur que mon aiguille pointe vers le nord, vers toi chère lectrice, mon nord magnétique.

À moins pensai-je que dans l’esprit de l’auteur, le terme ne soit péjoratif, à prendre au second degré, ou avec des pincettes, suggérant plutôt « gros con » ou « gros connard ». Je ne te cache pas cher lecteur que j’eusse préféré, et que de le savoir c’est sûr, m’apaiserait.
D’autant que si je n’ai rencontré que peu de vierges dans ma vie, des verges, jamais.
(Tout compte fait, des vierges non plus d’ailleurs.)

Mais nous savons tous la pertinence de l’adolescence; nul doute que seule une longue analyse avait mené mon élève lambda à percer ainsi mon intimité, et du coup produit en conclusion ce tag triomphant comme un onzième commandement.
Choqué par cet enfreint de mon espace privé, pratique que je trouve par ailleurs fort intrusive, l’hypothèse échafaudée fit vaciller mon échafaudage, et je me vis passer le bastingage, tourmenté que j’étais par le postulat.

Je m’en ouvris auprès de Christophe.
— Cricri, et s’il avait raison, et si j’étais un homo ?????
— Toi homo ??? Tu rigoles, même les vaches elles t’émoustillent !!!

Je savais l’amitié essentielle dans ces moments éprouvants, mais je tiquai à son soutien.
Aaaaaaah !!! Que ne dira-t-on jamais assez la grandeur de l’amitié !!!! Qui par une phrase longuement macérée dans la sauce du bon sens, vous assoit bouche bée sur le futon des certitudes, et j’enviai secrètement la douce quiétude qui régnait dans le cerveau de mon Cricri, où la vie s’écoulait paisiblement au rythme des glaciations.

— Tu déconnes, les vaches c’est juste l’expression de mon goût pour la nature, mon côté rural, mon côté vieilles pierres et poutres apparentes…
— Tu sais Charly, on a tous une part d’homosexualité en nous…
Bon, pour la part de féminité, je savais, mais pour la part d’homosexualité, je savais pas. Et la part d’emmental ??? Et la part congrue ???
— Ben souvent c’est une part refoulée…
Moi je veux bien avoir une part d’homosexualité refoulée, mais elle est refoulée où ????
— Écoute Charly, je te propose un truc, c’est de tester…
— Hého !!! Hohohoho !!! Héhéhéhéhéhé !!!!! Hé !!!

Oh.

Et c’est ainsi que nous nous retrouvâmes en fin d’après midi, à la terrasse de notre bistrot favori, à mater du bonhomme, respectant en cela l’audacieux protocole de tests établi par Cricri, qui selon lui, me permettrait d’en avoir le cœur net, et le reste aussi.
— Tiens Charly, on va bien voir, regarde, le mec là, c’est pas un beau mec ça ??? Tu ressens quelque chose ???
— Ben non, pis beau mec, bof, il est tout chauve des cheveux…
— Et l’autre là, jeune, grand et tout, avec les os du bras tout musclés… tu craquelles ???? Tu te fendilles ???
— Ben non, et pis il est tout poilu du cou…
— Ok, et çui-là, un poil rondouillard, mate un peu la ceinture qui telle la sous ventrière soulignant le galbe de l’étalon fourbu sépare en deux parties nettement identifiables le corps sculpté à même la motte de beurre de ce pauvre diable, hein ???? Et la petite moustache, tu frétilles ??? ???
— Non, toujours rien…

Et je dois dire qu’après cette simple expérience, je vous trouvai bien du mérite mesdames, car en faut-il de l’appétit, ou de l’amour (ou du désœuvrement me souffle Christophe), pour vous abandonner dans les bras d’abominations pareilles, chapeau mesdames, si si j’insiste.
— Par contre la nana à ses cotés, le pétard qu’elle a !!!
émis-je, assez finement dois-je dire.
— Ouais ok, ben cherche pas plus loin Charly, t’es hétéro…

Ainsi donc, à l’issu de cette batterie de tests estampillée Cricri (dépôt de brevet en cours), la vérité apparut comme la vierge à Bernadette, nue comme un ver (ouais, faudrait que je retravaille cette phrase). Je n’étais qu’un hétéro de base, assez quelconque en fait, voire un brin vulgaire.
— Mais alors mon élève lambda, se serait-il trompé ???
Alors Christophe, tapotant mon épaule fraternellement, se voulant rassurant :
— Tu sais, eux aussi peuvent faire des erreurs, et le cas échéant, dire des conneries.
— Non, tu exagères…

Il apparaissait donc que mon élève lambda s’était fourvoyé.
L’hypothèse émise par epsilon n’était je le crains que le résultat d’une verbalisation non aboutie, suite à une heure de colle mal vécue, une punition mal comprise, et non la volonté de m’interpeller sur mon moi profond, ah si je l’avais su !!!

Et je m’en voulus.

(Poil au cul.)

Remercions au passage ces élèves lambda qui savent bousculer nos douces certitudes et nous interpeller sur nos pratiques.

Je pouvais donc reprendre ma quête provisoirement interrompue, à la recherche du lolo perdu…
— Mais il n’empêche, t’as un problème avec les lolos…
— Ah bon ???
— Ben quand même… ces photos sur ton ordinateur…
— Ben quoi, c’est tout ce qui me reste de mes ex…

Mais Christophe avait raison.
Je ne pouvais me voiler la face.

Je me figeai d’un coup, l’esprit déambulant dans les dédales du temps, jusqu’à mon enfance, où là, je me vis à l’âge d’une semaine et demie, riant à pleines gencives, la tête coincée entre les doudounes généreuses de mon ardéchoise (maman je t’aime !!! Si si, je passe demain pour changer ta bouteille de gaz !!!). Aaaaaaah !!!! Les doux souvenirs de ces instants gracieux !! Aaaaaah !! Le temps béni de l’insouciance, à tétonner peinard, les mains derrière la tête, les doigts de pied en éventail, et la quéquette à l’air.
Je compris que de là venait mon goût immodéré pour le nichon.
Alors, regardant mon Cricri très affairé à décalaminer son septum, je me posai la seule question existentielle de toute ma vie : et si j’étais un bébé ???

Charly : le retour

Tout était prêt pour une prérentrée flamboyante.

Seulement voilà.

Mon réveil n’a pas sonné.

Ou peut-être a-t-il sonné, mais je n’ai rien entendu.
Ou peut-être l’ai-je entendu, mais n’ai rien voulu entendre.
Ou alors j’ai voulu, mais je n’ai pas pu.

C’est donc plutôt embarrassé par cette situation, pour ne pas dire confus, et pris de court, car encore délicatement vautré en travers du lit, comme figé dans une de ces postures lascives et typiques du réveil, où l’humain se mue en sex-symbol, irradiant comme rarement un sex-appeal troublant, à la limite du racolage, avec cette grâce si particulière du baleineau récemment échoué, emmailloté très serré dans un drap aux allures diffuses de torchon, du cou jusqu’aux genoux, comble de l’élégance, un seul œil ouvert, observant une bonne dizaine d’orteils faisant les malins là-bas au loin, que je cherchai séance tenante et tambour battant une explication plausible à cet épisode fort contrariant de ma vie trépidante (réflexions toutefois limitées par le peu de moyens dont je dispose à des heures aussi matinales).

Lorsque soudain, j’eus un doute : et si, in fine, ce désagrément constituait un contretemps ??? Question pertinente s’il en est, mais qu’après mûre réflexion, je complétai par son corolaire : et si j’étais à la bourre ????

BORDEL DE MERDE !!!!!!

Aaaaah !!! Tu m’aurais vu cher lecteur jaillir de mon plumard tel un feu d’artifice sonore et flamboyant, fusant et pétaradant au milieu d’une foule d’oreillers en liesse, puis par petits bonds successifs, embringué que j’étais dans mon drap, tenter de rejoindre l’armoire du fond, devant laquelle, hélas, trois fois hélas, je chutai lamentablement, mais en silence, dans la plus stricte intimité, chute que j’agrémentai toutefois de quelques triples salto époustouflants et moult sauts périlleux d’anthologie afin d’éviter un concassage nasal en règle. Puis, ayant réussi par de gracieux tortillements reptiliens, du plus bel effet, à me débarrasser de ma camisole, je procédai à l’enfilage de mon froc, à la vitesse du son, de mes pompes, à la vitesse de la lumière, me jetai éperdument dans les bras de la première chemise venue, tout en chantonnant une version personnelle et passablement remaniée de « Y’a de la joie », version je le confesse assez triviale et largement détournée, puis négligeant la mort dans l’âme l’hygiène la plus élémentaire et ma raie de coté, je galopai tel l’alezan vers le parking du quartier, où pour finir, je démarrai en trombe mon petit bolide, et le pilotai avec une adresse déconcertante en direction de mon petit collège.
(J’en profite d’ailleurs pour m’excuser auprès des feux tricolores devant lesquels je suis passé avec un certain mépris, c’est clair, du panneau « Stop » à la sortie de mon bled, pourtant fort sympathique, auquel je n’ai même pas accordé un regard, ainsi que des diverses lignes continues que j’ai totalement ignorées, avec une certaine morgue dois-je dire. Concernant la petite dame en gris dont j’ai bien vu les gestes désespérés dans mon rétro, qu’elle se rassure, j’ai en effet son cabas encastré dans mon pare choc avant, mais si je peux me permettre un petit conseil, chère madame, de façon générale, évitez de traverser sur les passages piétons, là où ça glisse le plus, parce que je vous assure, c’est pas évident de freiner sur de telles surfaces. Quant aux deux charmants bikers, très joliment tatoués, et très en verve je dois dire, je vous répète ici ma passion pour la moto, et mon total respect pour les motards en général et pour vous en particulier. Autant je ne taris pas d’éloges à votre sujet, c’est vrai, c’est rare de rencontrer des types aussi épatants, sachez, si je peux me permettre une remarque, que j’ai moyennement apprécié ce que vous avez fait avec mon nez, alors que je m’étais engagé, à genoux en plus, à vous rembourser intégralement les deux motos. Franchement, c’était pas sympa.)
(Des excuses aussi auprès de la communauté homosexuelle à laquelle j’ai fait référence à plusieurs reprises en m’adressant en des termes peu flatteurs, mais sur un mode taquin, aux voitures qui me précédaient. Aux femmes, d’une façon générale, au sujet desquelles j’ai émis quelques doutes quant à la qualité des mœurs et sur les pratiques sexuelles, utilisant différentes appellations qui pourraient être taxées, je le concède, de péjoratives. Des excuses auprès des routiers, dans leur ensemble, à propos desquels j’ai tenu des propos semble-t-il équivoques, où j’émettais visiblement des doutes sur leurs capacités intellectuelles, alors qu’il s’agissait de simples figures de style, pour faire mon intéressant. Les cyclistes, qui me pardonneront volontiers les menaces de sévices et autres projets de peloton d’exécution, il ne s’agissait là que de simples métaphores, qui pouvaient prêter à confusion, certes, mais qu’il serait dommage de laisser entraver une relation naissante et pleine de promesses. Pour finir, le portail coulissant du collège qui a bien pris son temps pour coulisser, que j’ai encouragé à plus de rapidité en des termes ambigus, c’est vrai, et je reconnais que j’aurais tout à gagner à être plus clair. Et pour conclure, des excuses au parking du collège, qui, contrairement à ce que je suggérai de façon un peu hâtive, avec un ton chargé de sous entendus, mais dans un moment d’égarement, n’est pas si petit que ça, puisque j’ai attendu à peine un quart d’heure qu’une place se libère.)
(Ouais !!!! Je viens de battre mon propre record de digression !!!! Ouaaaaah !!!! Suis trop fier !!!!! En même temps, je n’ai pas le choix car la rentrée est d’une ordinarité, et d’une banalitude telle, que j’aurais pu vous la claquer en deux mots.)

C’est donc très souriant et parfaitement zen que j’ai poussé avec la plus grande délicatesse la porte de la salle de réunion déjà bondée, porte qui n’a quasiment pas grincé, mais vraiment trois fois rien (putain de porte !!!!), que j’ai longé le mur de la salle avec la plus grande discrétion, avec des faux airs d’applique murale, pour atteindre avec une vraie humilité un siège vacant devant le chef (NDA : les sièges vacants sont toujours juste pile poil devant le chef).
— Bonjour Monsieur Le Prof…
— Bonjour, excusez-moi, ma voiture n’a pas démarré…
— Ah, vous me rassurez, j’ai cru que vous étiez tombé d’un bateau…

Le fait de venir en réunion de prérentrée en short et une barbe de trois jours peut prêter à confusion, et vous faire passer assez rapidement pour un parfait dilettante. Je déteste ces jugements hâtifs, car bien souvent, vous vous retrouvez sans autre forme de procès livré aux plus vils des ragots, à patauger lamentablement dans le clapotis nauséeux de la vase putride des commérages badins.

Je me souvins alors de ce que disait mon vénéré Maître Shar Li, lui qui de chaque situation savait extraire le suc, la quintessence, et éventuellement, quelques revenus substantiels :
— Car vois-tu petit scarabée, sur la sente tortueuse de la destinée, veille à ne point te fier aux apparences, elles sont souvent trompeuses, voire mesquines, quand ce ne sont pas de vraies salopes. Mais sache aussi, que si l’habit ne fait pas le moine, l’inverse est souvent vrai. Et d’ailleurs ça se voit. Au fait, petit scarabée, aimes-tu te baigner nu dans les rivières ???
(Voilà typiquement le genre de phrase qui aide à affronter les épreuves, et je ne vous en remercierai jamais assez Maître. Pour la baignade, tu peux te brosser vieille fripouille… )

Mais lorsque Christophe m’a fait remarquer pendant la pause, que mon visage présentait une bien vilaine cicatrice, descendant du coin de l’œil jusqu’au menton en contournant la joue par la face est, vestige de l’union passionnée d’une joue transpirant dans la moiteur de la nuit et d’un oreiller plissé reconverti en décalcomanie, cicatrice d’à peine la largeur de la vallée du rift, mais presque aussi longue que la faille de San Andreas, je crus un instant que ne se révélât le pot aux roses, et de passer pour un con.

Ce dernier point fut rapidement acquis car j’essuyai moult moqueries et taquinades, auxquelles je fis face comme à l’accoutumée, sans ciller, ni vaciller, ni même sourciller.
Mais j’eus aussi des remarques sur la finesse de mes gambettes que visiblement certaines m’enviaient.
Tu m’étonnes.
Autant de finesse en bas et d’intelligence en haut.

Et c’est ainsi que s’acheva cette journée de prérentrée, bercé par le ressac incessant des flots de bavardages, où il était question de contrats d’objectifs et autres itinéraires de découverte, que j’écoutais vaguement distrait par les souvenirs d’un été aux femmes callipyges, à leurs seins piriformes, ah les bonnets d’Anne !!! Et jetant quelques regards furtifs sur les nouvelles recrues, avant que d’être définitivement absorbé par la contemplation de la parfaite rectitude de mon tibia gauche.

Mission

(Attention, ce texte est particulièrement bordélique)

Comme tu le sais cher lecteur, la mission essentielle de l’enseignant consiste à transmettre les savoirs, les savoir-faire, les savoir-être et parfois même, mais c’est plus rare, les va-savoir.

Ainsi donc, le prof transmet.

Et n’est-ce pas là une noble mission que la transmission ??? Dont nous ne sommes que les modestes courroies ???
(ouais je sais, annoncer en soirée que t’es courroie de transmission dans une ZEP chatoyante, ça le fait pas trop, mais bon, je t’avouerais cher lecteur que je commence à patiner coté métaphore, et qu’il est temps de prendre quelques vacances dont je te rappelle qu’elles sont de trois mois sur ce blog, (juillet août septembre, c’est ça, trois mois), et que je cherche toujours une nana pour mes deux semaines à Mayotte (à ce sujet, si ça vous intéresse, sachez que je propose un forfait très attractif « Charly Inside » comprenant : hébergement, restos, alcools, humour illimité (calembours salaces à la demande, jeux de mots selon les stocks), plus le spécial bonus « charme exquis » (mais jusqu’à vingt trois heures seulement, et à partir de dix heures du matin, en dehors de ces plages horaires la direction décline toute responsabilité), mais aussi galipettes variées (attention, forfait galipette d’une heure, avec, au-delà du forfait, 50 euros TTC (ou un Magnum (tout le rituel d’une glace au contraste fort entre un enrobage chocolat craquant et une glace onctueuse, pour une expérience irrésistible (enfin, c’est ce que dit la pub)) par demi-heure supplémentaire entière non divisible (toute demi-heure commencée est due), attention : tralala en sus. Les conditions d’admissibilité et de mensurations sont disponibles au format PDF sur simple demande. NB : trajet à votre charge, mais je m’occupe des transports, ahahahahahaha !!!)).

Et chaque jour inlassablement l’enseignant dispense sans compter, tandis que toi lecteur tu produis du PIB.

(Ça m’fait penser, en parlant de nana, Isabelle est revenue à la charge, une heure au téléphone, j’ai failli m’endormir. Pour résumer, elle m’a dit qu’elle pourrait tout à fait vivre avec quelqu’un comme moi, que c’était important de vivre à deux et de partager des trucs dans la vie. Vous savez ce que j’ai répondu ??? Heu partager oui mais heu… même l’argent ???? Ahahahahahahahahah !!!)

Car enfin, les enseignants détenteurs d’une telle somme des savoirs ne constituent-ils pas un des patrimoines essentiels de notre beau pays ??? (ouais beau pays, faut voir, vous connaissez la Picardie ??? Ben putain)
(Ouais donc après elle a enchaîné en disant que je vivais en parfait égoïste, à faire ce que je voulais, quand je voulais, avec qui je voulais, et m’a demandé si ça ne me pesait pas trop et si je ne culpabilisais pas des fois, alors j’ai réfléchi et j’ai répondu : ahahahahahahahah !!!!!)

Mais notre mission c’est aussi donner sa chance à chacun de nos élèves, et ils en ont besoin, car tu le sais cher lecteur, on reproche bien souvent à notre société d’être à deux vitesses, alors qu’elle dispose aussi d’une marche arrière, on aurait un peu trop tendance à l’oublier (et donc après elle a dit « avec moi, tu auras la chaleur d’un foyer, mes trois adorables enfants, qui ont mille activités, une pelouse de 5000 m2 à tondre une fois pas semaine, du bricolage en permanence, toi qui es prof de techno ça devrait te combler non ?? Alors j’ai fait : ahahahahahahahahahahahahahahah !!!)

Mais l’enseignant doit aussi contribuer… (putain c’est chiant d’être interrompu à chaque fois, ouais donc pour finir avec Isabelle, elle m’a raccroché au nez, et c’est con j’allais lui proposer Mayotte, sans les gosses bien sûr, c’est que ça coûte un max en glaces ces trucs-là).

Ah merde, v’là Shar Li qui s’radine, j’l’avais oublié çui-là

Soudain, le visage de Shar Li m’apparut en un flash back saisissant et son aura illumina telle une lampe torche mon visage poupon.
« Car vois-tu, petit scarabée, sur le long chemin qui mène à l’indicible grâce, n’oublie pas chaque jour de transcender le temps qui passe, en extrayant le substrat de chaque seconde, la quintessence de chaque instant, bien que des fois, tu verras, c’est pas évident, notamment quand tu te couperas les ongles des pieds ».

Ok, merci Shar Li. Si t’en a d’autres comme ça, t’hésite pas intervenir.

Et c’est ainsi que grâce aux enseignants, et de génération en génération, le savoir, tel un chariot élévateur, hisse les peuples hors de l’obscurantisme, tandis que le tractopelle de la science dégage la route du progrès, afin que nous cheminions tranquilles et peinards vers des jours meilleurs.

Oh je sais que les enseignants sont victimes de bien des préjugés, mais comme tu le sais cher lecteur, d’autres professions subissent aussi ces avatars de la bêtise : les politiques, les journalistes, les chauffeurs de taxi (sauf que là c’est vrai), les femmes (des préjugés bien souvent infamants, bien qu’en y regardant de plus près, tout n’est pas faux non plus), les maîtres chiens (?!?!), les coiffeurs (en même temps, y’a pas de fumée sans feu), les proxénètes, les DUT informatique option maintenance réseaux et systèmes, les infirmières (qui ne sont pas toujours toutes nues sous leur blouse, même si majoritairement c’est le cas), les boas constrictor, etc.
(D’ailleurs en parlant de préjugés, y’en a un qui me fait bien marrer, c’est celui qui veut que les Français soient les meilleurs amants du monde. Et il me fait d’autant plus marrer que l’été dernier, je suis sorti avec une Polonaise, et je peux vous dire que lorsque je lui ai parlé de ce préjugé, au petit déj, ben ça l’a fait sacrément rigoler. Comme quoi, les préjugés, quelles conneries).

Bon, j’en étais où moi ???

Ah oui, la conclusion.

Ben y’en aura pas, ça m’emmerde.

(Comme tu le constates cher lecteur, il semble qu’en raison d’une configuration mentale favorable, j’ai du mal à me départir d’une certaine propension à débiter de la connerie et tu pourrais rapidement en conclure que la nécessité de mes vacances ne s’avère pas vraiment nécessaire (répétition nécessaire/nécessité dans la phrase : rien à foutre). En fait j’ai triché, ce texte fut écrit en mai, après un barbecue particulièrement arrosé.)

(Allez, je vais étendre mon linge, vingt minutes à transcender comme un malade, du pur bonheur quoi, merci Shar Li !!!)

Le barbecue

La saison des barbecues est ouverte, et le week-end dernier, je l’ai inaugurée chez une sorte d’amis.

— Oooooooh !!! Bonjour Charly !!! Sympa d’être venu !!!
— Bonjour !!! Ah… mais j’savais pas que tout le monde devait amener quelque chose, j’ai rien amené…
— C’est pas grave !!! Pose-le là !!
— ?!?!
— Et tu es venu seul ???
— Ben je savais qu’il y avait de la gisquette, alors j’en ai pas amenée non plus…
— Ahahahahahahah !!! Ça, c’est du Charly tout craché !!!

Bon moi, les barbecues, j’suis pas trop fan. Regarder dégouliner ces gouttes de graisse qui font pschiiiiiiiiiiittt dans une débauche de fumée ça me révulse juste à peine. Bon, des trucs grillés ça peut être sympa, mais là, on avait largement dépassé ce stade, et le mot immolation me parait beaucoup plus approprié. La raison étant que le préposé au barbecue, à force d’apéritifs anisés, s’était transformé peu à peu en préposé à la crémation, et le pique-nique à vocation festive en veillée funèbre, et nous étions bien en peine de départager saucisses et merguez. À ce stade, seul un test ADN l’aurait permis, mais bon, pris dans l’ambiance, vous savez c’que c’est, et pis bon, j’allais pas faire ma chochotte.

Alors on a attaqué le repas par feu les saucisses, et on a été relativement unanimes à regretter qu’ils aient mis des couteaux en plastique plutôt que des haches en acier trempé, pasque putain.
Et pis moi je savais pas qu’il existait de la moutarde en seau, et ben c’est sympa, tu trempes, et ça ressort tout jaune.

Sans dèc, c’est super joli.

Mais le petit plus c’est la brochette, qu’arrive direct du crématoire, que t’as pas demandée et qui gît dans ton assiette en carton qu’a des p’tites fleurs autour. Brochette dont tu saisis habilement l’extrémité avec ta main droite pour ensuite pousser avec ta fourchette le petit morceau de viande au bout.
Délicatement bien sûr.
Mais comme tu sens que ça résiste un peu, ben tu pousses un peu plus fort, mais bon, toujours que dalle. Et là, faut bien prendre une décision, alors pendant que tu te demandes quel est le con qui fout de la super-glue sur les brochettes, tu te raidis sur ton siège et tel un archer qui tend son arc, et ben tu tends, et là, putain de merde, ça part d’un coup, t’as tout qui vole, l’assiette, ton verre de pinard, la bouteille qui se renverse, sur le pain, pis sur la nappe, pis parterre, pis sur la robe de la nana en face, que tout le monde se précipite pour éponger, « et merde » que tu penses très fort dans ta tête, et tu te sens juste un peu dégourdi comme un manchot qui joue du tambourin. Alors tu t’excuses confusément, avec ton air con de circonstance, en accusant lâchement ta fourchette, espèce de salaud, mais personne n’est dupe, mais bon, comme ils sont sympas, pas de bol, y t’en amènent une autre.

Le truc sympa aussi, c’est le taboulé maison, qu’est pas du tout bourratif, mais bon, si tu respires bien par le nez, ou mieux, par les pores, tu peux en reprendre une deuxième cuiller. Mais faut surtout pas boire juste après, pasque la semoule elle gonfle, et ça peut fait un blocage dans l’œsophage, et tu peux mourir dans d’horribles convulsions.

Pis après t’as les glaces. Miam miam que tu fais dans ta tête.
Enfin, jusqu’à ce qu’elles arrivent quoi.
Parce que toi t’attends bêtement ta petite coupe bien gentiment, mais c’est parce que t’es vraiment con des fois, pasqu’en fait, c’est pas comme ça que ça se passe. Ben ouais, pour pas s’emmerder, ton hôte, il arrive avec une bonne trentaine de boîtes et te demande de choisir tes parfums. Pis délicatement, avec la cuillère spéciale qu’il trempe dans un bol d’eau pour que ça colle pas trop, juste un peu quoi, juste que la boule vanille ait la couleur fraise voyez, il te refile trois boules aux couleurs improbables, que ça fait vachement envie de les bouffer, et que même au cas où, tu sais pas où tu vas les mettre vu que t’as largement dépassé tes capacités de stockage, mais bon, en tassant un peu, on va bien leur trouver une petite place.

Après un tel repas vous n’avez d’autre choix que d’aller siester une petite dizaine d’heures mais avant de partir votre hôte vous sort le p’tit digeo maison. C’est très convivial comme tradition, bien que franchement des fois, j’ai des doutes sur la convivialité de ce genre de truc. Pasqu’après la première gorgée, vous sentez qu’y se passe quelque chose au niveau de vos gencives, mais vous prêtez pas trop attention. Mais quand même, l’air de rien, vos dents viennent de se déchausser de cinq mm, mais vous le savez pas encore, ce sera la bonne surprise du lendemain.

Alors bien sûr, il est hors de question de prendre le volant dans cet état, d’abord parce que vous vous êtes installé sur les places arrières, et ouais, vous en tenez une bonne, et que vous passez un bon quart d’heure à le chercher, le volant. Bien que soyons honnêtes, vous ne risquez strictement rien en cas de contrôle, car avec tout ce que vous vous êtes envoyé, vous pouvez faire exploser n’importe quel éthylomètre rien qu’en soufflant dessus à plus de trente mètres de distance. Et pas d’éthylomètre, pas de contrôle.

Donc, pas vu pas pris.

Hors de question non plus d’aller draguer comme vous l’aviez prévu, d’abord parce que vu votre état pitoyable, il n’est pas sûr du tout que ayez le même succès que d’habitude, c’est même quasiment pas sûr du tout, et parce qu’avec votre haleine de bison et votre propension à marcher sur les genoux en chantant « tiens voilà du boudin », vous allez surtout attirer les p’tits gars de la police, puis les tites gisquettes du SAMU, et finir à coup sûr l’après midi dans une salle de réanimation.

Bon ben voilà, j’ai un autre barbecue prévu ce week-end, chez une autre variété d’amis.

Chouette.

Ben vivement dimanche.

La fable du mufle et du cochon

Je dois vous faire un aveu.
J’ai un peu honte, car j’ai fait pleurer une élève.
Une élève de 4e, très gentille d’ailleurs, mais qui par malheur s’est aventurée sur un terrain qui est le mien.

Mais avant de m’insulter pour cette triste prestation, je vous propose de revenir sur la genèse de cette affaire, en commençant toutefois par le début.

J’étais en train d’écrire un truc émouvant sur l’étude de marché, c’était un début d’après-midi, donc sous l’effet d’une baisse de tension assez terrible, quand soudain, j’entends un grognement de cochon :
— Hihan, hihan, hihan… etc.

?!?!?

(Putain j’ai un doute là, c’est pas plutôt l’âne qui fait hihan ? Attendez voir, pasque si je me souviens bien, le chat c’est miaou, le chien ouarf ouarf, le canard coin coin, mais le cochon ? Comment ça s’écrit le bruit du cochon ? Bon, je vais tenter strffffff, vous me direz si j’ai bon)

Je reprends :
J’étais en train d’écrire un truc émouvant sur l’étude de marché, c’était un début d’après-midi, donc sous l’effet d’une baisse de tension assez terrible quand soudain, j’entends un grognement de cochon :
— Strffffff strffffff strffffff.
(Ouais, un peu asthmatique mon cochon, mais bon je vais pas non plus y passer des plombes, d’autant que le suspens est à son comble, mais bon, comme c’est un blog tout pourri, j’vais pas non plus trop m’emmerder)

J’enchaîne.
Entendant ce bruit incongru, je me retourne, avec ma tête spéciale « comment se faire des amis », et je balance :
— Qui a fait ça ???
Alors évidemment, ça pouffe, ça ricane, ça couine, quelle bande de faux-cul, et constatant le peu de cas fait à ma requête, je reprends ma rude besogne en pensant des choses moyennement humanistes à leur endroit.
Quand re-soudain :
— Strffffff strffffff strffffff.

Je pose ma craie et je me retourne, lentement. Si vous voulez avoir une idée de ma tête en cet instant, voici une petite astuce.
Vous êtes sur une place de marché, il fait beau, la vie est belle, vous allez faire votre tiercé, et vous voyez Lino Ventura avec des amis, sympa, en train de jouer aux boules, de bien rigoler, la vie est belle quoi. Vous vous approchez de lui, vous le regardez, du coup il vous regarde, et là, vous passez derrière lui et, mine de rien, vous lui mettez la main au cul, en disant « un p’tit câlin mon canard ? ».
C’est bon ?? C’est fait ?? Vous voyez sa tête ?? Ouais ben, la mienne c’était tout pareil.
(Au fait pour Lino Ventura, il l’a sûrement mal pris, alors traînez pas trop dans le coin, enfin, moi, c’que j’en dis)

J’enchaîne.
Et je remarque deux filles au deuxième rang, pouffant un poil plus que les autres.
— C’est vous mesdemoiselles ?????
Coralie :
— C’est moi m’sieur, oh m’sieur, c’était pour rigoler…
Très drôle en effet.
— Tu veux que je te dise un truc Coralie ??? Pour être franc, je trouve que tu imites très bien le cochon, tu as des prédispositions, c’est clair.
— Ahahaahahahahahahahahah !!!!!! Fit la classe dans son ensemble sauf Coralie.

Hé, c’est pas de la super répartie ça ???? C’est pas de la super mise en boîte ??
Bon c’est vrai, légèrement teintée de mauvaise humeur, mais quand même, quel sang-froid, quelle réactivité, j’ai appris ça en pratiquant le thaï kendo, retourner la force de l’adversaire contre lui-même, tout un art (mais là j’ai arrêté le thaï kendo, pasqu’un coup j’ai retourné la force de l’adversaire contre moi-même, du coup, c’était comme s’ils étaient deux, et je me suis foutu une de ces roustes, mon vieux).

Et je reprends le cours, l’épopée de l’étude de marché, et environ dix minutes plus tard les gamins m’interpellent :
— Hé m’s’ieur !! Coralie elle pleure !!
Ah, me dis-je, certainement un petit chagrin d’amour, aaaaaah !!!! Les doux émois adolescents, qui ne durent qu’un instant, Dieu que ceci est touchant, enfin bref, toujours à chialer ces gonzesses.
— Coralie ?? Puis-je faire quelque chose pour toi mon enfant ??
— C’est les garçons, snif, après c’que vous avez dit, snif snif, y z’arrêtent pas de me traiter de cochonne, bouuuuh, snif snif, bouuuuuh, Etc.

Ah merde, j’l’avais pas prévue celle-là.
Du coup j’harangue, j’apostrophe, je vilipende les vilains rustres les menaçant de représailles mais ils me rétorquent, fort à propos, mais avec quelle insolence, jugez-en plutôt :
— Hé m’sieur, c’est vous qui l’avez dit.

Bien.

Je vois qu’y en a qui écoutent, ça fait plaisir.
Si si, j’y tiens, c’est pas si souvent.
Mais je vois surtout que je me suis foutu dans une situation sympa, et qu’il va falloir faire preuve de doigté pour me sortir de cette merde, mais bon, j’en ai vu bien d’autres dans ma vie, et je m’en suis toujours sorti, avec le sourire (petit hommage à Sacha Distel, qui savait conserver un moral d’acier sous une pluie battante, même acide, chapeau).
— Ben oui, c’est vrai que je l’ai dit, mais il ne faut pas toujours répéter bêtement ce que dit le professeur, hein mes poussins ??? Vous le savez ça hein, vous le savez ??

Je leur fis donc un petit laïus, pour l’air de rien me défausser, mais tellement embrouillé, qu’ils n’y comprirent que pouic, et moi non plus d’ailleurs. Mais les garçons tenaient absolument à la pertinence de leur argument, têtus qu’ils étaient, et je dus, la mort dans l’âme, grâce à une subtile menace d’heures de retenue, oh que je regrette, clore prestement nos échanges.
(Non mais oh, y s’croient où eux ?!?!)

Fort marri, je conservai donc en fin de séance ma petite 4e avec sa meilleure amie pour lui dispenser quelques petites excuses et lui faire une rapide leçon sur le moquage de prof et des risques encourus. La petite m’assura de retenir la leçon. Je m’engageai pour ma part à contenir mes piques diligentes, elle, sa ménagerie, et nous convînmes d’un armistice que nous signâmes sur le champ, décrétant férié le jour courant, et elle quitta la salle le visage radieux, la brave petite enfant.
(Ouais, mais j’l’ai quand même bien bâchée celle-là !!!)

La morale de cette histoire, la pauvrette l’apprit à ses dépens, c’est qu’il n’est pas plus vile manière, que de moquer un titulaire, que ce soit par devant, ou pire, par derrière.

Une belle journée d'automne

Il était 7h20 ce matin, une belle journée d’automne, comme je les aime, avec ses forêts mouillées, leurs nuanciers châtains, méchés de roux et de brun, et ses jolies grèves des trains.

Je roulais au pas, bloqué dans un bouchon de quatre véhicules, derrière un tracteur, sifflotant, tout à ma joie de retrouver mes racaillettes, quand soudain, je vis par delà les clôtures de notre si belle campagne, un spectacle à peine soutenable. Je stoppai mon véhicule sur le bas-côté, descendis et rejoignis la clôture la plus proche pour me retrouver comme figé par la vision. Je décidai d’alerter le monde.

Oui, c’est une des conséquences de la grève des trains, nos vaches n’ont plus rien à regarder.
Alors elles s’étaient regroupées à l’autre bout du champ, au pied du talus, fixant la voie silencieuse, attendant le TER 7687 de 7h13 qui ne viendra jamais, ce que je me gardai bien de leur dire, et ça meuglait, ça beuglait, mon vieux, ça faisait peine à voir.

Oui, nos vaches sont prises en otage, qu’on se le dise.
Ben c’est vrai, quand ta vie est rythmée par le TER de 7h13, le Corail de 10h28, et l’Elipsos de 19h44, ben quand y’a grève, t’es comme légèrement dévariée, et tu rechignes un poil à te faire tirer sur la mamelle comme si de rien n’était. C’est humain comme réaction, mais bon, n’imaginez pas que ce soit sans conséquences sur le yaourt.
Déjà qu’avec les TGV qui vionzent, que c’est limite subliminal comme passage, ben là t’es carrément sevrée. D’autant que dans bientôt, c’est direction le pensionnat, à l’étable, oust, et pour tout l’hiver, dans une promiscuité pas possible, à te faire shooter aux hormones et à l’antibio, j’te jure, y’a des fois, t’aurais comme l’envie de fuguer.

Alors ce matin je les ai appelées, et elles sont venues me voir, mais pas trop vite quoi, et pis elles se sont arrêtées à deux mètres pour renifler, pasque les vaches, c’est des sacrées pétochardes. Pis y’en a une qui s’est approchée, et j’y ai caressé le museau, pasque c’est important de créer du lien social dans la vie.
Alors les autres sont venues aussi et je leur ai tripoté le museau à toutes. Bon c’est sûr, ça remplace pas un train mais ça console un peu.

Moi et les vaches, c’est une vieille histoire.
D’abord pasque petits, on buvait le lait de la ferme d’à coté, qu’il fallait bien faire bouillir, que je surveillais dans la casserole jusqu’à ce qu’il soit bien pile poil au ras du bord, que j’arrêtais vite fait le gaz mais que c’était trop tard, et qu’il fallait que je nettoie tout.
Et comme au catéchisme y nous disaient que la nature elle était généreuse et qu’il fallait profiter des dons du seigneur, ben nous on piquait des cerises et des poires tant qu’on pouvait. Mais un jour, la veille de ma communion solennelle, ben le paysan il a tout répété à mon père, qui m’a privé de dessert le lendemain, sous prétexte que le dessert c’était fait, et que donc, la pièce montée, tintin. Alors avec mes copains, pour se venger, on a ouvert la clôture des vaches du paysan et elles se sont toutes barrées, mais nous, on les a pas attendues, j’peux vous dire. Mais l’autre là, il a encore tout cafté à mon père. Ben j’ai cru que mon père il allait me priver de vaches, mais pas du tout, il m’a privé de mes copains pendant une semaine, et y m’a mis un coup de pied au cul, mon vieux, que même aujourd’hui, quand je m’assois, j’ai encore mal. Ouais pasque mon père, y pratiquait non seulement la pédagogie à mains nues, mais aussi des sortes de petits massages fessiers revitalisants, avec son 44 pied large.
Alors avec mes copains on a réfléchi à une méga vengeance de la mort mais on a réfléchi debout pasqu’on avait tous sacrément mal au cul. Et pis on s’est souvenu qu’y fallait surtout pas que Léo le taureau traîne avec les filles, alors on a coupé la clôture qui séparait les vaches de Léo le taureau, que d’ailleurs on s’est coupés avec les barbelés, et Léo le taureau, qui n’en demandait pas tant, y s’est précipité vers les vaches sans demander son reste.

Putain.

Bon, j’vais pas vous faire un dessin, mais bon, pour faire simple, Léo, y s’est pas trop emmerdé avec les préliminaires.

Bon, c’est arrivé jusqu’aux oreilles de nos vieux, qui par association d’idées ont tiré les nôtres, putain, on ressemblait à une équipe de Mickey après ça, et comme punition, avec mes copains, on a dû se lever à cinq heures du mat, pour voir comment le travail de paysan c’était dur et qu’il fallait pas se moquer, et on devait l’aider à porter ses seaux de lait. Mais on a bien aimé en fait, et il a été très gentil sauf qu’il a fallut aussi l’aider à cueillir ses poires, enfin, celles qui restaient. Alors pendant toute la journée, on a porté des saquettes d’une tonne jusqu’au tracteur, comme des esclaves, que même on avait le droit d’en manger qu’une, c’est vrai en plus, et ben ça, c’était vachement dur.

Alors quand j’ai retrouvé les gamins, je souriais encore en pensant à tout ça, et je leur ai raconté l’histoire des vaches qu’étaient privées de train. Puis j’ai pris l’air sérieux, pasque c’est un vrai drame, et je leur ai demandé de bien penser à faire coucou aux vaches le soir en rentrant. Et pour être sûr, je leur ai fait noter sur leur cahier de texte, et ils l’ont bien noté, j’ai vérifié. Les parents vont se dire que le prof de techno roule sur la jante, mais bon, si on peut plus rigoler.

Et vous au fait ? Vous avez fait coucou aux vaches aujourd’hui ?