Tous les articles par Charly Le Prof

Représailles

Il semblerait que les représailles envisagées lors du message d’hier aient attiré votre attention. Mais je me dois de tempérer ce vindicatif enthousiasme. En effet, nos moyens sont limités. Après avoir consulté un cabinet d’avocat célèbre, épluché la jurisprudence, abondante sur le sujet, et étudié attentivement l’article 24 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne relatif aux Droits de l’Enfant, ma conclusion est sans appel : je dois renoncer aux représailles.
Je sais, c’est dur.
Toutefois, je défini de nouvelles résolutions pour cette classe.

À partir de dorénavant :

Les appeler par leur nom de famille.
Les vouvoyer.
Remplacer le « Bonjour à tous » par « Bonjour les nains ».
Cesser d’être drôle, beau et plein de charme.
Leur raconter ma vie.
Leur expliquer que de toute façon 10% d’entre eux seront pauvres.
Ne pas dire lesquels.
Retirer les consignes de sécurité relatives à l’utilisation du fer à souder.
En prétextant qu’il s’agit d’évaluer leur autonomie.
Faire l’appel en commençant par la fin.
Lors des alertes incendie, et que l’alarme sonne, dire en toute bonne foi que c’est un téléphone qu’on entend, et les laisser, en toute bonne foi, pour aller répondre.
Les faire écrire vingt lignes de cours, dire que j’me suis trompé et leur faire passer du blanc.
Les faire écrire un cours et leur demander de souligner les mots importants.
Noter les classeurs chez moi et renverser dessus, par inadvertance, une carafe de café.
M’excuser en leur demandant de tout refaire.

Voilà. Avec ça déjà…

Les cafteurs

Conseil de classe. 6e4.
Après un tour de table.

— Bon, les délégués élèves, vous avez des remarques ?
— Heu… les cartables sont trop lourds…
— Oui, mais encore ?
— Ben… à la cantine, les 3e y nous passent toujours devant…
— C’est pas normal ça. On va en reparler. Vous avez autre chose ?
— Oui… heu… M’sieur… en technologie, y dit des gros mots.
— Bon, c’est tout ?
— Oui.
— Bien, m’sieur… vous voulez intervenir ? Visiblement vous êtes mis en cause.
Y fait de l’humour le Principal.
Et comment que j’veux !
Les p’tits fumiers ! Me mettre en cause. En plein conseil de classe !
Devant les collègues, le Principal, les parents d’élèves.
La honte.
Moi qui suis une crème de prof.
Jamais une heure de retenue, jamais un contrôle surprise.
Jamais de travail à la maison. Toujours à les faire marrer.
Et là, le coup de poignard.
Le croche-patte.
J’ai rien préparé.
Que dire ?
On aurait pu parler du poids des cartables, de la cantine.
Ça m’aurait laissé un peu d’temps.

— Oui, je souhaiterai… heu… évidemment, réagir à cette remarque.
L’expérience m’a appris qu’il fallait bien souvent réagir inversement
à ce que nous dictent nos pulsions.
En l’occurrence, mes pulsions me suggèrent de leur mettre une bonne tarte. Aux délégués.
— Et tout d’abord, j’aimerai féliciter les délégués, pour leur usage bien compris du droit d’expression.
Tu parles !
Le droit d’expression.
Ça, leurs droits, ils les connaissent par cœur !
Mais les devoirs. Et le devoir de réserve ? En conseil de classe ?
— Ils viennent de nous donner un bel exemple de citoyenneté.
Ça, c’est un mot à la mode. Ça fait toujours bien de l’placer. Ça fait prof.
— Et il fallait un certain courage, pour faire ce type de remarque.
Du courage. En conseil ? Aucun risque pour eux.
Mais attends voir, demain. Les représailles.
— En effet, vous avez raison, il peut m’arriver d’utiliser des mots grossiers.
Oui, ça c’est vrai.
Mais de quoi on parle ?
Oui, j’dis merde de temps en temps. Mais c’est tout.
Peut être une fois, j’leur ai dit : vous commencez à me faire chier !
C’est vrai qu’c’était sûrement trop. Mais bon, doit-on brider les élans du cœur ?.
— Sachez que je suis sincèrement désolé, si j’ai pu vous choquer.
Les choquer, eux ?
Mort de rire.
Hier, je leur ai dicté le mot suspension. Sus… pension.
Toute la classe s’est marrée.
J’ai demandé pourquoi, avec un air naïf. Personne n’a répondu. Pourquoi ?
C’est moi qui étais choqué.
— Et je m’en excuse.
Ça c’est important de le faire. Même à contre cœur
— D’autre part, je m’engage à l’avenir, à être plus attentif à mon langage.
Voilà. L’auto-flagellation, c’est fait.
Mais j’peux pas en rester là.
J’suis un peu vexé quand même.
J’veux déconner un peu.
J’sens qu’j’ai la verve.
J’me lance. Sans filet. Advienne que pourra.
— Toutefois, pour conclure, j’aimerai ajouter quelque chose.
Je vous rappelle que nous sommes ici dans un collège.
Et que notre rôle est de vous préparer au monde qui nous entoure.
Et ce monde, c’est pas Eurodisney.
Il est parfois grossier. Et dur.
L’utilisation mesurée de mots grossiers en classe vous prépare donc à ce qui vous attend.
En ce sens, ces mots grossiers ont à mes yeux, des vertus pédagogiques.
Voilà, m’sieur le Principal, c’est tout.
Gonflé.
Et très discutable.
Le principal sourit mais n’intervient pas.
Et s’adressant aux délégués :
— Ça vous va ?
— Oui, très bien.

J – 1

Le 6 juin 1944, les américains débarquaient en Normandie.
Le 8 janvier 2007, 300000 profs partent à l’assaut des collèges.
On sait qu’il y aura du carnage, du sang, des larmes, et des vols de craie.
Mais c’est le job.
Et la veille, comme pour les GIs, la tension est palpable.
Je tourne en rond dans mon 50m2.
Surtout ne rien oublier.

Et pour commencer : faut qu’j’retrouve mon cartable.
Au gré du passage de l’aspirateur, j’sais plus ce que j’en ai foutu.
Tiens le v’la.
Je suis fébrile. Je l’ouvre. Tiens, y’a encore une mandarine.
La trousse, les cours, l’aspirine, la game-boy, tout y est.
Et même une pochette pleine de copies à corriger.
Putain, j’les avais oubliées celles la ! J’les corrigerai ce soir. Devant la télé.
Un p’tit coup de chiffon. L’arme doit toujours être impeccable.

Les fringues maintenant.
Un vieux jean tout pourri. En tout cas, suffisamment pour qu’on m’confonde pas avec le Principal. Mais pas trop, qu’on m’confonde pas avec les élèves.
Un pull, bien ample, une chemise à carreaux, des chaussures, bien larges pour le confort du pied.
Enfin bref, le costume de prof. Finies les belles fringues des vacances qui font mon succès dans le quartier.
Un prof banalisé quoi.

Préparation physique.
Un gommage, un masque désincrustant, une épilation. Partielle mais j’dis pas où.
Et une douche. J’fais un vœu, c’est la première d’l’année.
Faut soigner tout ça, parce que les gamins, y remarquent tout.

Préparation mentale.
Se rappeler en quoi consiste ce boulot.
Pratiquer la respiration ventrale, pour éviter le pétage de plomb.
Se dire qu’on fait l’plus beau métier du monde. Et pas l’plus vieux.

Voila. J’suis prêt.
Et pourtant, y m’semble que j’oublie quelque chose.
Mais quoi ?

Ah merde, ma carte de cantoche !

Ma vocation

Devient-on prof par vocation ?

Ben moi non.
Mais alors vraiment pas.
J’voulais être routier.
Ou conduire des trains.
D’ailleurs, aujourd’hui, j’habite juste à coté d’une gare.
La nuit, j’adore entendre les crissements des trains.
Mes copines, ça les faisait chier.
C’est pour ça qu’j’suis célibataire : c’est soit l’train soit l’train-train.

En fait, j’ai joué de malchance, j’étais bon en maths.
Ça, j’le souhaite à personne.
Tu parles d’une poisse.
La, si ça s’trouve, j’serais au Pérou, ou au Guatemala, en train de livrer des armes.
Putain, quel échec, quel looser !
J’vous jure, y’a des jours, si j’m’écoutais, j’irais passer le permis poid-lourd.
Mais j’suis comme mes élèves : j’m’écoute pas.
Et puis, j’suis pas con non plus.
En tout cas, les conseillers d’orientation, j’vous dis pas merci !

J’m’imagine parcourant la Russie, la Chine, le Sahara, l’Auvergne.
En écoutant de la zique. Le cerveau en mode éco. Avec un calendrier de Clara Morgane qui fait le pendule. Le rêve quoi.
Remarquez, prof ou routier, c’est un peu pareil. À part l’calendrier bien sûr. On t’file les clés, le programme, et après tu t’démerdes. C’est sûr que 30 élèves peuvent être aussi difficiles à manier que 30 tonnes.

Sans compter que j’ai des prédispositions : j’aime la bière, j’dis des gros mots et j’regarde les nichons des collègues. J’comprends pas qu’ça ait pu échapper aux conseillers d’orientation.
Enfin, ça, j’espère qu’ça échappe aux collègues, sinon j’vais finir par passer… pour c’que j’suis !

Allez, un p’tit tour de camion. Vous montez ?
Vrouuuuum, vrouuuuum, tutuuuuut, tutuuuuuut…

Un peu de régression, c’est pas interdit non ?

PS : bon, la, j’ai un peu honte. Mais bon, un peu de honte, c’est vite passé.

PSR

Un bon enseignant se doit d’illustrer ses cours par des PSR :
les Pratiques Sociales de Référence.
En clair, des exemples concrets, empruntés à la vraie vie.
Celle de dehors, qu’elle est dure parfois.
Exemple : Le départ de Johnny Hallyday pour la Suisse permet d’aborder un problème récurrent de notre pays : la fuite des cerveaux.
Ou celui, moins connu, de l’émigration choisie, que l’on pourra opposer à l’émigration subie.

Étant consciencieux, j’applique strictement cette directive.
Ainsi, je n’exclue jamais un élève de mon cours : je le licencie.
Ça, c’est de la PSR.
Pour les évaluations, les notes, je pense PSR.
Le travail n’est plus évalué par une note sur 20 mais par un salaire, fictif bien sur.
Le principe : je multiplie la note par 100€.
Un élève ayant 10/20 se verra attribué un salaire de 1000€.
Le SMIC quoi.
Pour les notes inférieures ou égales à 4/20, un revenu minimum est octroyé : 400€.
Le RMI quoi.
Et bien sur le maximum, 2000€, aux 20/20.
C’est pas d’la PSR ça ? Ça les prépare pas à la vraie vie ça ?
Et j’vous assure qu’avec ce système, les glandeurs commencent à rire jaune.

Le problème, c’est que dans la vraie vie, un patron peut gagner 300 fois le SMIC.
Ce qui correspond à une note de 3000/20.
Et ça, c’est pas possible. Faut qu’je revois mon truc.
Putain ces PSR, c’est pas évident.
En plus, j’sais même pas si c’est 300 SMIC brut ou net.

En fait, j’suis souvent emmerdé avec les PSR.
J’essaie de piocher dans l’actualité.
Tenez, récemment, un type connu ayant tenu des propos racistes, s’est retrouvé avec tous les medias au cul.
Quel foin !
Et dans le même temps, 200 personnes sont virées, juste pour que les actionnaires s’en mettent un peu plus dans les poches.
Et la, calme plat.
Conclusion : tu peux enculer qui tu veux, tant qu’tu veux, mais à une condition :
rester poli. Très important ça.
Et ça, c’est une PSR.
Ben oui. Mais comment la mettre en œuvre dans un cours ?
Si vous avez des idées.
A moins que le principe des PSR, si important pour nos collèges, ait des limites.
Oui, c’est ça. Le concept doit être retravaillé.
Je propose PSRA : les Pratiques Sociales de Référence Avouables.
Au moins, celles la sont compatibles avec les valeurs de la république.
Voilà.
Allez, encore une papillote et hop, j’finis ma pizza.

Trop ingérer n’intègre pas

J’ai jamais entendu d’élèves tenir des propos racistes.
Non pas qu’ils soient particulièrement respectueux et dépourvus de préjugés, mais ils ont parfaitement intégré, comme les adultes, que de tels propos les exposaient à des sanctions sévères.
Ou alors, c’est sous la forme :
— M’sieur, j’crois qu’j’ai fait du travail d’arabe.
— ?…
Je relève ce type de remarque. Ce qui ne manque pas d’étonner les élèves.
Mais j’évite de sanctionner, j’explique.
Non, vous pouvez être de n’importe quelle confession ou origine, au collège, vous ne risquez rien. Les seules ethnies auxquelles je déconseillerai vivement d’appartenir, c’est celles des gros et des moches.
Pour ceux la, j’peux vous dire, c’est terrible.
Je suis amené à intervenir souvent.
Et la que faire ? Un voile, on peut toujours le laisser à la maison, une kippa pareil,
mais 30 kg de surcharge ? ou une tête de tueur ? des oreilles paraboliques ? une taille d’1,10 m ?
Là, j’voudrais m’adresser aux parents :
Si vos gosses sont gros et/ou moches, ne les envoyez pas au collège !!
Pitié, bon sang, soyez responsables ! Y vont s’faire massacrer.
Mettez les au régime, tentez le relooking, la chirurgie, ou placez les dans des sectes.
Car les ados sont cruels.

Hier encore, Adeline (pas gâtée celle la) me demande en début de cours, si elle peut se mettre à coté de sa meilleure amie (pas mieux). J’dis OK.
La dessus, Grégoire s’empresse de commenter :
— M’sieur, les mettez pas ensemble, ça va faire thon sur thon !
J’lui ai demandé de s’excuser.
Mais c’était un peu vrai, quand même.

Pour certains, le collège, c’est l’école du râteau.
Et parmi eux, certains s’les font livrer par cartons entiers.

Pour être franc, j’ai laissé dire un truc raciste, une fois, lors d’une sortie scolaire.
On était dans un bus, et des élèves au fond ont repéré qu’on était suivi par une voiture immatriculée 75.
Ils ont commencé à chanter :
— Parigots, têtes de veaux, parigots, têtes de veaux…
Propos hautement discriminatoire s’il en est.
J’ai rien dit. Mais j’assume, quitte à devoir m’en expliquer avec ma hiérarchie.
J’étais même ému et en parfaite osmose avec mes élèves.
Car faut vous dire, que par chez nous, on l’aime pas trop l’parigot.
Et qu’nous autres, quand on voit un 75, on a envie de prendre une fourche et d’lui carrer dans le cul !
Vingt dieu d’vingt dieu !
Excusez moi, c’est l’émotion.
Ah, que j’aime mes élèves dans ces moments la.
Ils ont chanté ça pendant un quart d’heure.
J’en avais les larmes aux yeux de voir la relève ainsi assurée.
Puis ils ont enchainé sur des airs de pubs.
Très drôle.

Mais bien sur, ça a dérapé. J’ai du intervenir.
Ils chantaient la pub du PMU. Vous savez : Péééééééé, Mmmmmm, Uuuuuuu, etc…
Enfin, leur version.
— Péééééééé, Mmmmmm, Uuuuuuu… on l’a tous dans l’c…

Savoir illustrer une consigne

— Bon, vous écoutez s’il vous plait ?
Bien. Quelques rappels de sécurité sur le fer à souder.
Si vous souhaitez perforer la main de votre voisin avec un fer à souder,
quelles sont les conditions requises ?
— ?…
— Allez, je vous écoute. Axelle ?
— Ben, y faut qu’y soit branché.
— Très bien. Et pourquoi ?
— Pour qu’il puisse chauffer.
— Merci Axelle. Voilà pour la première condition.
En effet, le fer doit être chaud. Et plus c’est chaud, plus ça brûle.
On peut donc dire que la gravité de la brûlure est proportionnelle à la température.
Mais est-ce suffisant pour perforer ? Axelle ?
— Moi m’sieur !
— Émilie ?
— Y faut laisser appuyer longtemps.
— Excellent Émilie !
La gravité de la brûlure est donc proportionnelle à la température mais aussi à la durée d’exposition.
Démonstration. Mon fer est branché, sa température est de 300°, j’effleure rapidement mon index. Que se passe t’il ?
— Rien parce que ça été vite.
— Merci Antoine.
Vous vous souviendrez ? Température et durée d’exposition.
En résumé, pour une perforation réussie de la main de votre voisin, pensez à maintenir le fer suffisamment longtemps afin d’obtenir une qualité optimale.
Bon. Vous avez pas eu trop peur ?
— Siiiiiiiii !!!
— Et ben comme ça, vous f’rez gaffe.
Au boulot.