Ma salle des profs

Ah ! Que n’avez-vous rêvé de pénétrer ce lieu !!!!
Alors je vous invite, mais chutttttt… . pas de bruit.

C’est au bout du couloir, à droite, que vous découvrirez notre sacristie.
C’est une grande salle aux murs harmonieusement disposés, en rectangle quoi, comme si l’architecte, délaissant un instant sa quête exaltée de formes épurées, avait cédé soudain à une fantaisie débridée et délirante.
Leur couleur, jaune pâle, presque ictérique, qui n’est pas sans rappeler les pissotières d’autrefois, accentue leur troublante verticalité.
Le plafond, dont la forte charge néonisée saura mettre en valeur la moindre de vos petites rides, vient chapeauter l’ensemble de façon assez astucieuse.

L’endroit est calme, propice au recueillement, tout juste troublé par le ronronnement de la machine à café.
Celle-ci, pour la modique somme de quarante centimes, déversera dans une pimpante timbale cartonnée, un bon demi litre d’un liquide jaunâtre aux senteurs inconnues et curieusement légales.
Son goût diffus, fus, saura éveiller votre curiosité et susciter en vous de lancinantes questions :
la vie vaut-elle vraiment le coup d’être vécue ?
Et si oui, est-ce donc là le prix à payer ?
Et vous regarderez dubitatif les touches de sélection : non, vous n’avez pas choisi
« décoction de queues de cerise » mais bel et bien « café court et sucré ».

La décoration murale est dévolue à deux de nos créatifs : Tati et Patrick.
Leur totale maîtrise du plan vertical rendrait fou de jalousie n’importe quel architecte d’intérieur et ramènerait ces derniers à ce qu’ils sont en fait : de petits joueurs.

Leur procédé est fort simple.
Tati procède par agrafages successifs et concomitants, punaisant et piquant à tour de bras toute sa littérature secrétariale.
Le carroyage ainsi obtenu alterne quinconcément les avis de réunions, les reports de ces dernières, leur annulation, ou leur changement d’ordre du jour, les comptes rendus, des réunions, quand elles ont eu lieu, et les annexes, quand il y en a, des comptes rendus, des réunions, quand elles ont lieu.
Et elles ont lieu.
Mais aussi les exclusions d’élèves, les absences de prof, l’inverse étant plus rare, le planning du chef, et « JOYEUX NOËL ».
Quand c’est noël.
Sublimissime.

Patrick, plus audacieux, a fait le choix d’œuvres plus contemporaines, plus bigarrées et chatoyantes.
Ainsi vous verrez là se côtoyer de jeunes peintres inconnus tel que SNES ou SGEN-CFDT ou encore MGEN.
Des artistes de rue pour la plupart.
Dantesque.

Mais l’œuvre la plus regardée est située juste à coté de la porte. Elle est une projection en deux dimensions et sur cinq jours, des menus de la cantine.
Tout simplement remarquable.
Une œuvre éphémère dont vous vous délecterez en demandant pour la énième fois : pourquoi le jeudi c’est toujours frites ?

Au fond, un local excentré, car clairement sexué, le haut lieu de la reproduction :
la salle des photocopieuses.
C’est nanti de votre « carte photocopies », que l’intendant a généreusement crédité de mille unités, pour trois mois en ce qui me concerne, que vous allez humblement contribuer, mais c’est déjà bien, à la déforestation générale.
Mais soucieux d’optimiser l’espace papier, vous avez astucieusement condensé les trois dernières semaines de cours en trois lignes explicites et consécutives.
Donc avec un simple format A4, vous livrez un cours complet à une vingtaine d’élèves.
Et encore, vous avez bien pensé à utiliser la fonction recto-verso mais comme personne ne sait comment ça marche…

Le mobilier est un joyeux tintamarre de formes et de couleurs, où Ikea le dispute à Confo, tandis qu’Emmaüs tente une intrusion, heureusement limitée, formant ainsi un curieux modèle de mixité mobilière.
Quelques fauteuils épars, cinq pour soixante profs, quelques tables au centre, quatre pour soixante profs, bordées de chaises, dix pour soixante profs.
Et oui, un prof en pause est un prof debout.

Une des tables est squattée à l’heure du repas, et à l’année, par quelques collègues de français. Les piles de copies y côtoient les tupperwares béants où vous apercevrez ratatinée, une omelette de la veille, pour les protéines, soigneusement découpée et mélangée à des haricots du jardin, pour les fibres.
Miam-miam.
Une table bavarde et parfois pliée, de rire, lorsqu’au détour d’une copie, une perle d’élève est pêchée et commentée.

Les casiers masquent tout un pan de mur. Nous y sommes collés les uns aux autres dans une vaste partouze postale. Au dessus du mien, au dessous et à ses cotés des profs femelles car l’essentiel de l’effectif est constitué de femelles. Quel ravissement pour moi de voir ma boîte ainsi cernée.

Voilà, c’est depuis ce lieu secret, où nos cerveaux las viennent soulager leurs hémisphères, que nous nous préparons à rejoindre nos joyeux drilles.
Dans ce collège, où jour après jour, chacun d’entre nous, vient expier ses études brillantes.

19 réflexions sur "Ma salle des profs"

  1. Bizarre, j’ai l’impression de travailler dans le même bahut que toi… Les architectes seraient-t-ils si peu inventifs?
    Les mêmes réunions annulées, puis reportées, puis reannulées…
    Les sacrosaints tableaux des menus de la cantoche…
    Les peintres et leurs œuvres ephémères, MGEN, SNES, …
    Mais tu as oublié qq chose de très important et terriblement dans l’air du temps : dates des conseils de classe, on a eu le droit à trois tableaux définitfs ce trimestre, l’un venant annuler le précédent, avec maints changements.
    Bonne fin d’année.. les réjouissances arrivent!
    Bisouilles.

  2. Et c’est là dedans qu’on voulait faire passer 35 heures par semaine aux professeurs, dans des conditions idéales pour travailler^^

    Non lalila, vous n’êtes pas dans le même bahut que Charly, toutes les salles des profs de tous les bahuts se ressemblent…

    Et encore, chez charly il semblerait qu’il n’y a pas de conflit pour l’affichage syndical, la FSU guerroyant cm2 par cm2 avec le SNALC!

  3. C’est vrai que tous les bahuts se ressemblent, partout le même bin’s (pour ne pas dire bordel!)

  4. nous on en a deux (de salle des profs). en bas c’est le boulot, en haut c’est les gâteaux. no need asking where I first go ;-)
    ouais, nous on apporte souvent des biscuits et du café et on partage (besoin d’un expresso?)
    et même on a trois ordis pour 35 profs. c’est pas la classe çà? surtout en ce moment…
    bises charly. bon courage.

  5. 3 ordis pour 35 profs???? veinards…nous c’est deux pour plus de 45 profs!!!! et en ce moment ils turbinent (les ordis pas les profs, un prof ça ne bosse pas….)

    charly chez nous aussi c’est jaune pisseux…mais y a toujours du bon manger pour accompagner le café du midi…enfin surtout les lundi et jeudi, les autres jours je ne sais pas je ne suis pas là…

  6. Tiens donc, toi aussi tu as une photocopieuse dont la fonction recto-verso est l’un des grands Mystères ? A moins d’avoir une ramette de papier à perdre !

  7. Méchante description !

    Méchant choix de couleur pour les murs !

    Bravo Charly, on dirait du Émile Davis ! Quel talent pour décrire mille et un objet ! On dirait une mosaïque !

    P’tite vie ! Mais la belle vie puisque le prof toujours en pause, c’est vous pas vrai ?

    Et pour le recto-verso, demandez donc à Tati, elle sait ELLE et n’est pas toujours dans ses ragnagnans! Elle se fera un réel plaisir à vous montrer… … … … … … … … … …

  8. Esque pour la journée du patrimoine, vous savez le jour où l’ on peut entrer et sortir gratuitement à volonté dans les institutions publiques, vous faites, vous aussi, journée portes ouvertes? Enfin, s’ il y a des portes bien sûr.
    Pasque franchement, avec une architecture pareille à la Buren, tant de style à la Jean Paul Goude, tant d’ objets poétiques à la Prévert, je rêve en secret de venir visiter et admirer cet antre du repos du guerrier de l’ instruction moderne.
    C’ est spartiate mais tellement gai et studieux. Vous êtes la preuve vivante que l’ intelligence sait se passer de confort et pis encore de luxe tant inutile. Vous n’ allez donc pas donner envie à votre tout nouveau ministre d’ augmenter le budget mobilier du personnel enseignant.
    C’ est tant mieux pour le contribuable.
    Bien merci monsieur le Professeur, votre vie d’ ascète vous va si bien que je vous conseille d’ en profiter le plus longtemps possible.
    Avec mes respects du jour, bisous et à +.

  9. Kif — Kif !

    Une salle d’éducs, c’est pareil !…en pire !
    Seul avantage : le café…on se le fait !

  10. Et l' »aquarium »

    Waaah, en fait, oui, c’est LA salle des profs, pas les salles des profs : toutes les mêmes …
    Et du coup dans la tienne, elle est où la porte de l' »aquarium » des fumeurs ??? ;)
    bizzz

  11. Une description

    d’une rare intelligence, sobre et sans concession.
    Un état des lieux édifiant : pas de jacuzzi. (le correcteur orthographique propose « éjaculiez »…c’est parce que je suis sur le blog de Charky ? Rhôoooooo….).
    Courage et abnégation, voilà ce qu’il vous faut. Je vous en envoie deux caisses.
    Kiki

  12. C’est où?

    T’as oublié les rendez-vous sur le parking affichés à côté des avis d’exclusion, pour que le collègue qui a acheté de la piquette à pas cher puisse transvaser les cartons dans le coffre des pochards avides de bonnes affaires.

    De toute façon la salle des profs je ne l’ai jamais trouvée, je suis toujours restée du côté obcur, avec les fumeurs, dehors par tous les temps. C’est le seul endroit où on se marre.

    Dedans: « Ouiii, c’est incroyaaaable, on veut nous faire faire des HSE payées au tarif normal, mais on ne va pas accepter çaaa! Nous avons une réunion du SNES sur l’heure de parcours différencié, salle B12 » (ou autre nom de projet à la con qui tient deux années scolaires)

    Dehors: « T’as vu « Forbidden planet », quand il est repassé sur téeffedouze », suivi d’une discussion acharnée sur la SF années 50, ou « On se le fait, ce pot, alors? » suivi d’une discussion acharnée sur la date et le lieu.

    Promis, j’arrête pas de fumer.

  13. recto verso

    le recto verso ca compte pour 2 photocopies.
    par contre le « J’ai perdu ma carte de photocopie  » peut fonctionner.

  14. à lire pour tout le mois d’août

    je découvre, il est tard mais j’ai de quoi venir et revenir prendre un bain de jouvance,chez toi, et rameuter mes souvenirs, encore tout frais de l’exercice de haut vol qu’est l’enseignement.
    A très vite, demain sans doute pour une lecture approfondie, Fanfan du fatras

  15. chez nous :tout pareil sauf qu’on n’a pas de fauteuils ; et bquand un collègue a voulu nous filer son ancien canapé: refus de la direction( une coincée du C**) avec comme argument : on n’a pas de salle pour recevoir les parents; vous imaginez pas ce à quoi y vont penser s’ils voient un canapé chez vous !
    pourtant voilà un boulot où y a pas depromotion canapé !

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