Y'a pas l'feu

Dans chaque établissement scolaire, en tout cas les collèges, et pour la sécurité de tous, on procède à des alertes incendie.
Il s’agit de simulations d’évacuation impromptues décidées par le chef d’établissement. Lorsque l’alarme retentit, nous devons faire sortir les élèves, dans le calme, ceux ci laissant leurs affaires sur place, et les mener jusqu’à une zone de sécurité située à distance des bâtiments. L’enseignant doit impérativement prendre avec lui le cahier d’appel afin de s’assurer, lorsque les élèves sont en sécurité, de la présence de tous.
Il arrive lors de certaines alertes, que certains malfaisants profitent de l’aubaine pour voler tout ce qu’ils peuvent dans les classes.
Comme des malpolis.

Lors de la dernière alerte, les élèves me font remarquer qu’on entend l’alarme et qu’il serait bien que je m’en préoccupe.
Je vais dans le couloir, j’entends en effet l’alarme, mais pour être sûr, j’appelle tati depuis mon téléphone de salle.
— Non, on dansait un rock et on est tombé sur l’alarme par hasard, ducon.
Merci tati.

Donc y’a alerte.
Je fais sortir les gamins (des 6e) par la porte du fond, on rejoint la cour et y’a déjà pas mal de classes qui sont en zone sécurité.
Je dirige mon troupeau vers le salut en essayant quand même de les faire ranger par deux, vu qu’il y a des collègues et qu’un semblant d’autorité ne nuirait pas à ma réputation.
Mais penses tu.

On est encore loin de la zone car ma salle est au fond de la cour.
Deux élèves m’interpellent :
— M’sieur, nous on a laissé nos mp3, et si y’a des vols ?
— Ouais… heu… bon allez les chercher vite fait.
Les voilà partis en galopant.
Du coup deux autres font la remarque mais cette fois ci concernant une raquette de ping pong et une somme d’argent destinée à un bouquin d’anglais.
— Bon allez y mais grouillez vous.
Et ainsi de suite.

Je suis donc arrivé en zone sécurité avec deux élèves sur vingt quatre.
Ça fait désordre
Christophe n’a pas manqué de le remarquer :
— T’as gardé qu’les meilleurs ?
— J’t’emmerde.
Tout le collège est là, chaque prof devant ses élèves, procédant à l’appel, et moi devant mes deux gugusses, je fais pareil.
Le principal s’amène avec la principale-adjointe pour observer les résultats de la manip.
Du coup je plonge bien profond dans le cahier d’appel, espérant passer inaperçu tandis que Christophe fait remarquer que j’ai beaucoup d’absents.
Espèce d’enfoiré.
— Monsieur le prof, ou sont vos élèves ?
— Ben… avec les vols… certains sont retournés…
— Donc vous avez laissé une vingtaine d’élèves dans les flammes !
Comme il y va l’principal. Comment qu’y s’prend au jeu lui !
— Ben non… en fait…
Mes vingt gamins arrivent dans un boucan d’enfer, traversent la cour en vionzant, parce qu’un élève de 6e se déplace toujours en courant, c’est à ça qu’on le reconnaît, et se placent dans un bordel immonde devant moi.
Je leur suggère de se mettre en rang, que ça aurait plus de gueule, mais j’t’en foutrais ouais.
Je fais mine de les engueuler mais ils me rappellent fort à propos qu’ils avaient mon accord.
Je les en remercie vivement et leur propose d’en débattre ultérieurement.
Et à ce moment précis, une élève, Fanny, s’approche de moi et me tend ma veste.
— Voilà m’sieur, j’ai bien pensé à prendre votre veste, comme vous l’avez demandé.
Oh quelle est gentille ! La brave petite ! C’est ti pas sympa ça ? Une crème d’élève cette gosse.
— Parce qu’en plus, vous envoyez au feu une élève pour récupérer vos affaires, mais c’est insensé !

Je vois Christophe ricaner ainsi que l’ensemble des collègues et les mamies bien sûr qui n’en demandaient pas tant.
Je pars dans de vagues explications minables qui me voient m’enfoncer d’environ dix mètres.
Et j’entends la principale-adjointe faire remarquer à Christophe que ses élèves ont tous leur cartable sur le dos et que c’est pas normal vu qu’ils sont censés tout laisser sur place.
Le principal les rejoint.
Je sens mes abdominaux secoués par des spasmes réguliers et mes épaules itou, et je retiens difficilement mon fou rire.
Il se fait remonter les bretelles :
— Parce qu’en cas d’incendie, vous leur faites ranger bien comme il faut leurs petites affaires ? C’est ça ? Parce que d’après vous on a largement le temps, c’est ça ?
Je m’approche pour voir Christophe s’enfoncer de quinze mètres et j’ajoute :
— Et en plus, je l’ai vu, il a passé un coup de balai avant de sortir.
Et là, avec Christophe, on part en sucette et on se paie un fou rire, mon vieux, que même le principal a souri.

Bon, le principal donne son ok pour qu’on regagne nos salles et Christophe passe à coté de moi :
— Pauvre inconscient, irresponsable va.
— Psychopathe.

Je ramène mes gamins, Fanny s’approche et me tire la manche :
— M’sieur, pardon pour la veste.
— C’est pas grave Fanny.
— Et la bière ? J’en fais quoi ?

34 réflexions sur "Y'a pas l'feu"

  1. Qu’est ce qui lui prend à Tati ? Elle a ses ragnagnas ? Et pis pourquoi d’abord elle vous parle comme çà ?

  2. La bière chaude c’est dégueu… Ah mais non c’était une fausse alerte donc ça va ! TU AS DE LA BIERE TOÂ dans ta salle ?
    Lol

  3. Bravo charly j’ai encore beaucoup ri :)

    Quel confort ! tu as un téléphone dans ta salle !
    Pas mal ta méthode de sélection naturelle pour se débarrasser d’élèves ;)

    Choupi
    PS : tu es toujours le bienvenu sur mon blog ;)

  4. Ce qui est bien

    c’est qu’en cas de danger réel, votre veste et votre bière seront sauves (ouf). Si la Terre est détruite, genre scénario de la planète des singes, j’imagine bien la scène : paysage de dévastation, statue de la Liberté façon miettes de biscottes, et Charly, seul rescapé.
    Seul ? Non. Une élève de sixième, un peu carbonisée, agonise à ses pieds, les bras tendus.
    Musique.
    charly -Merci pour ma bière et ma veste.
    l’élève -Aaahhh (elle meurt)
    charly -Merci quand même.
    Générique de fin.
    C’est du grand spectak, non ?(y’a plus qu’à attendre le coup de téléphone de Spielberg.)

  5. Je remercie ma très chère Raymonde (à l’aut’ bout du monde) de m’avoir permis de découvrir ce blog. C’est le premier billet que je lis et… je me fais pipi dessus. Rien d’inhabituel, c’est normal chez moi. Rhalala, que de souvenirs ! Il fut un temps (y’a bien 7 ans) où je fus pion en collège et lycée. Ca marque, hein !…

  6. Pôvre de petit moi ! Je dois attendre à ce soir pour lire tout ça. La journée de travail débute ici :-(

  7. C’était la blagounette du jour.
    Qui m’a ramenée à mes propres alarmes incendies.
    Sortir dans le calme > Les Hunts débarquent dans la plaine
    Se rassembler au delà des lignes jaunes> Aller se planquer dans les gogues pour en fumer une.
    Attendre la fin de la sonnerie pour regagner les salles> Tant que le protal n’a pas trouvé le code, on peut largement en allumer une autre.
    Bizettes

  8. lamoucheducoche, en fait tati a lu l’hommage que je lui ai rendu sur ce blog. Elle a assez mal réagi, allez savoir pourquoi.
    Bounty, n’ayant pas de chaises pour les élèves, je les fais asseoir sur des caisses de bières (vides bien sûr, on est dans un collège quand même).
    Choupi, j’ai un téléphone, ligne interne, et j’informe la vie scolaire des absences par ce canal.
    Je suis un darwinien convaincu et donc la sélection naturelle voire un peu forcée, j’suis pas contre ;-)
    Posuto, vous me sidérez ! Quelle imagination !
    Votre scène finale est réaliste et tellement bouleversante. Je vois très bien mon regard bleu fixer l’horizon filmé d’un hélico qui s’éloigne avec au sol la « un peu carbonisée » ;-)))
    Tit’, Raymonde est de bon conseil, et bienvenue !
    Raymonde, courage on t’attend !
    Mais pas trop longtemps quand même.
    Mélina, c’est quand même curieux que tu fumes pendant les alertes incendie. C’est très subversif ça ;-)

  9. C’est quand même curieux que j’aie fumé pendant les alertes incendies.
    Aujourd’hui, le collège fait partie du siècle subjonctif passé.
    Bizettes

  10. Bien rit ce soir encore, ce fut ma bulle d’oxygène après une journée d’enfer j’ai pas des 6ème qui courent partout mais des 2 ans qui crient tout le temps ou des 6 mois qui me vomissent dessus….. et si je faisais une alerte incendie demain histoire de cadrer un peu ce monde là ?
    merci charly et bonne soirée

  11. Si

    Ah! si j’avais eu un prof comme vous, au moins les alertes incendies ( mon angoisse intergalactique à l’époque du collège…) je les aurais mieux vécues…lol…
    Mais par contre j’aurais jamais eu le courage de retourner chercher les bières…lol!!!!!!!!!!!!!!

  12. Bonsoir Cathy, t’es nounou ? Oh c’est trognon à cet âge, ce serait dommage, laisse les moi. Bisoussss
    supermaman, en cas de sinistre il faut sauver l’essentiel, Fanny l’a bien compris ;-) Bisoussss

  13. j’aime toujours autant tes conclusions!!!
    as-tu remarqué que les alertes ont toujours lieu quand il y a contrôle ou trente secondes avant une récré???
    nous la dernière a eu lieu sans le chef, sous une pluie battante avec un adjoint désemparé au possible ggrrrrr y a plus de direction!!!

  14. LOL!

    c’est trop bien les alarmes incendies…mais en vrai je suis morte à chaque fois, avec mes classes de cinglés. Sont même pas foutus de foutre vraiment le feu, ya que la CPE une fois qui a jeté sa clope dans la poubelle, mais la principale a survécu, snif! en tout cas, çà fait du bien de discuter avec les autres psychopates, hein, charly?

  15. L’énigme du vol me semble très facile à résoudre ! 22 p’tits morpions qui circulent allègrement tout seuls dans l’école !Ya pas un début d’équation là !
    Charly, trouves toi un bon avocat.

  16. Et

    une alerte à la bombe, c’est comment ?
    Encore que ça doit être rare les bombes de par chez vous ! ! ! ! ! !

  17. Je suis pompier de mon état. Serait pas vous le pyromane ? Si le feu on ne l’éteint pas, reste que des cendres et beaucoup de dégâts.

  18. non merci Charly, je garde mes petits. Même si certains soirs je suis épuisée, j’adore mon job et j’échangerai pas contre des 6ème.
    Bonne journée à tous

  19. J’suis pompier de mon état.
    Ce s’rait pas vous le pyromane des fois ?
    Ben le feu quand on l’éteint pas, y’a pu’ qu’des cendres et des dégâts.

  20. Je ne boude plus …

    Ah, Charly, tu me fais plaisir aujourd’hui !!! J’avoue avoir été déçue l’autre jour par tes grandes annonces prometteuses (m’enfin ça m’étonne pas, les mecs tous pareils, ils nous promettent monts et merveille, pis après … ;) :P ) alors je boudais un peu, et là, tu es parfait, la chute vient à point !!! Merci pour ces grands moments !!!

    PS : moi j’em…. mes chefs d’établissement pour les alertes incendie, je dis aux gamins de prendre leurs manteaux, moi je prends mon manteau et mon sac à mains (que je ne laisse donc pas dans la salle des profs), je m’en fous on doit sortir les derniers, on a bien le temps de les prendre !!!
    Car dans mon premier poste, on a eu une vraie alerte à la bombe, à 9h30 le matin, en plein mois de février, on n’a pu ré-intégrer l’établissement que vers 15h, donc y’a des collègues qui n’ont pas pu rentrer chez eux le midi (clés de voiture restées en salle des profs …), d’autres désespérés de ne pas avoir de quoi se payer un café (restons politiquement correct) et la semaine suivante tous les gamins étaient malades (ben vi, trainer en ville en tee-shirt quand il gèle n’est pas sans risque …) et nous ont refilé leurs miasmes, bien entendu ;)

    Donc une alerte à la bombe, en gros, c’est comme une fausse alerte incendie, puisque y’a pas de flammes ni de fumée pour affoler la populace, sauf qu’au lieu de te ranger « calmement » dans la cour avec les élèves, tu te retrouves comme un con 200m à l’extérieur du bahut …
    Mais j’étais en lycée, et du coup quand les élèves se sont rendu compte que c’était une vraie alerte, ils étaient tout calmes et disciplinés …

  21. J’ai rendez-vous avec vous

    Eh Raymonde , rendez-vous chez votre bloggeur préféré et un peu oublié. A plus…

  22. « comme y’s’prend au jeu, lui »

    Quelle rigolote réplique (et tout le reste aussi). Mais les répliques in petto, je trouve ça trop rigolo.

  23. j’peux pas répondre ce soir, j’ai d’autres crèmes à fouetter. Bisous.

  24. Pffff ! Charly semble s’imaginer qu’on peut pas se passer de ses réponses…T’as une guitare à gratter ou de la crème à fouetter ? Tu commences à être ambivalent.

  25. Allo ???

    Elle s’appelle comment, la crème fouettée (sadique !!!) qui t’occupe ??? Parce que là, ça devient inquiétant, ce silence …
    En plus, c’est devenu « Retour vers le Futur » ton blog ? « faites des profs » est au 15 février alors qu’il y a quelques jours il était en mars ? Ou alors c’est le double effet kiss-cool du 43° étage qui affecte mon neurone de prof de maths ???
    Bizzzz et reviens vite en pleine forme ;)

  26. Y’a quelqu’un ?

    Coucou,
    J’voudrais pas faire du harcèlement, mais…Plus de nouvelles! On s’inquiète…
    A plus, bonne soirée!

  27. Que je vais encore faire ma fan mais bon là quand même on peut pas faire autrement, jamais autant ri à la lecture d’un post. Votre fou rire à christophe et à toi est communicatif. Merci.

  28. C’est clair que mon premier réflexe quand il y a un incendie, c’est de sortir en rang et d’aller me planter au milieu d’un espace _certes à découvert_ cerné par les flammes. Un prof nous a dit un jour que, s’il y avait réellement incendie _que nous aurions très probablement allumé nous-même_ il se trisserait fissa en abandonnant ses élèves peu reconnaissants et encore moins réceptifs quant à sa pédagogie _allez comprendre! Toujours est-il que, si d’aventure un établissement scolaire prend feu, ce sera un élève ou un prof qui l’aura allumé, histoire de faire bouger le monde POUR UNE RAISON VALABLE.

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