Claire

Il est des rencontres sympas dans la vie.
Et certains élèves font partie de ces rencontres.

Claire était une élève de 6e, 11 ans, une jolie petite fille, très discrète, peu loquace, mais brillante et travailleuse.
Des grands yeux, et un sourire angélique qu »elle affichait volontiers mais toujours en silence.

Lors du premier cours de l’année, je remarquai qu’elle ne me quittait pas des yeux.
Et comme à mon habitude, je glissai dans mes explications quelques zestes d’humour, d’ironie, qui ne manquent pas de surprendre les élèves mais qui les rassurent, inquiets qu’ils sont de mon aspect sérieux et austère.
A chaque trait d’humour, je remarquai que Claire me fixait et commentait en silence la qualité de mes vannes.
Tout simplement en faisant un signe négatif de la tête quand elle estimait que ce n’était pas vraiment drôle, ou faisant la moue, m’indiquant clairement que je faisais dans le mauvais goût. Et approuvant franchement en secouant la tête quand j’excellais.
Chacun de ces commentaires était suivi par un sourire comme pour bien me faire comprendre qu’elle aussi pratiquait l’ironie.
Comme si Claire avait tout de suite compris que je n’étais pas très sérieux en fait.
D’ailleurs, quand il m’arrivait de m’emporter, après avoir répété 99999999999 fois la même chose, et que tous se remettaient au boulot, pour bien me faire comprendre que là, ça y était, c’était pigé, et bien elle non.
Elle me regardait en souriant, comme si elle me disait, c’est pas vous ça, faites pas semblant d’être sévère, moi je sais qui vous êtes.
Je dois dire que certaines fois elle m’a déstabilisé et je lui ai fait la remarque :
— Y’a un problème Claire ?
— Non m’sieur, tout va très bien.
On était de la même planète je crois.
C’était mon ange gardien.

Ce fut comme ça toute l’année et à chaque blagounette je la regardais et je pouvais ainsi parfaitement évaluer la qualité de ma prestation.
Nous étions seuls au courant de ces échanges.
Nous n’avons jamais parlé de ça avec Claire, c’était un truc entre nous, c’est tout.
J’attendais toujours son commentaire mais quand elle souriait franchement, je souriais aussi, content que ça lui convienne.

Elle n’a pas assisté au dernier cours de l’année.
Pendant la récréation j’avais laissé la porte ouverte, pour faire courant d’air, et je m’apprêtais à aller fumer.
J’ai entendu courir dans le couloir.
C’était Claire.
Elle était essoufflée, s’est placée dans l’encadrement de la porte, les bras appuyés sur les montants, respirant fort, sa jupette, ses tongs.
Et puis son pied droit est venu frotter furieusement son mollet gauche, comme un signe de la touchante féminité de son âge.
— J’ai pas pu venir, j’ai chorale, voilà, je voulais vous dire au revoir.
Je lui ai souhaité de passer de bonnes vacances, l’ai félicité pour son année réussie.
Elle n’a rien dit, encore essoufflée, mais elle ne partait pas, semblant attendre quelque chose.
Ne sachant plus quoi lui dire, j’ai souri gentiment, lui ai dit au revoir, et j’ai rejoint la porte du fond pour aller fumer.
— J’aimerai vous faire un bisou.
Je me suis retourné, elle était sérieuse d’un coup, triste même.
— Bien sûr Claire, avec plaisir.
Le temps de la rejoindre jusqu’à l’encadrement de la porte, je compris son coup de cœur pour son prof de techno.
J’en fus un peu ému, mais ne le montrai pas.
Je me suis baissé et elle s’est jetée à mon cou, j’en étais très gêné, et elle m’a fait un bisou force 9.
Elle a relâché aussi vite son étreinte, j’ai de nouveau souri gentiment.
— Je penserai à vous.
— Au revoir Claire.
Et elle est partie.
En courant.

Je suis allé fumer ma cigarette, en pensant à mon ange gardien, me disant que j’avais de la chance d’avoir fait une si belle rencontre.

20 réflexions sur "Claire"

  1. OOOoh

    C’est touchant « force 10 » !!
    (j’aime tout particulièrement le détail du pied détongué qui gratte le mollet opposé).

  2. So cute…

    c’est très beau…c’est dans des moments comme çà qu’on est content de faire ce métier, quand on croise ce regard qui guette, qui encourage, qui acquiesce, qui compatit parfois. depuis l’an dernier j’ai un petit garçon (djamel) comme çà qui me prend en filature, et chaque fois que je l’attrappe, il rit aux éclats et on dit ensemble « oh my god! they’ve killed Kenny! bastards! » et on se marre…pourquoi l’un et pas l’autre? alchimique…

  3. Fichtre !

    Charly, mais vous êtes un être humain ? (et pas un Zuirg de la planète Grumble ????)
    Sans rire, elle est très touchante cette histoire de la petite ange gardienne en tongs. Je pourrais presque l’imaginer, Claire. C’est vrai que c’est chouette les belles rencontres.

  4. C’est y pas mignon ?
    Posuto, je suis certain qu’elle aurait eu un coup de cœur pour toi aussi.
    Mon tidoigts, oui, l’alchimie. Mais il te prend en filature ? Tin la jalousie que j’ai là !
    Mélina, c’est juste, sans toucher on peut toucher.
    Alice, tu fais plus ça toi avec le pied détongué ?
    Et force 10, tu fais plus? Ben si, sûr.
    Bisous à tous.

  5. Quel émotion !!!!!!!!

    Franchement ce texte est le plus beau le plus pur le plus émouvant que j’ai lu de vous de toi à moi, je suis fier de cela, de ce tourment indicible de l’émotion palpable.
    bisous pour cela du haut de nos allures et pardon pour les virgules qui encombrent mon propos.

  6. T’as versé une tite larme en fumant ta cigarette ? Moi j’ai eu les yeux mouillés en lisant ton texte. J’ai déjà eu 9 ans et étai « follement amoureuse » de mon prof. Oui, oui, mais je ne dis pas que c’était pareil pour Claire…mais c’est pas impossible non plus. Après tout, un force 9, c’est pas loin d’un 10:-)

  7. Bien sûr que je fais toujours ça hein vous me prenez pour qui ? une sardine peut-être ?

  8. Salut tonton Charly,
    Dis, ton histoire, c’est encore un truc pour faire tomber les filles, tu vas pas nous la faire.
    Bon sinon j’avoue que j’aime beaucoup toutes les betises que tu racontes si bien, si bien que tu restes ici ma seul litterature francaise…
    Ou trouves tu le temps de poster autant, un truc de prof insomniaque ?
    Bises.
    kiwo tsukete

  9. Comme c’est mignon :)
    La complicité, c’est agréable… on se sent moins seul d’un coup au tableau.
    je comprends mieux ton post sur mon amoureux secret… les filles sont plus discrètes :)
    Quelle chance !
    et quel succès Charly ! :o)

  10. Super!

    Hello Charly! Cela fait quelques temps que je viens lire tes chroniques, dont j’apprécie le mordant et le ton non consensuel.
    Ce petit article m’a ravi! Bravo pour avoir su traduire toute cette émotion d’une manière aussi ramassée et pudique aussi, sans rien abîmer, ni le portrait, touchant, de ton élève, ni ta propre réaction, très sensible.
    Ce qui me touche le plus dans cet article, ce sont les souvenirs qu’il éveille en moi. C’est toujours agréable ces manifestations de sympathie de la part des élèves, mais parfois on ne sait pas bien comment les prendre. Au début que je bossais, j’étais facilement submergée par l’émotion quand un tel fait se produisait. Maintenat je parviens mieux à être naturelle et spontanée quand les élèves me témoignent leur affection. Ce sont des moments délicieux, hors du temps et de toutes ces bêtises de notre boulot ou de la vie quotidienne, qui personnellement me donnent beaucoup d’espoir et d’enthousiasme.
    Les enfants de nos classes arrivent à nous faire donner le meilleur de nous-mêmes, tu ne crois pas? Et bien souvent ils nous font revenir à ces émotions simples, à ces manifestations sincères d’affection que l’on a un peu oublié, je trouve, en devenant adulte.
    C’est ce que je vois dans le regard de mes élèves, grands ou petits, et c’est ce qui fait que j’aime ce métier, qu’elles qu’en soient les conditions d’exercice…
    Bonne continuation avec tes classes, Charly et bonne suite de ton blog!
    Ink

  11. brad, que de gentillesses, merci.
    Raymonde, 9 c’est déjà pas mal ! bises
    Alice, vous prendre pour une sardine alors que vous êtes une si jolie ablette.
    Coucou p-chan, oui j’en suis là pour draguer, c’est pour ça que je te conseille de bien profiter ! Bisous fillou.
    profenzep, ton petit copain était très réussi dans le genre, surtout quand il était collé à la fenêtre pour te regarder corriger. Ravi de te lire chaque fois. Bisous.
    Ink, oui, parfois, ils arrivent à nous faire donner le meilleur de nous-mêmes. Et c’est comme cela, qu’à notre tour, nous pourrons leur faire donner le meilleur d’eux-mêmes. Bon sans être pontifiant non plus, j’me la pète pas quand même. Bisous à toi.

  12. Eh bien !

    Non seulement ça peut-être graveleux, drôle et sympathique. Mais en plus c’est touchant ! Cette fois je m’abonne, enfin je met le blog en favoris !

  13. Ca me donne les larmes aux nœils … :(
    Moi aussi je suis amoureuse de mon prof ^^
    Il me trouble trop et me destabilise à chaque fois qu’il me regarde. Il est tellement beau !! Et c’est pas qu’une petite histoire, à chaque récré j’essaie de prendre des photos de lui, j’arrive toujours à me débrouiller pour être près de lui, j’essaie d’avoir le plus de renseignements (je sais qu’il a un enfant, une compagne, j’ai son numéro de fix, son adresse, je connais sa plaque d’immatriculation par cœur bref le grand amour ^^) et je parle pas des vacances !! Un vrai suplice de ne plus le voir pendant deux semaines … En cours je le dévore des yeux jusqu’à en oublier complêtement le reste !! Enfin bref, dur dur cette histoire, mais les profs ça doit bien les faire marrer toutes ces petites histoires :)
    Je tenais quand même à dire que j’ai énormement de respect pour vous, sans rire je sais pas comment vous faites pour pas claquer un de ces merdeux qui se prennent pour des caïds !!
    Bref, bon courage pour la suite … ^^

  14. je crois que c’est un de mes préféré…touchant, aussi bien pour un prof que pour un élève…
    et je peux pas m’empêcher de m’identifier à Claire, parce que je suis comme elle avec mon prof de chimie -sois pas jaloux Charly ;-)-

    j’attends la rentrée avec impatience…pour revoir mes amis et mes profs…surtout mon prof de techno préféré ! bisous -ceci n’est pas de la fayotterie !-

  15. Touchant…

    Il y a des rencontres comme celle-ci dont on se souvient longtemps…

    Et je me souviens…
    Une petite fille, en 6em aussi, rencontre un prof de cathé.( ben voui!)
    Établissement privé, internat de rigueur.
    Ils se sont pris la tête pendant toutes les années collège. La ‘petite’, en pleine révolte, n’était jamais d’accord avec ses pensées… Révolutione!
    Mais… ils s’aimaient bien, les bougres !
    Puis, fin d’année de 3em… Fin de scolarité…
    Adieu toi.. Ou au revoir plutôt!

    Aujourd’hui, la petite fille a grandi et fait sa vie.
    Et… Elle a toujours cet ami auprès d’elle…
    Cela fait 36 ans que ça dure…
    Pas mal, non ?

    En tout bien, tout honneur, les belles rencontres méritent d’être poursuivies quelques fois.

  16. My name is … Claire :)

    Les Claire sont des filles hors du commun (auto-flattage) !

    Ton texte est touchant … beaucoup plus mignon qu’a été ma « relation » avec un BEP jeté sur mon bureau à tous les cours, me suppliant d’accepter un rendez-vous au Quick avec lui :)

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