Du rififi chez les 6e4

Ce matin-là, après l’appel, le silence se fit.
Lui, d’ordinaire peu enclin à répondre à mes injonctions, s’installa de sa propre initiative.
Ce silence m’interpella et, depuis le fond de mon fauteuil, bien calé, je fis un lent panoramique afin de scruter les visages de mes 6e4, tentant d’intercepter un signe, un indice m’indiquant la piste d’une possible explication au calme ambiant.
Ce signe m’apparut soudain, telle une révélation, un aveu, en provenance du fond de la classe, contrée lointaine où subsistait une tribu indigène qui vouait des rites ancestraux et bruyants au radiateur en fonte. L’aventurier-pédagogue que je suis, visitait à l’occasion de timides incursions cet espace préservé des rythmes infernaux de nos sociétés modernes, qui opérait telle une poche de résistance tout en développant un certain art de vivre. Et c’est là que le signe m’apparut sous la forme d’un super méga coquart sur l’œil gauche de Brizouille.

Impressionné par l’impact, je mesurai que l’instant était grave : il y avait eu atteinte à l’intégrité physique de mon Brizouille et je ne pouvais faire moins qu’enquêter. Aussi je me précipitai afin de recueillir son précieux témoignage :
— Ben, qu’est-ce qui t’est arrivé Brizouille ?!?!
— Rien.

Le 6e4 est retors, fier, et peu enclin à reconnaître sa défaite, même lorsque celle-ci s’étale du sourcil jusqu’à la pommette, qu’elle maintient l’œil en position closed, et qu’elle arbore les couleurs de la patrie, mais mélangées.
Je remarquai du coin de l’œil Trapugne particulièrement affairé à ne rien faire, attention suscitée par quelques maladresses dans ses gestes inutiles. Je l’interpellai en montrant la cocarde :
— Trapugne, connaîtrais-tu le nom de la météorite qui a produit ceci ???
— Ben non…

L’omerta régnait donc sur ce peuple du fond de classe et je décidai de faire appel à la sagesse de Bourzig qui en tant que redoublant faisait office d’ancien, que dis-je, de vétéran.
Et celui-ci relata le forfait :
— Ben, Brizouille il a caché le cartable de Fanny, et il a pas voulu dire où et Trapugne, y lui a mis un pain.

Ainsi donc, Trapugne avait tamponné du sceau tricolore le visage de mon jeune républicain.
— Trapugne, c’est comme ça que tu règles les problèmes ??
— …
— Fanny tu as retrouvé ton cartable ??
— Oui, il était derrière les casiers.
— Alors Trapugne ???
— Ben, il avait caché le cartable à Fanny…

Quelle horreur.
Cacher un cartable. C’était plus que n’en pouvait subir Trapugne, et sa réaction démesurée trouvait là une explication plus que convaincante. Il était question ici de légitime défense. Mais une telle ardeur à défendre l’honneur de Fanny me rendit dubitatif.
— C’était vraiment une raison pour une tentative de remodelage facial ???

Mais c’est Bourzig qui dans sa grande sagesse, illuminant d’un coup de sa modeste veilleuse cet imbroglio, fit cette déclaration :
— M’sieur, j’crois qu’y sont jaloux…

Mais que je suis bête !!!!!
Je compris alors toute la symbolique du cachage de cartable, signe tangible de draguage intense, car créateur du lien social et amoureux, ce qui n’avait échappé à Trapugne, en quête lui aussi du cœur de la belle Fanny. Mais cette dernière se dérobait à leur quête préférant convoler avec Bourzig qui avait su enlever le cœur de l’être aimée grâce à la précieuse offrande d’un majestueux taille-crayon, rendant la tâche de ses concurrents bien difficile.

Bien que parfaitement solidaire de Trapugne, car à sa place j’aurais certainement ajouté au coquart un bon croc-en-jambe, je sais, je suis un prédateur, je fis mon devoir en punissant le coupable.
Je décidai de passer une soufflante à Trapugne et je le conservai en fin de séance pour le passage en soufflerie, mais je renonçai, car son expérience en matière de soufflage de bronches était telle, qu’il avait fini par développer une forme d’aérodynamisme mental qui donnait peu de prises aux vents de mes courroux.

Et c’est en buvant mon café, narrant à Christophe cet épisode épique, que nous décidâmes d’enseigner à nos garnement quelques rudiments en matière de draguage et sur la façon de tenir à distance la concurrence sans fourbir une quelconque fourniture de bureau, ni modifier, même à la marge, la physionomie du rival.

Mais à cet instant, la petite prof d’arts plastiques passa devant nous, et nous tombâmes d’accord pour envisager quelques exceptions.

21 réflexions sur "Du rififi chez les 6e4"

  1. attends attends

    c’est à dire?

    Une petite prof d’arts plastiques (on dirait moi)vous a fait changer d’avis comme ça? rooo raconte Charly!

  2. Ohhhhhhhh!

    Pauvre Brizouille!!!!!!!!!!!!
    Mais attention, tout n’est pas perdu!! Dans cet état là, il pourrait bien attirer dans ses filets une future infirmière!!!!!

    Merci Charly de nous faire autant rire!!!!!!!

  3. C’est un feuilleton…

    Et je veux la suite ! Qui emportera finalement le cœur de Fanny la Belle ?
    Le suspense est à son comble !

    Mais l’affaire ne serait-elle pas plus complexe que ça ? Trapugne a pu cacher le cartable de Fanny pour faire croire à cette gente damoiselle que c’était Brizouille qui l’avait fait… qu’il lui piquait ses affaires en guise de remerciement de ses faveurs… et qu’il est donc indigne de son chaste amour.

    Vivement la suite !

  4. Je découvre ce blog aujourd’hui même et je suis conquis! Bien écrit, plein d’humour, bref! Un bon moment à chaque billet.

    Ca soulève pour un trentenaire comme moi des souvenirs au final pas si vieux mais un brin nosctalgiques et en même temps il y a un je-ne-sais-quoi trés « Guerre des boutons » qui me plaît beaucoup.

    Vous êtes d’ores et déjà dans mon lecteur de fils RSS et j’attends (déjà) le prochain billet avec impatience!

  5. ça ne m’étonne pas!

    C’est toujours nous qui faisons craquer les collègues (surtout ceux de physique hum), la création ahlalala
    :)

  6. La prof d’arts plastiques…

    … est bienvenue, après les déboires de Trapugne, apprenti chirurgien plastique (à méthode radicale) !

  7. J’ai beau lire et relire la fin je ne saisi pas ??! Sous entendu bassement sexiste pour initiés ou ce sont les courbes ondulantes de cette brav’ collègue qui vous on fait perdre le fil de vos pensées ?
    Pov’ Trapugne ,pas prêt de conclure si vous devez lui servir de guide dans les méandres des minauderies de ses petites camarades…

  8. C’est pourtant simple !

    Charly et Christophe, au demeurant fort bien éduqués, seraient exceptionnellement prêts à faire une entorse à leur bonne conduite, en en venant aux mains…pour la craquante prof d’arts plastiques !

    …vous saurez la suite dans notre prochain épisode des « feux du cartable « 

  9. de l’autre côté du bureau…

    c’est vraiment un bonheur de découvrir l’envers du décor. Surtout quand, comme moi, on est encore étudiant et qu’on crache encore sur les maudits profs jamais compréhensifs et leurs maudits cours toujours trop longs.
    enfin on a la preuve qu’y sont bel et bien humains, ces bonshommes.

  10. Ah! la plastique de la prof d’ arts plastiques! C’ est à voir si elle est digne représentante de son art!

    Bon, sinon, qu’ un chef de meute dans le règne animal agresse son rival, y a rien que de plus naturel surtout chez les animaux monogames. Boudiou, l’ histoire fourmille d’ anecdotes de ce genre à l’ époque où cela se traitait à l’ épée et que l’ honneur se défendait à mort d’ homme. Hein, et qu’ un sur deux seulement en ressortait vivant.
    Mais que fait la police?, hein Charly, car tu vas te retrouver en prison après la plainte que les parents vont fourbir contre toi seul responsable contre tous. A ta place, je préparerais mes oranges de Noël, ça sent les mauvais jours.
    Par sélection naturelle donc, par élimination d’ homme autrement dit, c’ est Cricri qui a toutes les chances de gagner le cœur de la belle.

    Allé, va Charly, quand tu sortiras de prison dans 15 ans, ce ne sera qu’ un lointain souvenir.

    Bisous, tu nous manqueras tu sais.

  11. Pire que Dallas, cliffanger en prime!
    As-tu demandé si le taille crayon était dans le cartable caché?
    Tes 6e4 ont l’air tellement chouette que j’ai bien envie d’en louer qq uns pour animer un peu ma collectivité sinistre!

  12. C’est bizarre … J’ai comme l’impression que Tati, elle, elle n’a pas besoin de chercher son sac à main derrière les casiers ;)

    bizzzz

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