Une belle journée d'automne

Il était 7h20 ce matin, une belle journée d’automne, comme je les aime, avec ses forêts mouillées, leurs nuanciers châtains, méchés de roux et de brun, et ses jolies grèves des trains.

Je roulais au pas, bloqué dans un bouchon de quatre véhicules, derrière un tracteur, sifflotant, tout à ma joie de retrouver mes racaillettes, quand soudain, je vis par delà les clôtures de notre si belle campagne, un spectacle à peine soutenable. Je stoppai mon véhicule sur le bas-côté, descendis et rejoignis la clôture la plus proche pour me retrouver comme figé par la vision. Je décidai d’alerter le monde.

Oui, c’est une des conséquences de la grève des trains, nos vaches n’ont plus rien à regarder.
Alors elles s’étaient regroupées à l’autre bout du champ, au pied du talus, fixant la voie silencieuse, attendant le TER 7687 de 7h13 qui ne viendra jamais, ce que je me gardai bien de leur dire, et ça meuglait, ça beuglait, mon vieux, ça faisait peine à voir.

Oui, nos vaches sont prises en otage, qu’on se le dise.
Ben c’est vrai, quand ta vie est rythmée par le TER de 7h13, le Corail de 10h28, et l’Elipsos de 19h44, ben quand y’a grève, t’es comme légèrement dévariée, et tu rechignes un poil à te faire tirer sur la mamelle comme si de rien n’était. C’est humain comme réaction, mais bon, n’imaginez pas que ce soit sans conséquences sur le yaourt.
Déjà qu’avec les TGV qui vionzent, que c’est limite subliminal comme passage, ben là t’es carrément sevrée. D’autant que dans bientôt, c’est direction le pensionnat, à l’étable, oust, et pour tout l’hiver, dans une promiscuité pas possible, à te faire shooter aux hormones et à l’antibio, j’te jure, y’a des fois, t’aurais comme l’envie de fuguer.

Alors ce matin je les ai appelées, et elles sont venues me voir, mais pas trop vite quoi, et pis elles se sont arrêtées à deux mètres pour renifler, pasque les vaches, c’est des sacrées pétochardes. Pis y’en a une qui s’est approchée, et j’y ai caressé le museau, pasque c’est important de créer du lien social dans la vie.
Alors les autres sont venues aussi et je leur ai tripoté le museau à toutes. Bon c’est sûr, ça remplace pas un train mais ça console un peu.

Moi et les vaches, c’est une vieille histoire.
D’abord pasque petits, on buvait le lait de la ferme d’à coté, qu’il fallait bien faire bouillir, que je surveillais dans la casserole jusqu’à ce qu’il soit bien pile poil au ras du bord, que j’arrêtais vite fait le gaz mais que c’était trop tard, et qu’il fallait que je nettoie tout.
Et comme au catéchisme y nous disaient que la nature elle était généreuse et qu’il fallait profiter des dons du seigneur, ben nous on piquait des cerises et des poires tant qu’on pouvait. Mais un jour, la veille de ma communion solennelle, ben le paysan il a tout répété à mon père, qui m’a privé de dessert le lendemain, sous prétexte que le dessert c’était fait, et que donc, la pièce montée, tintin. Alors avec mes copains, pour se venger, on a ouvert la clôture des vaches du paysan et elles se sont toutes barrées, mais nous, on les a pas attendues, j’peux vous dire. Mais l’autre là, il a encore tout cafté à mon père. Ben j’ai cru que mon père il allait me priver de vaches, mais pas du tout, il m’a privé de mes copains pendant une semaine, et y m’a mis un coup de pied au cul, mon vieux, que même aujourd’hui, quand je m’assois, j’ai encore mal. Ouais pasque mon père, y pratiquait non seulement la pédagogie à mains nues, mais aussi des sortes de petits massages fessiers revitalisants, avec son 44 pied large.
Alors avec mes copains on a réfléchi à une méga vengeance de la mort mais on a réfléchi debout pasqu’on avait tous sacrément mal au cul. Et pis on s’est souvenu qu’y fallait surtout pas que Léo le taureau traîne avec les filles, alors on a coupé la clôture qui séparait les vaches de Léo le taureau, que d’ailleurs on s’est coupés avec les barbelés, et Léo le taureau, qui n’en demandait pas tant, y s’est précipité vers les vaches sans demander son reste.

Putain.

Bon, j’vais pas vous faire un dessin, mais bon, pour faire simple, Léo, y s’est pas trop emmerdé avec les préliminaires.

Bon, c’est arrivé jusqu’aux oreilles de nos vieux, qui par association d’idées ont tiré les nôtres, putain, on ressemblait à une équipe de Mickey après ça, et comme punition, avec mes copains, on a dû se lever à cinq heures du mat, pour voir comment le travail de paysan c’était dur et qu’il fallait pas se moquer, et on devait l’aider à porter ses seaux de lait. Mais on a bien aimé en fait, et il a été très gentil sauf qu’il a fallut aussi l’aider à cueillir ses poires, enfin, celles qui restaient. Alors pendant toute la journée, on a porté des saquettes d’une tonne jusqu’au tracteur, comme des esclaves, que même on avait le droit d’en manger qu’une, c’est vrai en plus, et ben ça, c’était vachement dur.

Alors quand j’ai retrouvé les gamins, je souriais encore en pensant à tout ça, et je leur ai raconté l’histoire des vaches qu’étaient privées de train. Puis j’ai pris l’air sérieux, pasque c’est un vrai drame, et je leur ai demandé de bien penser à faire coucou aux vaches le soir en rentrant. Et pour être sûr, je leur ai fait noter sur leur cahier de texte, et ils l’ont bien noté, j’ai vérifié. Les parents vont se dire que le prof de techno roule sur la jante, mais bon, si on peut plus rigoler.

Et vous au fait ? Vous avez fait coucou aux vaches aujourd’hui ?

37 réflexions sur "Une belle journée d'automne"

  1. Y a pas de vaches chez moi, mais j’ai fait coucou aux goélands, parce qu’eux ils ont été privé de bateaux de peche pendant quelques jours.

  2. Veinard, tu as le privilège de voir encore des mammifères cornus et mammellés … Ici, dans la banlieue éloignée de la capitale, c’est une espèce malheureusement éteinte.
    Malgré tout, nous ne sommes pas privés de TOUT les types de mammifères … Quand nous arrivons dans notre étbalisement scolaire, nous avons la joie d’en retrouver d’un autre type … Chacun ses petits bonheurs !

  3. MEUH

    Meuh bien sûr que oui, on a fait coucou aux vaches!!! On leur a même dit « Mort aux vaches », histoire de prendre le taureau par les cornes… Je sais c’est vache de parler comme ça à des ruminantes qui ne m’ont rien fait, mais bon, aujourd’hui, j’me dis que ça le veau bien.
    Salut!

  4. Moi, j’ai ressorti le train électrique des mômes pour les montrer aux vaches de la voisine, histoire qu’elles soient pas dépayées le jour où le train passera devant chez moi.
    Des bizettes

  5. Il était temps d’enterrer…

    …la vache de guerre!

    J’espere que le « vinteur » parlera du drame des vaches prises en otages par les (vilains) grévistes! :)

    Excellent billet Charly!
    Tang

    PS: Vous me fites grand honneur de me lier en 1ere page, j’ai un afflux de visiteurs venant de chez vous… Du coup je me suis dit que je n’allais pas ajouter au drame des vaches celui de vos visiteurs privés de mon blog fraichement découvert… Je suis bon, que ne suis-je despote?

  6. Vacherie

    Moi, j’étais là, dans mon pré vert/sur mon quai de RER, et j’étais sacrément perturbée aussi de ne pas voir passer de train. Et vous savez quoi? Pas une bonne âme pour venir me caresser le museau. Tout fout l’camp, j’vous jure…

  7. Pour ma part, je dis tous les jours bonjour à mes élèves qui ont été privés de cerveau depuis si longtemps …

  8. Séquence émotion

    J’ai beaucoup aimé ta « vieille histoire »:
    J’ai revu le lait bouilli avec la grosse peau de lait et les yeux jaunes et gras qui me donnaient la gerbe, le caté et ses chapardages de fruits…suivis des oreilles de Mickey, du pied au derch et des excuses au père curé…
    …toute une époque que tu m’as fait revivre l’espace d’une grêve. Merci.

  9. A part la gardienne de mon bahut, sur la plan bovin faut reconnaître qu’on est mal lotis en banlieue, il y a bien une ou deux collègues que j’inciterais volontier à la traite, et quelques autres qui ne devraient pas tarder à partir à l’abatoir; moi je serais plus d’avis d’abattre le cheptel et de voir fleurire une éducation BIO, mais les inspecticides y zon pas l’air franchement pour …

  10. quedalle!

    rien de rien aucune vache ce matin n’a croisé mon regard (comme celui de mes élèves d’ailleurs) car faute de transport j’ai fait la grasse mat’!

  11. Encore!

    Bonjour Monsieur Charly,

    A quand l’édition? Parce que l’internet, c’est pratique pour le quotidien, mais moi, j’aimerais bien savourer vos mots dans un bon fauteuil ou dans le RER (ah! zut! c’est loupé en ce moment…)

  12. on est tous…

    la vache de quelqu’un, il fallait me voir sur le quai du métro ce matin à surveiller mon métro de 9:03…

  13. Ben nous, on n’est plus tout à fait petits, mais on continue à boire le lait de la ferme (qu’est pas vraiment à côté, mais pas trop loin non plus), qu’on fait bien bouillir, qu’on surveille dans la marmite (3 litres d’un coup, faut une marmite) jusqu’à ce qu’il soit bien pile poil au ras du bord et que dans 98% des cas on arrête le gaz à temps… et on a pas besoin de nettoyer…

  14. Les jeux de mots douteux comme « Oh la vache ! Quel billet ! » sont à proscrire mais c’est une bien belle anecdote.
    Congratulations les plus sincères.
    Riton.

  15. Meuh, meuh…

    … il ne reste plus aux vaches qu’à se mettre en grève contre la grève des trains ! Plus de lait jusqu’à reprise du traffic, et elles ne cèderont pas ! Une manifestation est prévue entre République et Bastille pour mercredi prochain ; les vaches (50 000 selon les têtes de troupeau, 350 d’après la police) défileront de manière pacifique, munies de banderolles portant des slogans tels que « pas de trains = pas de lait », « NON au Syndrome Neurasthénique Commun Franchouillard, OUI au retour des trains ! », « sans trains, le pâturage est pire que le chômage ! »…
    L’Amicale des Bovins de France et le Club des Vaches et Bouvillons Amis des Trains rencontreront le Ministre des Transports en Retard le soir même, afin d’ouvrir les négociations.

    A quand le service minimum sur les lignes de campagnes, pour éviter que les vaches sombrent dans la dépression nerveuse ??? Cette négligence est un véritable scandale, merci de la dénoncer, Charly !

    ;)

  16. Pour moi les vaches c’était justement quand il y avait des trains … Je le prenais depuis ma banlieue parisienne pour aller en vacances chez ma grand-mère dans mon sud-ouest natal.
    Ah les séances de traite avec le lait mousseux qu’il fallait filtrer.
    Et toute cette crème épaisse qu’on se disputait !
    Ma grand-mère essayait d’en sauver pour en faire des gâteaux !
    Et puis, chez nous le lait il débordait pas. On avait l’anti-monte-lait, qui faisait cloc-cloc quand il fallait éteindre le feu !

  17. Comme j’aurais aimé que mon prof de techno au collège me fasse écrire sur mon cahier de textes « faire coucou aux vaches »

    mon prof de techno il était vachement moins cool…

    :-)

  18. Y’a comme un problème je crois, ici, c’est moi qui regarde les vaches passer, sur ma terrasse, elles en camion…et je donne pas cher de leur destination.
    Mais on s’amuse toujours autant sur ce blog !

  19. Autre vision pour l’avenir

    Grace à ton texte , je te promets que maintenant, je regarderai les vaches différement!! Promis !!!

  20. « Par chez moi », y’a des vaches….Mais y’a pas d’train (même quand y’a pas grève!)Alors c’est des vaches zen, qui font leur petite vie tranquille…Comme ça, en cas de grève…pas de syndrôme de sevrage……Elles sont pas contrariées!!!

    …Et, oui, »le blog de charly »,édité, je vote pour……Y’a des heures…Ont s’rait mieux couché pour te lire……et te relire………..

  21. Aaaah la la, non, pas de coucou aux vaches… Mais ça donne envie en tout cas :o)

    (j’ai beaucoup aimé « pratiquer la pédagogie à mains nues »)

  22. Pas besoin de leur faire coucou à travers champs, j’en ai plein mon CDI… :-) et puis de toutes façons il a neigé, alors les tarines de notre vallée de montagne, elles sont déjà rangées pour l’hiver, les pauvrettes !

  23. Meuh….

    On dirait un épisode de la Guerre des boutons…
    le matin, je dis pas coucou aux vaches, je fais coin-coin aux canards…
    pour les parents, je ne sais pas s’ils ont enore beauoup d’illusions sur la santé mentale des profs de leurs enfants !!!

  24. Encore du bourrage de crâne. Le lait, ça pousse dans des briques carrées d’un litre sur les rayons du supermarché.

    Et la pédirétropédagogie gagnerait à être utilisée plus souvent, pour le délassement des enseignants, et à des fins d’économie de chaises de classe, trop usées par des fesses avachies flottant dans des haillons aux couleurs kaki aussi appelés pantalons par le public concerné.

  25. Nostalgie

    Moi, j’ai pu d’vaches près d’chez moi ! Mais je comprend mieux la hausse du prix du lait. et quand on faisait bouillir le lait on avait un monte lait qui chantait dans le fond de la casserole ;
    J’me suis aussi souvenue en vous lisant que petite j’allais manger les pommes et les poires du vergé de ma grand-mère alors qu’elle voulait pas. Et avec mes cousins cousines et mes frères et sœurs ben on était vach’ment ingénieux…on jetai tous les trognons dans le jardin d’à côté ; Des vrais futés, bison à côté d’vait d’la nioniotte… et toujours au même endroit (faut pas s’disperser, toujours aller au plus court, on perd pas d’temps et tout est bien cadré)…Imaginé une dizaine de gamins à lancer 4 ou 5 trognons chacun pendant 10 jours…c’est qu’à la fin ma grand mère pouvait toujours r’trouver ses fruits mais dans l’jardin d’à côté légèrement allégé de matière et pour la compot’ c’était pas le pied…
    Et nous aussi on a fait partie du club des oreilles et des fesses…….. et des intestins douloureux !

  26. A cette saison en Camargue les taureaux sont comme les foins, rentrés. Normal donc que le TGV ou autre train (car un train peut en cacher un autre) ne daigne plus passer pour eux.
    Nous n’ avons donc plus ni mammifère ni locomotion raillée. Sur rail, je veux dire, il ne me viendrait pas à l’ idée de me moquer de la SNCF encore moins quand elle est en grève.

    En guise de vacherie EDF aussi est en grève. J’ habite en face des bureaux. Ils ont tiré une longue banderole blanche pour prévenir le client potentiel. Ai bien rigolé, le bureau est fermé, il ne reçoit plus personne depuis plus de 3 mois. Que si t’ as un problème tu composes un numéro sur Paris (à 800 km à vol de mouette), qu’ un automate y te répond de Paris que si c’ est pour tel souci tu appuies sur la touche truc après avoir composé les 25 chiffres de ton code client, les 15 chiffres de ton numéro d’ abonné et patienté 35 minutes au téléphone mais que cela ne te sera facturé que 12eu la minute… etc

    Bref, y a pas plus vache que les services publics en ce moment.

    M’ enfin je ne dirai pas de mal des Télécoms, faut pas pousser. Le mistral a rompu ma ligne et Internet donc, et que le gentil monsieur au téléphone (ben oui, je vous disais qu’ y a que lui qui marche en ce moment) m’ a dit qu’ il allait me la rétablir sous 3 jours et même en prime m’ envoyer un sms pour me prévenir de son prompt rétablissement. D’ où mon commentaire…

    Bizou Charly et bonne fête à toute les Marguerite.

  27. Et les grèves d’EDG-GDF avant c’était : on coupe le courant ou le gaz ! tout net … Une fois l’un, une fois l’autre.
    Donc depuis il existe des cuisinières mixtes gaz et électricité.
    Je me souviens des jours de grèves. On dinait aux chandelles. Mais froid !

    :-)

  28. Nous on n’a plus ni train, ni vache. Ou en tous cas, plus de vaches qui regardent les trains. On n’a que des phoques qui regardent tomber la neige. Mais le lait de phoque, c’est pas terrible terrible…

  29. N’y avait-il pas un film avec Fernandel et une vache qui lui servait de couverture pour s’évader ? J’aime bien votre texte en noir et blanc, un brin nostalgique,M’sieur Charly.

  30. Très belle votre histoire, moi aussi je vais voir les vaches dans les champs et fait du camping à la ferme.

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