Une journée bien chargée

J’sais pas si vous êtes au courant, mais des fois, y’a des grèves chez nous.
(introduction hautement provocante quand on sait que les parents se retrouvent ces jours là avec les enfants sur les bras, et ces derniers, avec les parents sur le dos)

Bon, les grèves, j’en suis toujours informé par les élèves, qui viennent me demander si je la fais, parce que dans ce cas, pour eux, c’est l’occasion de rester à la maison.
Et je prends mon air triste, je regarde le plafond, ils regardent le plafond, je regarde mes chaussures, ils regardent mes chaussures, je les regarde, et je leur dis que j’la fais pas, rien que pour les faire chier.

Et donc cette fois là, la grève devait avoir lieu un mardi.
Le lundi soir, la veille donc, je passe voir un couple d’amis, presque voisin, et ils me gardent pour dîner.
On s’envoie deux barils de pétrole brut et on termine sur un bon Cognac, que tu m’en diras des nouvelles, et qu’t’en reprendras bien un p’tit pour la route, non merci, bon d’accord, mais le dernier alors.
Je rentre chez moi vers une heure du mat, à pied, et bien allumé, je me couche dare-dare et je m’endors itou.
Six heures du mat, le réveil sonne, façon alerte nucléaire générale, et j’émerge péniblement en constatant avec effroi, et vous allez le comprendre, que j’ai un mal de tête carabiné, à s’demander si j’ai pas pris froid la veille.
Bien crevé et épouvanté par la journée qui s’annonce, je réussis à réfléchir un peu et je découvre avec stupéfaction que je suis en complet désaccord avec les propositions du gouvernement notamment l’article 231 alinéa 22 et je décide de m’associer in extremis à la grève prévue.
Et donc je me rendors.

Un peu plus tard, quatre heures plus tard précisément, j’me lève, j’fais ma p’tite toilette, ce qui va assez vite vu que j’me salis très peu, et je me retrouve dans le salon, désemparé et tenaillé par une culpabilité que vous imaginez sans peine (ça m’étonnerait, mais bon).
Vers onze heures, Patrick, le responsable syndical, ayant constaté mon absence, m’appelle et me félicite pour mon engagement dans la lutte.
Un peu gêné, je lui réponds qu’c’est la moindre des choses, que ça commence à bien faire, et que j’sais pas c’qui me retient de tout faire péter.
Ébahi par mes convictions (récentes les convictions quand même), il me propose de participer à la manif dont le départ est fixé à quatorze heures.
La dernière fois que j’ai défilé dans les rues, c’était pendant mon service militaire, j’suis pas sûr de me rappeler, mais n’osant pas refuser, j’y suis allé.

Tout le monde m’a accueilli par des grandes claques dans le dos, en disant que décidément je cachais bien mon jeu, et qu’ça faisait bien plaisir à tout l’monde, d’autant que j’avais une réputation de merde, de jmenfoutiste, de connard fini, et donc, ça m’a fait plaisir.

Je fus chargé de tenir une banderole avec un truc méchant écrit dessus et j’étais bien content.
Malgré le temps couvert j’ai quand même mis mes lunettes de soleil, parce qu’on est passé devant toutes les terrasses des bistrots de la ville, que je connais bien, et réciproquement, et que je tiens, par souci d’éthique, à ne pas mélanger vie professionnelle et vie privée.
Mais c’était sans compter sur Jeannot, le patron du Gargouillis-Nichons-Club qui m’a reconnu :
— Qu’est-ce que tu fous là toi ?
— Ben… la lutte quoi…
— Toi la lutte ? Branquignole va ! Amène toi, j’te paye un demi !
— Ben là j’peux pas, j’suis en pleine lutte.
— Bouge pas, j’te l’amène.
Mes collègues de tranchée demandent ce qui se passe, et j’explique que ce type est un malade, que j’mets jamais les pieds au bistrot, que la dernière fois, j’avais huit ans et que j’étais forcé par mon père, pour boire un Coca.
Et Jeannot s’amène avec le demi.
— Tiens, il est bien frais. Dis donc, Laurence a appelé, y paraît qu’elle arrive pas à te joindre. Putain, toi et les nanas, j’te jure !
Pendant que je me demandais si on pouvait empaler quelqu’un avec un piquet de grève, Patrick annonce dans son porte voix que l’on approche de la préfecture et qu’il faut qu’on gueule bien fort. J’en profite pour expliquer à Jeannot que ce serait trop long à lui expliquer, et que ça me rendrait service s’il arrêtait de m’en rendre.
Bon, on a bien gueulé, mais visiblement y’avait personne, puisque personne n’a répondu.
Et on s’est dispersé.

J’étais avec les collègues du collège et y’a trois types qui sont venus nous voir avec des câbles, une caméra, et un gros micro poilu et y en a un qui m’a demandé ce que je pensais des deux dernières mesures du projet de loi.
J’étais bien embêté parce que je savais même pas qu’y avait un projet alors vous pensez, les mesures, en plus les dernières.
Mais j’me suis pas démonté, j’ai dit que le projet était inacceptable, qu’on s’laisserait pas faire, qu’y en avait marre, qu’on était pas des chiens, et qu’on irait jusqu’au bout, et même plus loin, et tout quoi. Le type était bien content et il a dit que ça passerait sur France 3 le soir même.
Les collègues m’ont applaudi, en disant que j’avais été très clair et que j’étais un vrai leader, et qu’ils étaient surpris par mon charisme, et que venant d’un type qu’était pas foutu de tenir ses classes, et qu’avait l’autorité d’une pompe à vélo, c’était surprenant, et ça m’a bien touché.

Après ça, je suis allé au Gargouillis-Nichons-Club boire l’apéro. Jeannot a mis France 3 pour les infos et j’étais une vraie star.
Je suis passé juste après le préfet, qu’a dit qu’il avait rien entendu parce qu’y avait du bruit dehors, et avec les clients, on a tous regardé.
Mais en fait on a surtout vu Patrick, car moi, j’étais juste derrière lui, en train de boire ma bière.

Si c’est pas d’la malchance ça.

16 réflexions sur "Une journée bien chargée"

  1. ah non, pas de la malchance mais plutôt un juste retour des choses pour un « biberon » comme toi. Ça t’apprendra à maîtriser tes démons ! :-(

    Et c’était mieux ainsi, crois-moi !

  2. MDR ! Faudrait donc picoler pour être au top ??
    Naaan … Caro de Pensées d’une ronde a écrit des trucs dans le même genre … ragh les lendemains de beuverie … T’as même pas parlé de la réaction des élèves ! Z’étaient pas ou contents de pas t’avoir vu ou dég’ parce qu’ils étaient venus POUR TOI ?? Vu que tu leur avais dit que tu serais là ?

  3. Gloria, grillé oui, mais ça fait un moment déjà.
    Bisous.
    Raymonde, je cherche un exorciste. Vous peut être ?
    Bises
    Bounty, c’est vrai, je les avais oubliés, donc j’ai une pensée pour eux. Une bonne tape dans le dos.
    Mélina, ouah ! l’ironie ! Excellent ! une tape sur la joue.
    Charly qui aime son regard.

  4. Du

    trés bon cru, du millésimé, de l’AOC……..
    C’est bien la seule fois ou l’on vous voit vous les profs en centre ville! ! ! ! ! si il y a aussi les lots pour les kermesses…..

  5. Une honte

    pour l’éducation nationale. Je ne vous confierai pas mes enfants, ni ceux du voisins (et pourtant, ils sont cons, ils le mériteraient).

    PS : RV me dit « bon ben on n’a plus qu’a lui mettre une bière de côté » (ça n’a rien à voir, mais ça mérite d’être précisé).

  6. et les élèves de dire en regardant les infos : « papa, maman, venez vite voir y’a mon prof de techno à la télé » et eux les yeux sortant de leur orbite en te voyant faire grêve une bière à la main,, mdr…. tu casses ta crédibilité à la prochaine réunion parents/prof.

  7. Salut Émile, à midi c’était super, et excuse pour ce que tu sais. Bien que j’insiste, ça dépend du degré.
    Posuto, on est toujours le voisin de quelqu’un ;-)
    Bille, à la votre.
    Alice, comme Claire, alors j’aurais un tit bisou ?
    Cathy, y pleut chez vous ? Je supporte pas la flotte. Pour les réunions, comme j’ai des gens comme toi, y’a jamais de problèmes ;-)
    Charly qui s’en est pris une.

  8. Coucou profenzep, je tiendrai pas jusque là ;-)
    Au fait pour le pseudo, choupinette ça va ?
    Bisous graves

  9. La naissance d’un syndicaliste…

    Le nombre de grévistes est donc proportionnel au nombre de cuites qu’il y a eu la veille de la grève…
    Drôlerie et irrévérence… on a l’air de bien rire dans votre collège, mais ça ne me ferait quand même pas envie

  10. bien fait

    Monsieur Le Prof, je tiens à ce que vous sachiez que c’est en lisant ce blog que j’ai decidé de faire passer cette nouvelle loi. Il est desormais interdit à tout professeur n’ayant pas signalé 48h à l’avance son envie de faire greve de faire greve. Non, je ne bafouille pas. Un president ne bafouille jamais.
    Merci, et vive la France.

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