La pompe

Pomper : argot scolaire. Copier, tricher en copiant.

Lors des évaluations, je sépare les élèves. La salle le permet.
Le silence est total.
Rien sur les tables, hormis une trousse, une feuille.
Un élève qui parle sans mon autorisation, c’est moins cinq points.
Récidive, moins dix.
Je déambule lentement entre les tables.
Une main se lève.
— J’peux demander du blanc ?
— Qui a du blanc pour Amina ?
— Merci m’sieur.

Depuis un angle de la salle, je scrute.
Je surveille.
J’épie.
Je scanne.
À l’affût de tout mouvement suspect.
Tel le guépard, prêt à jaillir de l’ombre.

Une première gazelle.
C’est Sandra.
Nos regards se sont croisés.
J’ai senti comme une gêne dans le sien.
Mes capteurs d’émotions, alertés, s’orientent vers elle, à la façon d’antennes paraboliques.
Mon détecteur de mensonge clignote.
L’aiguille s’emballe.
L’alerte de niveau trois est déclenchée.
Je m’approche d’elle.
Elle le sait.
— Ça se passe bien, Sandra ?
— Ça va oui.
Devant elle, sa trousse.
Je l’ouvre.
C’est le flagrant délit.
Une pompe longue comme le bras.
Je lis. Tout y est. Toutes les réponses.
Toute la classe nous observe.
Je procède à la comparution immédiate.
— On peut savoir ce que c’est ?
— …
— Tu sais ce qui s’passe dans ces cas là ?
— …
— D’abord zéro, fais voir ta copie.
Et ensuite une punition, que tu feras signer à tes parents. Les deux.

Panique.
Demander la signature des deux parents, c’est sadique.
On sait bien qu’il y a toujours un parent plus cool à qui l’élève s’adresse
lorsqu’il s’agit de signer des documents compromettants.
En procédant ainsi, je m’assure de l’application d’une double peine.
Voire d’une double claque.
Et ça, c’est illégal.
Et ce serait trop facile de sous-traiter aux parents la claque que je ne peux donner moi-même.
Bon, une fois la colère passée, j’lui dirai qu’une seule signature suffit.

L’évaluation se poursuit.
Mon sonar indique une zone de turbulence.
Je me retourne vers Pierre.
Il est tout mignon avec ses p’tites lunettes.
Y peut pas faire un truc comme ça lui.
Je m’avance.
Il s’agite un peu.
Un bout de papier glisse vers le sol.
Pas d’bol. J’l’ai vu.
J’ramasse.
Je lis.

C’est remarquable.
Ils devaient tous apprendre le contenu d’un tableau et Pierre l’a intégralement recopié sur un minuscule bout de papier.
C’est du travail d’orfèvre.
Je suis ébahi par la qualité de sa calligraphie.
L’intégralité d’un format A4 dans un format A10 !
Soit une division par 64 !
Impossible avec une photocopieuse standard.
Une micro-pompe.
Que dire devant une telle prouesse ?

La même chose qu’à Sandra.
Mais la mort dans l’âme.

4 réflexions sur "La pompe"

  1. C’est ta faute. C’est trop dur, les contrôles, faut savoir des trucs par cœur, et au moins les artistes en anti-sèche ont bossé pour les rédiger. Rien que pour ça tu devrais les encourager.

  2. Juste pour l’effort, tu aurais pu absoudre PPP _Pauvre Petit Pierre. Je suis certain qu’il aurait passé moins de temps à apprendre son tableau qu’à le recopier minutieusement…Quoique, ça sentait l’incident diplomatique avec Sandra.

  3. Rahh

    Toute façon avec ou sans feuille de pompe 100% des choses que tu leurs apprends, il les auront oubliés la semaine suivante ..

    Alors c’est du pareil au même

  4. Variante, pas drôle: t’as mis tous tes sens en alerte, t’en as piqué une qui avait trop la main gauche sous la table… tu rends les copies ; une crise de larmes ; »y a quoi , Zora, t’as pas une si mauvaise note que ça? -oui, mais y en a deux qui ont pompé à côté de moi et elles ont 14 et z’avez rien vu … Et j’ai même pas copié sur elles ! c’est pas juste! »  » Quelqu’un a mauvaise conscience dans celles qui ont 14? -c’est quoi la mauvaise conscience ?

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