Notre jeunesse me sidère.
Ce matin, après avoir disserté longuement sur le biclou, avec la passion que tu me connais cher lecteur et qu’un tel sujet implique, tour à tour vibrant à l’évocation de la pompe à vélo, puis totalement exalté, brandissant tel un trophée une chambre à air à plat, et pour finir, simplement émouvant, narrant sans emphase l’histoire épique de la rustine, les larmes aux yeux donc, je précisai à mes 6e4 somnolents, que le vélo était précieux, qu’il convenait de ne jamais s’en départir, et que l’on pouvait partager bien des choses dans la vie, mais son biclou : jamais.
Bourzig, Trapugne et Brizouille acquiescèrent, les nantis cosignèrent, l’effectif s’emporta, je touchais là à l’essentiel, l’affaire était entendue.
Jusqu’à ce que Fanny annonce que ce n’était pas bien de garder les choses pour soi, que c’était bien de prêter son vélo, pasque y’en a qui n’en ont pas, et patati et patata. Anaïs ajouta que d’une façon générale, il était bien de partager, que le monde en serait meilleur.
Mon dieu quelle horreur.
Ah !!! Quand l’empathie nous guette !!!!
Puis, Fanny nous fit un discours très affûté sur les droits de l’homme dont j’ignorais que l’on en disposait autant, et je crus bon de calmer la joliesse par une remarque apaisante et de bon aloi :
— Et ta sœur ??? Elle bat l’beurre ???
J’ignorais à ce jour que les 6e4 faisaient partie de la promotion « Abbé Pierre », je m’enquis au plus vite de rapatrier mes rastaquouères dans le monde réel, celui de l’égoïsme partagé par tous.
(Oui, je sais ce que tu penses de l’égoïsme, cher lecteur, à savoir que certains de nos compagnons de petite taille en sont fortement dotés dès la naissance. Je le sais. Mais chez eux, l’égoïsme est empirique, instinctif et pour tout dire, souvent malhabile. Et tu connais ma mission de technologue, structurer ces notions souvent diffuses, les compléter, afin qu’ils puissent en toute circonstance faire preuve d’un égoïsme de qualité, loin de l’amateurisme désinvolte affiché par certains et qui nous révulse tant.)
Je ne sais si la vérité sort de la bouche des enfants, mais les âneries en débordent, et je me devais donc, en tant que pédagogue émérite, de mettre le holà à ces élucubrations humanistes menant tout droit dans le mur de l’appauvrissement.
Mais comment faire ???
Ben comme ça :
— Attention les enfants !!! Partager c’est bien, mais partager, c’est avoir moins !!!
Les 6e4 accusèrent le coup, frappés par l’évidence de mon postulat.
Puis j’enchaînai avec la virtuosité que tu me connais cher lecteur (franchement des fois, y me manque que la toge) :
— Par exemple, si vous avez quatre bonbons, et que vous en donnez un, y vous en reste plus que trois… c’est ballot hein ???
Mais hélas, l’effectif fit la moue, mon argument de choc les laissa de marbre (et quand on fait la moue, c’est pas évident).
— Oui mais m’sieur, y nous en reste quand même trois… de bonbon… c’est bien déjà…
— Qui qu’a dit ça ????? Ah oui ???? Alors si tu as quatre roues à ta voiture et que tu en donnes une, comment tu fais pour rouler toi ?? Avec trois roues ???? Hein ???
L’argument fit mouche, la classe approuva des deux mains, certains précisant même qu’ils n’y avaient pas pensé.
De toute façon, y pensent à rien ces gamins.
À suivre…
Aaaaahhh, je comprends mieux d’où ça vient alors…
Y’a des trucs qu’on peut plus aisément partager… les baffes par exemple. S’ils recommencent, fais une généreuse distribution de baffes.
Bonne rentrée cher collègue. Les élèves ont une propension aux débats passionnés en classe. Il faut plus d’un tour dans notre sac pour calmer le jeu parfois. Mais en tant que virtuoses de la Pédagogie, un peu de poudre d’escampette et Hop magie magie, ils n’écoutent que la voix du maître… lol un biclou c’est sacré !
On peut s’inscrire? je viendrais bien à ton cours…..Surtout si tu mets la toge! :D
Bisous
Je pense que l’important c’est surtout de comprendre le partage égoiste: je te fais un massage ma chérie pour que tu n’aies plus mal à la tête, mais en échange tu me fais une petite f.. enfin je pense qu’il y a des moyens de leur expliquer ça pour qu’ils comprennent, avec des bonbons par exemple…
Un égoïste de petite taille, j’en connais un, même qu’il porte des talonnettes tellement il est petit! Mais ce n’est pas un compagnon…