La chevauchée fantastique

Dernièrement au collège, c’était la semaine de la gastro.

Séquence rituelle qui voit maigrir nos effectifs, nos classes se vider comme leurs occupants, faisant de tous ces vidages successifs, l’humble contribution de notre petit collège à l’épanchement national.

L’absentéisme résultant altère gravement le contenu de mes cours, que je me dois d’alléger en évacuant l’essentiel, afin de ne pas pénaliser les absents.

Ce matin, Bourzig, un des rares réchappés du vaste échappement, succomba à son tour, interrompant mon exposé en faisant émerger du fond de la classe un de ses bras, le plus long sans doute, car je le vis dans l’instant :

— Ouais ??? Tu veux quoi Bourzig ???

— Ben heu… j’peux aller aux wc ???

— On ne va pas aux wc pendant les cours, c’est le règlement intérieur, enfin, si je puis dire…

— Oui mais là heu…

C’est donc un Bourzig grimaçant, contenant avec peine son émotion et tout un tas d’autres choses, qui alertait l’auditoire de l’urgence de sa situation. Je fus quelque peu étonné de voir Bourzig s’agiter de la sorte, car généralement, je savais ce dernier surtout pressé de ne rien faire, et sa capacité à s’y précipiter. Mais précipitation n’est pas vitesse et bien que ne voulant faire obstruction, je ne pus m’empêcher de titiller l’impatient, débonnaire que je suis, avec ce qui m’est coutumier, cette petite pointe de sadisme jovial et primesautier, mais toujours bon enfant.

— Oui mais là quoi ???

— Ben… je crois que je couve une gastro…

Ah l’audace de la métaphore !!!

Ainsi, dans l’imaginaire de Bourzig, la gastro s’apparentait à un poussin piaillant à vous fendre le cœur, ravissant de ses touchants pépiements son éveil à la vie. Et je dois dire que jamais métaphore ne fut plus assortie à son objet, bien que l’on puisse sans doute objecter, que d’un point de vue strictement technique, sa métaphore n’était pas si métaphorique que ça.

Ainsi, tandis que Bourzig couvait, et par crainte d’éclosion imminente, j’accédai à sa requête.

J’indiquai à mon irrité du côlon la direction de la porte en secouant la tête, ce qu’il traduisit assez judicieusement par « fissa ». Mais je me ravisai, sachant qu’il est gravement interdit qu’un élève circule seul dans l’établissement, il convenait que je lui adjoignisse un colistier.

— Bon, qui l’accompagne ????

— Oh moi m’sieur !!!!!

Notre chère Fanny.

Ainsi la belle, jamais à cours d’amour, se proposait d’escorter jusqu’à l’espace dédié mon détendu du sphincter.

Mais voyant la mine sceptique de Bourzig à la proposition de la belle, je me vis dans l’obligation de tempérer les ardeurs de l’aimée, lui expliquant que l’homme parfois, dans sa quête d’absolu, se voyait contraint à l’isolement afin de méditer à sa grandiose épopée, ou selon, à son nain destin. J’affectai donc Trapugne au suivi du colis, il en fut ravi, ce qui me laissa un instant songeur quant aux mystères de l’amitié, mais je pris acte intérieurement de sa fidélité sans faille.

Ah vous l’auriez vu détaler mon Bourzig, sans demander son reste, collé au train par Trapugne, sous les encouragements nourris des 6e4, car une course folle contre le temps s’engageait sous nos yeux. Avec un enjeu clair pour Bourzig, atteindre en un temps record les goguenots pour y faire livraison. Et c’est ainsi que les secondes s’égrenèrent, rapprochant l’échéance, et la crainte qu’à tout moment, mon Bourzig ne s’égrenât à son tour.

Je me postai dans le couloir non sans malice, afin d’observer la quête éperdue de Bourzig, son choix judicieux de la fuite en avant, et je fus bientôt rejoint par quelques de 6e4, hilares — vous conviendrez qu’il y avait matière — tandis que je chantonnai mentalement un vieil air de notre Johnny national, que je revisitai à ma façon :

— Ah cours plus vite Bourzig tu gagneras !! Ne te retourne pas, ah ah !! Ah cours plus vite Bourzig tu gagneras !!! La fille sera pour toiiiiiiiiiiiii !!!!!!.

— M’sieur, y va y arriver Bourzig ?????

Arrivera ??? Arrivera pas ??

Qu’en savais-je.

Mais comment dire à l’enfance le doute en mon âme, comment dire à l’enfance l’inconstance de l’œuvre obscure de ces bactéries assassines, sournoises armées des ombres colonisant nos grands côlons ???

Hantés par le doute, ah que me souviendrai-je de cet instant, haletants que nous étions, nous observâmes au loin notre Bourzig se dissipant dans les brumes persistantes de janvier, les jambes à son cou, et les deux mains au cul.

34 réflexions sur "La chevauchée fantastique"

  1. Demande à Trapugne qu’il t’explique les mystères de l’amitié puisque tu l’as mandaté, tu pourras en échange lui donner des cours de sadisme jovial et primesautier à la récré.

  2. Je ne sais pas ce qui est le plus cruel(lement drôle) : se gausser d’un pov’ malade (et franchement, côté lose, il n’y a pas pire qu’une gastro. Une otite, une sinusite sont des maladies non honteuses, « la » gastro, c’est terrible, les symptômes sont tellement connus qu’on a même pas besoin d’imagination pour savoir comment le malade a passé les deux derniers jours) ou nous laisser sur ce cliffhanger digne d’un des plus haletants épisodes de Herœs.
    Parce que finalement, Bourzig, il l’a remportée cette course contre la gastro?

  3. « — Ben… je crois que je couve une gastro…

    Ah l’audace de la métaphore !!! »
    A mourir de rire ! :D

    J’imagine bien la scène et la détresse du pauvre pauvre Bourzig en pleine effusion…

  4. message(s) personnel(s)

    désolée mais ceci est un message pour « la bureautière » si elle revient lire les commentaires…
    Je suis, enfin, j’étais jusqu’à dernièrement une fidèle lectrice de votre blog élode de la pipeautique… j’aimerais pouvoir continuer à suivre vos aventures dans la FPT…, moi qui travaille dans le privé.
    Je pense que « charly » peut vous donner mon adresse mail ou alors laissez-moi un commentaire sur mon blog.
    Dans l’attente de vous (re)lire…
    Quant à Charly, je prends toujours bcp de plaisir à lire votre blog… dès l’instant où il est alimenté !

  5. L’histoire ne nous dit pas si Bourzig a laissé des traces de pneu pendant sa course effrénée. o_O »

    J’ai bien rigolé avec cette histoire ^^

  6. Chez nous (dinlnord en Belgique)on dit « des traces de freinage »… Merci pour cet excellent moment!

  7. A l’adresse de la bureautière si elle repasse par là,

    je suis comme Fabienne, j’aimais bien suivre les aventures de la bureautière et je n’y ai plus accès. C’est dommage. Existe-t-il une solutiom ? Merci d’avance.

  8. Et oui !

    tout simplement grandiose ! Il fallait y penser et surtout … l’écrire !
    Merci de cette tranche de vie

  9. Ben heureusement que Bourzig te l’a fait version entérite, parce que la version gastro pas le temps de sortir de la classe, c’est un peu mon angoisse …

  10. Che nous au Québec, on dit des traces de break, et parfois des traces de break dans les shorts !
    Ita est !

  11. lecteurs en détresse

    Pour les lecteurs en détresse de la bureautiere, lui envoyer un petit mail à :
    brassebouillonvf@aol.com
    Elle répond, enfin je crois :).

    Et merci Charly pour cette petite tranche de gastro!
    Bien des choses à Bourzig et son colon.

  12. A qui le prochain !!

    A mon avis trapugne sera le suivant !!! La gastro est sournoise et virulante. Trapugne le suivait au fesse c’est mal barré pour lui !!
    Et toi Charly ??? rien ??? pas même un petit symptôme de nausé ???

  13. Matière à rire

    Quand j’enseignais le français, j’aimais bien envoyer mes élèves paître. Je précise : paître les champs lexicaux.

    Eh bien grâce à vous et pour le champ de la gastro, ils auraient eu ventrou garni :

    « Maigrir, vider, vidage, épanchement, contenu, évacuant, échappement, wc, faire, contenant avec peine, obstruction, côlon, sphincter, train, nourri, goguenots, fuite, matière, cul. »

    Collègues, n’achetez plus de manuels, venez brouter ici !

  14. Arrivera, arrivera pas, mon lycéen n’y est pas arrivée…
    Je déteste les périodes Gastro, mais que font-ils pour se la refiler comme cela???

  15. élémentaire mon cher Watson !…

    Ils ne se lavent pas suffisamment les mains !
    En ce moment j’ouvre les portes, lentement bien sûr … mais avec les coudes : nickel !

  16. y a combien d’années qu’ils sont en 6éme 4 tes héros de la gastro ou autres aventures piccaresques ? Merci de nous amuser et pourtant la gastro c’est drôle pour personne : on y est tous passés cette année , les pitchous d’abord ensuite les profs puis les 3èmes…

  17. C’est au mot « égrénât » que je me suis rendue compte que je rendais votre post plus vivant, le lisant en dégustant des lentilles aux lardons…

  18. Hé Ho !!!!!!!!!!!???
    C’est fini la gastro !!!!!… on est en Mars !!
    Pas une ou deux allergies chez les 6è4 ??

  19. Je viens de tomber parhasar sur votre blog et là je dis BRAVO !
    Je suis fille de prof, alors des histoires comme ça je m’en régale une fois par semaine lorsque je tél en Alsace à ma mère.
    J’aime beaucoup le ton d’écriure qui me rapelle le blog ( fermé maintenant ) de Mère Indigne.
    J’vous place dans ma blogoliste !
    Je ne sais pas si vous êtes encore en vacances mais si c’est le cas, profitez-en bien car vos trolls vont revenir requinqués !
    A++

  20. Excellent !

    Encore un texte tordant…
    Attention à la gastro, car quand elle éclot, elle n’éclabousse pas que les élèves.

  21. Vacances ??????

    Dis donc Charly,
    tu ne trouves pas que les vacances dans ton académie sont plus longues qu’ailleurs ?
    C’est une faveur de Monsieur le ministre de l’éducation ou quoi ?

  22. C’est vrai ya de l’abus !!… on va faire grêve pour que tu assures le service minimum !!

  23. tiens c’est en même temps pour toi ma natouille, cette fois c’est bien moi et oui, je m’inquiète aussi de l’abandon de ce cher Charlie le prof … nous ces histoires, on se les raconte en famille, c’est pour dire, et on se marre en plus !!
    alors fugue ? enlèvement ? toute piste est bonne à explorer …
    l’albasoise … de cœur

  24. t’es où ?

    T’en as eu marre ? T’es malade? On s’ embête sans tes zozos !
    @+ très vite ….

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