Tous les articles par Charly Le Prof

En voiture

— Pourquoi vous avez pris deux voitures ? On est serré comme des sardines.
— Le dioxyde de carbone, Maryse.
Faisons acte de citoyenneté et œuvrons pour résorber le trou dans la couche d’ozone !
— Ah bon. Donc pour lutter contre la pollution, faut qu’on manque d’air quoi ?
— Maryse, on sait bien que ce trou ne te laisse pas indifférente.
— Vous commencez à me faire chier avec vos trous !
Le trou dans la couche d’ozone, le trou de la sécu.
Et mon trou, à moi, ça intéresse qui ? Je m’asseois d’ssus p’être ?

Excusez-moi j’voulais pas être grossière, c’est pas c’que j’voulais dire… .
— T’excuse pas Maryse va, on comprend.
— Robert, tu connais le parcours ?
— Ben, j’ai pas eu trop le temps mais j’connais bien le coin.
Et pour l’orientation vous me connaissez, pas de problème.
— C’est vrai qu’avec toi, on s’est quasiment jamais perdu.
— Avec toute la matière grise embarquée ce serait un comble !
— Et nos cerveaux de profs sont toujours en ébullition !
— C’est pratique en cas d’avalanche, on serait vite repéré avec une caméra thermique !
— Y paraît que par satellite, tu peux facilement repérer les salles de profs, ça forme des points chauds !
— Vous êtes cons.
— C’est vrai ça. Ça explique pourquoi on voit pas les élèves.
— Et en plus vous êtes dégueulasses. Ce qui est sûr, c’est que certains élèves sont bien plus intelligents que certains profs !
— Alors pourquoi ça n’apparaît pas sur les images satellite ?
— Peut-être parce que les élèves sont plus loin du satellite.
— Plus loin ?
— Ben oui, ils sont toujours assis et les profs toujours debouts.
— Tiens, Maryse a souri !
— Oui. C’est vrai qu’entre la couche d’ozone et les satellites,
ta Kangoo ressemble de plus en plus à la navette spatiale Challenger.
— Challenger, Challenger… c’est pas celle qui s’est cassée la gueule ?

Tous pour Maryse

Hier soir, Maryse était très déprimée
Elle est prête à tout laisser tomber.
Même son métier.
Même quitter la fonction publique.
C’est clair, elle est à bout.

Alors avec les collègues, on s’est tous mobilisé.
Quand, comme Maryse, fonctionnaire depuis 25 ans,
t’es indicé 520 majoré 550, t’as pas le droit de flancher.
Tu dois prendre sur toi.

On a décidé de faire un truc pour lui changer les idées.
On a hésité : karaoké ou rando ?
Ce sera rando. Robert va organiser tout ça.
À 12 avec les sacs, deux Kangoo devraient suffire.
J’ai invité Isabelle, une belle prof d’anglais.
Elle m’a ri au nez.
De toute façon, on peut pas discuter avec les indicés 360 majorés 400.

C’est un peu tôt pour un dimanche.
Maryse est de mauvaise humeur.
Elle s’approche de la Kangoo de Robert.
— Mais c’est quoi cette couleur de merde !!
Robert accuse le coup.
Je rappelle à Maryse que tout fonctionnaire est soumis au devoir de réserve.
Et lui précise que la « couleur de merde » est en fait le modèle jaune citron.
Un modèle historique collector et fleuron du parking du collège.
Pierre-Henri, visiblement handicapé par ses chaussures de randonnée,
(un modèle hybride Ski et Sentier) propose à Maryse sa Kangoo Wallas et Gromit récemment acquise.
Quoiqu’il en soit, on ne se moque pas d’une Kangoo.
Même morte.
En tout cas, pas devant un prof.

Je suis un peu gêné pour Robert.
Je l’aime bien Robert.
Robert est agrégé de maths.
À mi-temps.
7,5 heures de cours par semaine.
Et 2000 € net par mois.
Visiblement, y’a pas qu’en maths qu’il a tout compris.
Et heureusement qu’il fait pas 35 heures !
Ça lui ferait 9333 € par mois !
Quel contribuable accepterait de payer un prof à un tel prix ?

Maryse

Maryse est prof d’arts plastiques. C’est une bonne copine.
Son mari est parti avec une jeune prof de maths.
Elle a fait une grosse dépression.
Elle en est sortie complètement déprimée.
Pourtant elle est pas mal Maryse.
Elle devait être belle cette nana.
Quand elle était jolie.
La beauté, çà tient à pas grand-chose parfois.
C’est vrai qu’elle est pas passée loin.
Il suffisait de quoi ? D’un rien.

Elle veut reprendre le dessus.
En s’attaquant aux dessous.
Elle veut se faire remonter les seins.
— Qu’est-ce que t’en penses ?
— C’est ridicule, t’es très bien comme ça.
— Ça s’voit que c’est pas toi qui te trimbales çà toute la journée !
— C’est sûr. Bon, de toute façon c’est quoi le problème ? 20 cm, à tout casser ?
— Pauvre con. Et toi, 20 cm, çà t’fait pas rêver ?
— Oh, le prends pas mal !

Je l’ai accompagné, elle et une copine, acheter des fringues mercredi.
Elle a du mérite, Maryse. Parce que c’est pas le genre à abuser des substituts de repas.

— Et pourquoi t’essaierais pas une p’tite jupe ? Enfin heu… une jupe ?
Elle a essayé.Sympa.
— Wouaaaaa ! T’es super comme ça !! Regarde-toi dans la glace…
Alors ? Attends, recule un peu… qu’on voit bien tout…
T’es pas choupette comme çà ?
— Non, j’suis pas faite pour ces trucs là.
— Mais arrête de te dévaloriser comme ça, bon sang ! Laisse nous faire !
— C’est pas comme ça que j’vais attirer les mecs.
— Maryse, tout le monde a droit à l’amour.
Toi aussi, tu as droit à l’amour.
Du Seigneur.
Non j’déconne.
Mais c’est vrai que t’es toujours négative ! C’est lassant à la fin.
— D’façon, y’a rien qui m’va. Moche comme j’suis…
— Et voilà, c’est reparti. Mais fais en un atout bon dieu !
— Mais comment ?
— J’sais pas moi… heu… laisse moi réfléchir… heu…
— Tu vois bien…
— Bon allez. Sandra, tu l’aides à enlever sa jupe, moi, j’ai du boulot.

Ce serait pour un rendez-vous

Le vrai bonheur de l’enseignant, c’est le pouvoir.
Le pouvoir absolu.
Une des expressions de ce pouvoir, c’est de mettre des punitions.
Et ça j’adore.
Parce que je sais qu’ils détestent ça.
En plus, on a toujours raison.
Ça change de la maison.
Ça m’amuse bien aussi.
En fait, j’punis peu mais je menace souvent de le faire.
Je déploie tout l’arsenal préventif : la menace, l’intimidation, la dissuasion, le chantage.
Ça marche bien.
— Continue comme ça, tu vas en prendre une.
Punition, bien sur.
— Si tu fais ta racaille, j’vais faire mon Sarkozy !
Excellent. En plein dans l’actu.

Certains collègues gèrent les punitions.
En consignant chaque manquement à la règle.
Chaque oubli de matériel, une croix.
Au bout de trois croix, une heure de retenue.
Bing.
Moi je ne gère pas comme ça, c’est direct punition.
Des conjugaisons en général.
Très chargées pédagogiquement.
Exemple : J’amène mes affaires de technologie.
À conjuguer au futur. Les autres temps on s’en fout, c’est trop tard.
Mais j’assure pas vraiment le suivi.
Ou je pratique le négoce.
— J’te punis, mais si tu travailles, je retire la punition.
Ça, ça marche très bien.
On ne vantera jamais assez la magie du chantage…

Mais certains élèves sont insensibles aux punitions.
Comme immunisés.
On sait bien que l’habitude, ça désensibilise.

— Jessy, tu n’y coupes pas, tu feras une heure de retenue !
— Mais m’sieur, c’est pas moi qu’ai dit ça !
— Amène ton cahier de texte et ton carnet de liaison.
— Mais m’sieur, c’est toujours moi, y’en a marre à la fin !
— Allez, dépêche toi et si t’es pas content, tu prends un avocat et tu portes plainte.
— J’amène mon agenda aussi ?
— Oui, si tu veux.
— Parce qu’en fait… Heu… J’suis déjà collé.
— C’est pas grave, on va trouver une date.
— Ben attendez, j’regarde.
Et là, feuilletant son agenda.
— Voyons voir… ben là… ça va pas être trop possible…
— Comment ça ?
Il continue de parcourir son agenda.
— Là non plus…
— Dis, tu veux bien t’depêcher ?
— Je regarde…
Et enfin, posant son doigt sur une page.
— Ah oui, là. J’ai un mercredi de libre.
— Bon, donne moi la date.
— Ben, le 13 mai.
— Le 13 mai ? Mais c’est dans trois mois !
— Je sais, mais j’ai rien avant.
— Bon, va pour le 13 mai.
— Bien, nous disons donc, le 13 mai. À c’moment là, c’que j’vais faire… j’vais prendre vos coordonnées. Vous êtes monsieur ?

La pompe

Pomper : argot scolaire. Copier, tricher en copiant.

Lors des évaluations, je sépare les élèves. La salle le permet.
Le silence est total.
Rien sur les tables, hormis une trousse, une feuille.
Un élève qui parle sans mon autorisation, c’est moins cinq points.
Récidive, moins dix.
Je déambule lentement entre les tables.
Une main se lève.
— J’peux demander du blanc ?
— Qui a du blanc pour Amina ?
— Merci m’sieur.

Depuis un angle de la salle, je scrute.
Je surveille.
J’épie.
Je scanne.
À l’affût de tout mouvement suspect.
Tel le guépard, prêt à jaillir de l’ombre.

Une première gazelle.
C’est Sandra.
Nos regards se sont croisés.
J’ai senti comme une gêne dans le sien.
Mes capteurs d’émotions, alertés, s’orientent vers elle, à la façon d’antennes paraboliques.
Mon détecteur de mensonge clignote.
L’aiguille s’emballe.
L’alerte de niveau trois est déclenchée.
Je m’approche d’elle.
Elle le sait.
— Ça se passe bien, Sandra ?
— Ça va oui.
Devant elle, sa trousse.
Je l’ouvre.
C’est le flagrant délit.
Une pompe longue comme le bras.
Je lis. Tout y est. Toutes les réponses.
Toute la classe nous observe.
Je procède à la comparution immédiate.
— On peut savoir ce que c’est ?
— …
— Tu sais ce qui s’passe dans ces cas là ?
— …
— D’abord zéro, fais voir ta copie.
Et ensuite une punition, que tu feras signer à tes parents. Les deux.

Panique.
Demander la signature des deux parents, c’est sadique.
On sait bien qu’il y a toujours un parent plus cool à qui l’élève s’adresse
lorsqu’il s’agit de signer des documents compromettants.
En procédant ainsi, je m’assure de l’application d’une double peine.
Voire d’une double claque.
Et ça, c’est illégal.
Et ce serait trop facile de sous-traiter aux parents la claque que je ne peux donner moi-même.
Bon, une fois la colère passée, j’lui dirai qu’une seule signature suffit.

L’évaluation se poursuit.
Mon sonar indique une zone de turbulence.
Je me retourne vers Pierre.
Il est tout mignon avec ses p’tites lunettes.
Y peut pas faire un truc comme ça lui.
Je m’avance.
Il s’agite un peu.
Un bout de papier glisse vers le sol.
Pas d’bol. J’l’ai vu.
J’ramasse.
Je lis.

C’est remarquable.
Ils devaient tous apprendre le contenu d’un tableau et Pierre l’a intégralement recopié sur un minuscule bout de papier.
C’est du travail d’orfèvre.
Je suis ébahi par la qualité de sa calligraphie.
L’intégralité d’un format A4 dans un format A10 !
Soit une division par 64 !
Impossible avec une photocopieuse standard.
Une micro-pompe.
Que dire devant une telle prouesse ?

La même chose qu’à Sandra.
Mais la mort dans l’âme.

Maeva

Ma salle est située dans un bâtiment de plain-pied au fond du collège.
Au fond de la salle, une porte vitrée donnant sur une arrière cour, un portail et une route peu fréquentée.
C’est mon coin fumeur.
C’est aussi là que je stocke provisoirement les élèves pénibles, à l’isolement, histoire de les calmer, tout en les surveillant à travers la porte vitrée. Une garde à vue quoi.
Les élèves n’ont pas accès à cet espace, mais la cour étant attenante il arrive que j’en vois débouler un ou deux que je reconduis vocalement à la frontière virtuel.
Dans le coin, à droite de la porte, une grande plante, rosement fleurie.
Souvent, lorsqu’il fait beau, j’ouvre cette porte. Si les gosses ont une activité, je sors. Pas loin évidemment.
— M’sieur, qu’est-ce que vous faites ?
— J’prends l’air. Et j’admire ces fleurs.
— On peut les voir ?
— Non non, vous travaillez. Vous occupez pas de moi.
— Vous nous en donner ?
— Des fleurs ? Si vous voulez.
Je cueille quelques fleurs et j’entre pour les distribuer aux filles.
Elles sont ravies. De vraies p’tites nanas.
— M’sieur, vous êtes le prof le plus sympa.
— Je sais.
Elles les accrochent dans les cheveux, sur les chemisiers.
— Et toi Guillaume, t’en veux pas une ?
— ?!!… Moi ?
— Une p’tite fleur, dans les cheveux… Non ?
— J’suis pas un…
— Et quand bien même ?

La nouvelle s’est vite répandue.
Au cours suivant, les filles m’ont réclamé des fleurs.
Le cours d’après aussi.
Et ça pendant une semaine.
Le vendredi, je fais ma distribution.
Et là, Manon, une excellente élève de 6e me fait remarquer
que la fleur que je distribue est en fait du laurier rose et que sa maman lui a dit que c’était toxique.
J’savais même pas que c’était du laurier rose.
— Toxique ? Non.
— Ben, Maman m’a dit qu’il fallait pas toucher, ni mettre à la bouche.
Sur de moi et un peu moqueur.
— Attends, si c’était toxique, on n’en mettrait pas dans un collège !
Autrement dit, tu nous prends pour des cons ?
Fin de la séance.
Par acquis de conscience, à la récré, j’m’en vais voir Raymond, qui s’occupe de l’entretien des espaces verts.
— Dis Raymond, c’est quoi cette plante derrière ma salle ?
— Derrière ta salle ? Ah oui. C’est du laurier rose.
— Et c’est toxique ça ?
— Ah oui. Attention, fais gaffe avec ça. Si tu vois des élèves y toucher, tu leur fait bien laver les mains parce que si y mettent ça à la bouche…
— Attends, mais c’est pas malin de foutre des plantes comme ça dans un collège !
— On n’en met pas partout, juste dans les coins ou les gamins vont pas.
Et puis ça pousse bien, pas d’entretien, ou très peu, et c’est joli.
Je regagne ma salle et j’fais une recherche sur le web.
« Ne laissez pas les enfants tourner autour du laurier rose, car sa sève est un poison mortel. »
« Le laurier rose est une des plantes les plus dangereuses de nos régions, dont toutes les parties sont toxiques. L’ingestion d’une simple feuille peut s’avérer mortelle pour un adulte, en raison des troubles cardiaques souvent provoqués. »
Putain.
J’ai 250 élèves. Ce qui fait 125 filles. À peu près.
Et je viens de procéder à un empoisonnement massif et sexiste.
125 morts.
Ça fait désordre.
Je risque le blâme.
Faut qu’je vois un prof de SVT.
Ouf, il me rassure.
— Oh, y’en a qui ont peut être eu des p’tits problèmes mais elles ont pas du faire le rapprochement.
Puis, faut une consommation importante quand même.
En tout cas, j’ai pas eu de nouvelles.

Mais quel manque de culture ! De ne pas les connaître !
Bon, à l’avenir, j’évite de faire le prof sympa et d’offrir des fleurs.
Et j’fais un stage chez Jardiland.