
7 – Mon rêve de Mercedes
Ce matin, c’est musée, le musée des ninots, des personnages à taille humaine en carton-pâte, un truc bien local, qui devrait plaire aux gamins.
Moi, du musée, j’ai surtout un souvenir, la nana qui nous a fait la p’tite présentation au début.
Mercedes qu’elle s’appelait. D’ailleurs les p’tits mecs du groupe ont bien percuté aussi.
Ils ont bien compris qu’on avait une bombasse sous les yeux.
Une espagnole comme on l’imagine, comme on la rêve.
Que du noir, les yeux, le regard, les cheveux, les fringues mais putain que c’est beau.
Et pis j’peux bien vous dire que moi, les brunes à cheveux courts, ça m’fait partir à la renverse.
Des garçons sont venus me voir pour partager ça, tin m’sieur, elle est canon la nana, je confirme les jeunes, c’est du rare, de l’exceptionnel, mais soyez plus discrets dans l’regard, ça fait bourrin.
D’ailleurs j’leur ai expliqué vite fait la recette du regard furtif, patiemment élaborée pendant de longues années à la terrasse de tous les bistrots de France et du Berry.
D’ailleurs faut qu’j’vous en parle une prochaine fois, mais bon, c’est très technique quand même.
Et pis j’me suis pris à rêver, pour une nana comme ça, j’suis prêt à tout larguer.
J’m’installe ici, j’trouve un boulot quelconque, cuisinier ou toréador, ou drag-queen, un truc dans mes cordes quoi, j’loue une chambre de bonne, et on se livrerait à une sexualité débridée dans le coffre de sa voiture. Ouais ç’a l’air con, c’est con d’ailleurs, mais c’est son prénom qui m’inspire.
On est comme ça les poètes, avec un p’tit détail, on construit des cathédrales.
Mais bon, du rêve à la réalité y’a qu’un pas, dit-on, et ben là, j’nuancerai, et j’dirai qu’y a deux cons.
Kamel et Grégoire, les deux têtes à claques du groupe, nos hommes-grenouilles, c’est comme ça, quand y’a d’la connerie dans l’air, faut qu’ils respirent bien fort les deux là.
Ils se sont bousculés et ont atterris sur un ninot qu’ils ont consciencieusement pulvérisé.
Dans un musée, putain.
Mercedes a démarré au quart de tour, et le regard noir s’est dirigé vers moi, adulte responsable et attentif, comme si j’y étais pour quelque chose.
Vous pensez bien que tous mes projets sont tombés à l’eau d’un coup, et qu’j’ai bien fait d’pas envoyer ma résiliation de bail.
Le regard noir était en train de virer brasero, j’ai envoyé un gamin chercher la prof d’espagnol, parce que mon espagnolo-franco-anglais, mâtiné d’un fort accent ardécho-bretono-americano-alcoolique, semblait pas la convaincre et que l’espéranto qui en résultait, loin de rapprocher les peuples, aurait pu provoquer la 3e guerre mondiale.
Ou la 4e, j’sais plus, j’tiens pas les comptes en même temps.
Les mamies se sont pointées et j’en ai pris deux valises entières en pleine poire, t’aurais pu les surveiller, tu f’sais quoi, comment on va faire, un truc aussi beau, là j’étais pas d’accord, t’es pire qu’les gamins, c’est pas vrai ça dès qu’y a une nana, et j’en passe.
— Charly vous êtes d’un puéril, c’est à désespérer.
Le directeur du musée s’est approché tout sourire, et nous a expliqué que des gamins, y z’en recevaient toute l’année, que c’était pas la première fois, et qu’en fait y’avait pas d’mal, que c’était une expo didactique pour touriste, et pas le musée du Louvre, et que Mercedes venait d’arriver, en rodage quoi, et qu’il s’en foutait, ce qu’on s’est empressé de faire aussi.
Adieu Mercedes, tu ne connaîtras donc jamais mes talents de pilote.
J’ai juste dit aux mamies :
— Oh, vous nous faites visiter des merdes maint’nant ?
Elles ont juste dit :
— T’es tellement immature mon pauvre Charly, qu’on va rajouter ton nom à la liste d’élèves.
Du coup, on s’retrouve à cinquante et un.
À suivre…