Bourzig fait le con

Pendant les évaluations, vous le savez, je sépare les élèves, un par table, et bien souvent, si l’un d’entre-eux n’a pas de place, je lui confie mon bureau.

Inutile de vous préciser qu’au début de l’année, lorsque j’ai annoncé aux 6e4, qu’il était possible de s’installer à MA place, sur MON fauteuil, ils furent incrédules et crurent à une plaisanterie.

C’est pas mon genre.

Alors évidemment, vous imaginez sans peine la fierté du 6e4 qui se voit octroyer une telle faveur, être vizir à la place du vizir, et se rendant jusqu’à l’autel où j’officie d’ordinaire, sous les regards admiratifs et envieux.

Et ce matin, c’était Bourzig.

Et pour un redoublant comme Bourzig, une telle faveur c’est une forme de reconnaissance, que dis-je, la validation des acquis, une nomination au mérite agricole, le César du meilleur décor.

Ainsi ce dernier rejoignit l’autel sous les ovations des 6e4 qui exprimaient ainsi la joie de voir leur Bourzig enfin reconnu à travers ce geste hautement symbolique : poser son popotin en lieu et place de celui de monsieur Le Prof, sur le trône, et faire grincer plus qu’à son tour les mélodieux ressorts de sa structure.

Mais bon, tout Bourzig qu’on est, et on ne se refait pas, on ne peut s’empêcher de faire un peu le con, la place s’y prête, je vous l’assure.

J’avais laissé aux gamins quelques minutes pour préparer leur copie, et s’échanger quelques informations précieuses, et je faisais mine de regarder par la fenêtre. En fait, j’observais discrètement sur cette dernière le reflet de Bourzig, installé sur le trône, qui se croyant à l’abri de mon regard s’en donnait à cœur joie, mais en silence. Et c’est ainsi qu’ayant le dos tourné, je sentais la classe secouée par moment de fous rires contenus dont il était l’épicentre.

Il fit mine tout d’abord de fouiller ma trousse et prenait l’air de m’imiter en fronçant les sourcils, adoptant des mimiques peu flatteuses à mon endroit mais assez réalistes je dois dire. Quelques fous rires ponctuaient sa prestation, et je demandais le calme, mais sans me retourner.

J’avoue que lorsque je le vis dessiner dans l’air devant lui un bedon supposé être le mien, je ressenti comme un malaise, et décidai qu’il paierait cet affront tôt ou tard. Puis il se gratta nerveusement la tête simulant mes interrogations intenses et fit mine d’engueuler lambda avec une tête si monstrueuse, si déformée par mes colères supposées, que je compris que l’on venait de quitter le simple pastiche pour la plus vile des caricatures, mais je ne pus m’empêcher de sourire, car je n’étais pas mécontent de découvrir le talent comique de mon Bourzig.

Puis, suite à la suggestion très discrète de Trapugne, en langage des signes, de chercher les réponses au contrôle, il entreprit des recherches, tout en jetant des coups d’œil rapides dans ma direction afin de s’assurer que j’étais toujours absorbé par la contemplation de la nature environnante. Il souleva la couverture du cahier de texte, puis celle du cahier d’appel, d’où il sortit le trombinoscope de la classe, qu’il exhiba tel un trophée à l’auditoire subjugué.

Oh ben dis donc alors.

Toujours à la recherche des réponses perdues, qu’il serait bien en peine de trouver, car je n’avais pas encore rédigé les questions, et toujours en m’épiant du coin de l’œil, il se leva et jeta un coup d’œil dans mon cartable, et je fus sur le point d’intervenir. Mais je décidai de ne pas réagir et de laisser à mon Bourzig ce quart d’heure de gloire de trois minutes, et vous allez comprendre, avant qu’il n’attaqua comme tous les autres le contrôle, qui serait pour lui l’occasion de retrouver un relatif anonymat, et d’imiter tour à tour et en vrac : le penseur de Rodin, le chien à l’arrêt, l’huître au repos, la moule contemplative, et j’en passe. Imitations moins glorieuses mais qu’il réussissait parfaitement.

Se penchant sur mon cartable, il eut soudain un mouvement de recul, en découvrant le contenu, et par quelques gestes affolés, il fit comprendre à l’assemblée qu’il venait de voir un truc extraordinaire. Et d’ailleurs, mesurant sans doute le risque de sa découverte, et d’avoir enfreint mon espace privatif, il se rassit illico et embarrassé jusqu’aux oreilles, il demanda une feuille pour son contrôle.

Je me retournai :
— On peut savoir ce que tu fabriques Bourzig ???
Son visage prit une teinte rosée, son regard balayant le plancher, car procédure de flagrant délit oblige, il sentit que la grêle de mon courroux allait s’abattre sur le toit de sa bêtise.

Mais il sut réagir grâce à une habile diversion :
— Heu… m’sieur, c’est le contrôle numéro combien ???

Prends-moi pour un con Bourzig.

— Le neuf.

Mais qu’avait donc vu Bourzig dans mon cartable pour qu’il réagisse de la sorte ??

Et bien tout simplement des os humains.
Un humérus, un cubitus, un radius.
En plastique bien sûr.
Dont Christophe m’avait demandé de réparer la liaison, et que je traînais dans mon cartable depuis quelques jours déjà, puisqu’étant bien incapable de réparer quoi que ce soit.
Mais je me gardais bien de préciser tout ça à mon Bourzig, car l’image d’un prof sanguinaire dépeçant ses victimes et baladant leurs os dans son attaché case ne pouvait qu’asseoir mon autorité.

Voilà, et puis ça t’apprendra Bourzig, pour le bedon.
Pasque bon, faut quand même pas exagérer, de quoi parle-t-on, d’un coussinet tout au plus.

32 réflexions sur "Bourzig fait le con"

  1. Pas mal. Mais je pourrais mettre le même commentaires pour tous les autres articles ;)

  2. Je reste dans l’ombre depuis bien longtemps, à savourer ton blog article par article, et je me décide enfin à poster un commentaire !

    Vraiment, j’adore la façon que tu as de raconter tes histoires, et je ne peux que me souvenir de mes propres cours de Techno au collège…
    En 7 ou 8 ans, rien n’as changé !

    Continu comme ça, c’est génial.
    Et si un jour (Qui sait ?) je deviens prof, je sais à qui je viendrai demander conseil !

  3. Excellent !!!! Merci pour le truc des os !

    On peut améliorer l’arnaque en prévoyant le coup pour la fois suivante : un peu de ketchup séché sur le bout de l’humérus, et hop, vomissements colletifs garantis !

    Et là, c’est la fête à Bibi ;-)

  4. excellent !!! sont-ils bêtes quand même, ces mômes, convaincus que qd on a le dos tourné on n’entend plus rien…. En plus toi tu pousses le vice jusqu’à utiliser la fenêtre : les pauvres, ils n’ont aucune chance ! Je plains Bourzig et les cauchemars qu’il va faire.. raconte nous ta prochaine séance de 6ème 4, qd tte la classe sera au courant de tes coutumes macabres…

  5. A mon avis… les os, c’est des vrais, hein ?

    Les os, en fait, c’est des vrais, c’est ceux d’Isabelle, dont tu ne parles plus…
    J’ai bon, hein ?

  6. Je sais, je fais la maligne, n’empêche que c’est plus dans le sac des profs qu’il faut fouiller passé la 3° … c’est plutôt côté élèves, jeunes, fougueux, futurs reproducteurs quoi … parce que, hélas pour eux, parfois, ça tombe du sac ! le sac est traître parfois oui oui … ne parlons pas du carnet de liaison … qui crée des liens … ha jeunesse !

  7. Mon dieu ! John Ross !

    Dis, Charly, avoue que toi aussi tu regardes les rediffs de Dallas sur Vivolta, et que la vérité, brute, c’est que tu t’inspires de JR ? Hein ?

    Paske le coup de la glace, il était dans l’épisode 223 !! Et Bourzig qu’a pas le cable, j’suis sure !

    Dis, les nonos, c’est pas ceux de Lucy, hein, au moins ??

  8. Poste à profil

    Vraiment très sympa, ton blog (suis grande fan de la série « un prof peut-il..?), mais pourquoi, ô oui pourquoi nous imposer cet affreux avatar (qui change en plus, il me semble, de temps en temps, mais reste toujours hideux..)?

  9. Tu croyais que j’étais en maladie Charly? Ben non tu vois; Chuis encore là et bien plantée sur mes deux jambes (t’as pas intérêt à rajouter quelque chose!)je voulais juste éclairer tes lecteurs sur le contenu de ce que tu as la prétention d’appeler ton cartable, que t’as pas intérêt à l’oublier devant le collège le soir en sortant because le lendemain matin dès potron minet, les boueux en videraient le contenu dans leur camion. Alors oyez oyez braves gens le contenu de la poub.. pardon du cartable à Monsieur Charly (et c’est la même chose pour Cricri) :en dehors d’un paquet de copies corrigées tachées de café et brulées par la cigarette : une heineken, une reste de sandwich aux rillettes, une boite de camembert vide mais encore auréolée de son parfum,un string de femme taille 38 (encore une stagiaire IUFM je parie),2 préservatifs (ça en fait au moins un de trop,et je te ferai pas l’injure de terminer par un raton laveur car tu comprendrais pas l’allusion…

    A bientôt Charly, mais non je t’en veux pas!

  10. Je ne sais pas pourquoi, j’ai imaginé que c’était une revue pour adultes (hi hi) glissée par Christophe dans ton cartable pour te faire une farce !

    Toujours très drôle … Charly ! Tout ce que peut imaginer un gamin avec tes os … Il s’est auto-calmé je pense !

    Toujours excellent et moi aussi, une vraie jubilation à te lire !

    Grosse bise.
    (Tu as un p’tit bedon ? Vrai ? Faut corriger ça avant l’été ! Cesse de traîner sur les blogs culinaires Charly ! et de chercher les vins qui vont bien avec ce que tu y vois ! )

    ;-) Je t’adore !

  11. T’as réputation de prof-tueur vas être mise sur les rails de ton collège. Plus rien ne pourra l’arrêter… Tes 6°4 vont se sentir comme les héros des bouquins de littérature de jeunesse qui relatent l’histoire d’ados curieux et imaginatifs qui enquêtent sur le voisin qui sors de son garage avec les mains rouge sang.
    Tu vas avoir le calme dans ta classe et l’inspection à tes trousses. Bon courage.

  12. Tati quand elle passe,… c’est pas pour rien !
    Sauf qu’à l’argus, ta côte est descendue… à moins que la fille de la mère Denis soit intéressée ??!!…

  13. Rôôôôô Charly, dommage qu’ il ne soit pas marqué sur chaque os son origine du style: « élève X 5e3 2002 », « élève Y 6e2 2004″… Etc, tu te rends comme le Bourzig la trouille de sa vie il aurait eu!
    T’ es fétichiste quand-même. Les os d’ une ancienne belle-mère?

    Dis donc la Tati se moque un peu beaucoup avec son allusion à l’ inventaire de Prévert que tu ne connaîtrais pas d’ après elle.
    Elle est jalouse hein, tu la délaisses, et vlan, ces filles, faut toujours qu’ elles se vengent, mais nous ne sommes pas dupes!

    La seule fois de ma vie qu’ un professeur m’ a installée par surprise à son bureau sur estrade et que j’ ai posé mon séant sur le saint siège, je suis restée figée, immobilisée, pétrifiée. Je devais avoir 13-14 ans, je devais donner les résultats d’ un exposé fait à la maison, je ne voulais pas lire ma fiche idiotement alors je me suis appliquée à ne travailler que de mémoire sans presque jamais regarder mes fiches.
    Ma voix était tremblotante, ma respiration saccadée, tous les yeux convergaient vers moi, c’ est horrible d’ être scrutée sans être écoutée. Visiblement mes résultats n’ intéressait pas l’ auditoire, seulement la prof… Car à la fin la professeur m’ a complimentée alors que les élèves ont émis en sourdine beaucoup de réserves… Ah! les traîtres! Les faux amis!
    C’ est la seule bonne note de ma vie pour laquelle je garde un bien amer souvenir!!!

    Bisous Charly, grâce à toi je régresse souvent!!!

  14. Dis donc Nandou ?…t’en fais pas partie de « ces filles »… à moins que tu ne sois hermaphrodite ?

  15. Et alors Tati, pas la peine de te moquer de Charly qui ne s’ y connait pas en origine de raton laveur alors que toi que tu n’ y entraves rien dans le nandou!

    Allé, ouvre ton dico si t’ en as un et si tu connais ton alphabet, et toc! ça t’ apprendra!
    Et plus vite que ça!

    Allé Charly, pointe lui un beau 0 à la Tati!

  16. bravo!

    merci pour cet article fort bien écrit! On s’y croirait presque! moi aussi j’en compte des Bourzigue parmi mes élèves…
    Bonne journée

  17. Nandou

    nom masculin ( du guarani)
    Gros oiseau ratite des pampas d’Amérique du Sud au plumage brun, aux ailes invisibles sous les plumes, aux pattes à trois doigts.

    … ça dit pas si c’est dupe ou pas ???… avec trois doigts, ça se peut !!

    et re-toc !

  18. Bon, allé Charly, on va être cool, on va lui mettre une meilleure note et une meilleure appréciation, faudrait pas que sa maman la punisse un samedi jour qu’ elle se fait belle pour aller danser.

    Pour Mamzelle Tati:

    1/20 — En progrès

  19. Excellent, cet article! Je suis morte de rire toute seule devant mon écran…
    En tout cas, je te trouve d’une placidité admirable (personnellement, j’ai tendance à exécutrer le suspect sans sommation. Et oui, ma méthode d’enseignement est le terrorisme. Mais on rigole aussi quand même. Des fois.)
    En tout cas, j’ai hâte de lire la suite des tribulations de la 6ème4!!!!!

  20. fais gaffe

    qu’y t’balance pas aux flics ou au principal le Bourzig ! La fouille de cartable, pour les os, bon, mais pour le reste …

  21. Bon sang on s’y croirait, on aurait envie d’etre une petite souris pour se glisser dans ta classe et observer de plus près le phénomène 6ème4!

  22. Ca me rapelle les os de mon prof de techno au collège, j’ai du les perdre dans un coin, après lui avoir enlevé, punition méritée pour avoir dis des âneries dans mon club TurboPascal.

  23. y’a pas k’la fenêtre..

    tout ce qui a des reflets est bon, une belle porte laquée bleue vif par exemple, c’est bien aussi.. celle où Zigoto 1er de 6ème6 c’est fait pécho la semaine dernière en train de me tirer la langue tout en se mettant deux doigts dans le nez.. je me demande ce que j’ai préféré: lui faire conjuguer le verbe se taire (! yes!!) où bien voir la tête des deux Petits Mignons qui se sont rendus comptent de la manœuvre , et qui savent donc un peu comment j’ai des yeux derrière la tête, comme je l’ai prétendu.. (mais ils n’ont rien dit.)

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