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Un argument imparable mais paré

Je me dois de vous informer d’un drame vécu chaque jour par bon nombre d’entre nous, pauvres enseignants que nous sommes, fourbus par notre labeur quotidien (les jours où on travaille en tout cas), et ce toute l’année (les mois où on travaille en tout cas), pendant toute une vie (une vie assez pépère et paisible en fin de compte), et que si je choppe celui qui met des parenthèses après tout c’que je dis, y va finir par s’en prendre une !

Car il s’agit bien là d’un véritable drame, un fléau devrais-je écrire, qui nous laisse pantois à chaque fois (n’exagère pas quand même).
Bon, c’est bien les préliminaires, mais si on passait à l’acte ?

Amorçons la pompe par ce court dialogue entre Hachemi, élève de 4e, grossier, menteur, faul-cul, tricheur, moche en plus, et moi : tout l’inverse.
— Hachemi, tu sors ton classeur s’il te plaît ?
— Ben, je l’ai pas m’sieur.
— Ah bon, et on peut savoir pourquoi ?
— Heu… et ben… on me l’a volé m’sieur !

Voilà.
Ce fléau, ce drame, cette infamie, cette épouvante, c’est le vol de classeurs de techno.
C’est terrible.

Et à chaque fois je me retiens de serrer dans mes bras la victime d’un acte aussi ignoble, contenant difficilement mon émotion et par la même occasion, quelques larmes pressées de ruisseler sur mon beau visage buriné.
Né.

Parce qu’il faut le savoir, il s’agit la d’un véritable marché occulte de type mafieux.
Il semblerait que l’on ait affaire à un vaste trafic international de classeurs de techno à destination de l’Afrique dont la plaque tournante serait mon petit collège.
Si.
C’est à peine croyable.

Et comme d’habitude, ce sont les petits pays en voie de développement, ceux qui peinent tant à subsister, qui se voient refourguer ces classeurs de contrebande de piètres qualité, et dont certains, et c’est à peine croyable, sont coupés avec des classeurs de SVT.
Bon, si encore les classeurs volés étaient bien tenus, propres, classés, mais celui d’Hachemi ?
Que va faire ce petit africain affamé quand il va l’ouvrir (le classeur) et qu’il ne verra rien ? Pas une feuille, pas une intercalaire, pas une pochette plastique, rien, nib, que dalle, nada ?

Fin du dialogue :
— C’est ça, prends moi pour un imbécile. Bon, tu as une semaine pour le refaire, sinon je t’occupe un mercredi après midi et moi, de mon coté, je lance un avis de recherche international.
J’sais pas vous, mais moi, j’aime pas trop qu’on me prenne pour un con.

Mais j’admets toutefois, à sa décharge, que parfois, la confusion est possible.

Dernière minute : ce matin, une élève de 4e dont j’attends un dossier depuis quelques semaines, est venue me voir :
— M’sieur, le dossier, j’ai pas pu, j’ai pas d’ordinateur à la maison et pis… mon oncle est mort… en plus.
— Mais dis moi, ça fait combien d’oncles que tu perds depuis le début de l’année ?
— Ben, heu… là c’est vrai…
— D’après mes calculs, on en est à dix sept, c’est terrible ça, comment fais-tu pour tenir le choc ?
— Ben…
C’est vrai que c’est pas humain un truc pareil.
En tout cas moi, tous ces morts, à chaque fois, ça m’fait le même effet.

Ça me brise le cœur.

Les moineaux et ceux qui les couvent

J’ai eu des enfants handicapés dans mes cours.

Ils sont là le plus souvent en raison de la combativité des parents qui veulent à tout prix que leur gosse soit comme les autres.

Rémy avait une maladie génétique, des malformations au visage, au niveau du cœur.
Les élèves de la classe ont été bien préparés à son arrivée mais ont eu des difficultés à s’en approcher.

J’ai appris par la principale-adjointe qui venait de rencontrer les parents, que le moineau était condamné et qu’il le savait.
On apprend des trucs, comme ça, au détour d’un couloir, mais on sait pas trop quoi en faire.
J’ai traversé la cour, ou ça sautille dans tous les sens, ça crie, ça rigole et moi, j’avais de la mort dans la tête.
J’ai cherché le moineau. Il était seul, et jetait des cailloux contre un mur, cool, comme ça, distraitement.
Je lui ai proposé de rejoindre les autres et de s’amuser avec eux.
Il a refusé.

Rémy avait de vraies capacités mais était pour le moins un peu fainéant.
Donc je le punissais, et son père que j’avais croisé un soir à la sortie du collège m’en était reconnaissant.
Il était content que je punisse son fils, comme ça, ça faisait de lui un gamin comme les autres.
La reconnaissance passe par des voies parfois.

Je voudrai vous en dire plus, mais je peux pas.
Vraiment, je peux pas.

Mon deuxième moineau était paraplégique. Un super gamin, une pêche incroyable.
Pierre.
Un surveillant venait à chaque fin de cours pour le déplacer d’une classe à l’autre, un bon élève et plein d’humour.
D’ailleurs souvent il me vannait. Mais je me gardais bien de réagir. J’avais tort d’ailleurs.

Mais le souvenir que j’ai, c’était lors d’une sortie, dont le but était de leur faire planter un arbre.
Pour les parents, il était hors de question que Pierre n’en soit pas.
Son père a pris un congé d’une après midi et a transporté Pierre dans son véhicule aménagé, en suivant le bus.

Arrivés sur place, nous devions grimper sur des talus, passer dans les bois, crapahuter quoi.
Son père a sorti une sorte de chaise portable, il a assis Pierre dessus, l’a sanglé et a fixé le tout sur son dos.
Pierre devait faire 40 kg. Et le père nous a suivi toute l’après midi, il était en nage.
En nage.

J’ai proposé de le remplacer.
Mais il n’en était pas question m’a t’il répondu en souriant, d’ailleurs il a souri toute l’après midi.
Pierre sur son trône a fait le con tout le temps.
Et ç’a duré trois heures.

À la fin de l’expédition, son père épuisé, a installé son gamin dans sa voiture, s’est changé discrètement, et nous a rejoint.
Il était pleinement satisfait de cette sortie et n’a fait que parler de ça, alors que moi, j’étais soufflé par ce que j’avais vu.
Et il souriait encore.

J’avais envisagé de faire un cours sur les connards, faudrait que je songe à en faire un sur les gens bien.

Ouais.
Faut qu’j’y pense.

Un jeune, faut qu'ça jeûne

Y’a des privilégiés chez nous.
Ben ouais.
J’aime pas cafter, mais là, j’suis obligé.
J’en ai parlé avec Christophe et il est d’accord, faut tout dire.
Même le reste.

Vous avez remarqué qu’y a des jeunes partout, à la télé par exemple, y sont tous jeunes et beaux (sauf Pujadas), au ciné pareil (sauf Roland Bacri), et dans les pubs itou.
Ben ça c’est du jeunisme.

Et à la télé, même dans les pubs pour les obsèques, et ben les vieilles qu’y nous montrent, et ben j’peux vous dire, c’est quand elles veulent les mamies : j’arrive !
C’est rien qu’des canons.
Mais nous avec Christophe, on l’savait pas ça.
Et donc maintenant, on va aller draguer dans les maisons de retraite.
On commence demain.

Mais chez nous, le jeunisme passera pas.
D’ailleurs y pourrait pas.
Parce que nous les profs, on est des rebelles, et rien qu’pour faire chier tout le monde, on fait tout l’contraire : tout pour les vieux.
Et en plus, on vous emmerde.

Dehors, quand un jeune arrive, on lui file un boulot simple au début, pis on complique, comme un apprentissage quoi.
C’est logique d’ailleurs, enfin, c’est c’que vous pensez, mais c’est parce que vous êtes vraiment des cons.
Parce que chez nous, un jeune qui s’pointe, on l’fout direct dans la merde.
Et on sait c’qu’on fait, parce qu’on est pas des cons.
Nous.

D’entrée on te le fout dans une bonne vieille ZEP de derrière les fagots (avant qu’ils brûlent), et avec un tout petit salaire, pour qu’il en bave bien.
Voyez.

Ben oui.
Vous l’saviez pas, ça m’étonne pas, mais nous si.
Quand j’vous disais qu’on est pas des cons.

Vous allez me dire :
— Et vous, monsieur le prof, ou vous situez-vous dans tout ça ? Jeune ou vieux ?
Ben avec Christophe, on est pile poil au milieu.
Christophe, bien pile poil au milieu, et moi, un peu à coté, mais juste un peu, mais pas trop.
Mais quand même.

Et pis ces jeunes, y faut les comprendre, toutes ces Kangoo sur le parking, ça les fait rêver.
Encore dix ans avant de parader dans une Kangoo Wallace et Gromit, ça fout les j’tons.
C’est pas humain un truc pareil.

En plus, y z’ont plein d’idées, y connaissent les programmes par cœur, les nouveaux en plus, y maîtrisent l’informatique.
Donc y devraient gagner deux fois plus.
Ben non, y gagnent deux fois moins.
Et si vous trouvez ça pas très normal, c’est qu’vous êtes vraiment des sacrés cons.

J’peux vous dire.

Un p’tit tour de trotti ?

Depuis la rentrée 2005, un nouveau programme de technologie est proposé aux élèves de 6e.
Un thème, les transports, décliné en cinq points : les énergies, les matériaux, l’évolution des transports, une fabrication et l’étude du fonctionnement d »un ou deux moyens de transport.
C’est là où je voulais en venir.

Mon collège a reçu une dotation pour acquérir deux moyens transport.
Rassurez vous, pas d’avion cargo ou de palace flottant, mais des trucs simples.
J’ai choisi un vélo et une trottinette électrique dont on va analyser en cours le fonctionnement en détail (enfin, pas trop de détails quand même).

Bon, le vélo on s’en fout, mais la trottinette électrique c’est bien rigolo.
C’est une vraie de vraie et vous pensez bien que je l’ai testée à fond dans la salle, entre les bureaux, et que c’est bien poilant.
Bon, les gamins se chamaillent pour en faire, mais tintin, c’est moi qui fais les démonstrations.
Y s’croient où eux.

Mais ça va pas assez vite.
Alors avec Christophe on a étudié le truc, on a déposé le moteur et on a monté à la place un 1200 W.
Putain, j’peux vous dire qu’ça vionze.

On a été voir tati, puisque les chefs étaient partis à une réunion de chefs, et on a déboulé dans les bureaux avec.
À fond.

— Mais qu’est-ce que vous foutez ?
— Ben, on vient te montrer la trotti, on l’a trafiqué, tu veux l’essayer ?
— Vous êtes vraiment cons tous les deux, on a qu’ça à foutre peut être.
— Allez tati, ça nous ferait plaisir, tu la baptises comme ça.
— Mais votre truc, ça tiendra jamais.
— Pourquoi t’es méchante comme ça ? C’est vrai quoi, nous on t’aime, et toi tu nous méprises.
— Bon allez, faites voir votre truc.

On lui montre pour l’accélérateur et le frein, et elle démarre dans le couloir.
Elle va tout doucement au début, nous avec Christophe, on est très sérieux, parce qu’on attend qu’elle se casse la gueule.
Elle revient et nous dit que ça lui rappelle quand elle était jeune, et on lui dit de refaire un tour mais plus vite, qu’y a aucun risque.
Et elle repart en mettant la gomme.
Elle arrive au bout du couloir, au taquet, et là, la porte au bout du couloir s’ouvre, et y’a le chef qui apparaît.
Et y s’la prend en pleine poire.

Une tati lancée à cette vitesse c’est une énergie cinétique considérable.
Donc l’autre part à la renverse et se retrouve sur les fesses avec tati dans les bras dans une position que j’ose pas décrire sous peine d’être obligé de fermer ce blog.
En plus avec la trottinette, c’est limite sado maso leur truc.

On arrive en courant.
— Oh, y’a pas de mal ?
— Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ?!?!
— Mais vous avez pas une réunion vous ?
— Mais de quoi j’me mêle ?
— Ben nous on dit ça, c’est pour vous.
— C’est votre secrétaire, elle voulait essayer la trottinette.
— Mais qu’est-ce que tu racontes toi ? Ça va pas non ?
— Ah ça messieurs, vous m’la copierez !

J’aide le chef à se relever mais y veut pas :
— Ah pis lâchez moi vous !

Tati se tient le mollet et elle fait « ouillouillouillouille ».
— Ça va aller tati ?
— Tu parles d’une paire de couillons ces deux là, mais bien sûr qu’j’ai mal !
Elle a peut-être quelque chose de cassé, alors je lui masse le mollet mais comme il est bien charnu, j’trouve pas l’os :
— Tati, j’sens pas l’os.
— Et celle la, tu veux la sentir !
— Ben t’énerve pas, je cherche.

Christophe constate avec effroi les dégâts de la trotti et fait un bilan concis mais explicite :
— Tin l’autre, elle nous l’a tout pété !

— Alors messieurs ? Votre explication ?
— Ben, on voulait faire un test pleine charge pour la sécurité des élèves et…
— Vous m’prenez pour une buse ?
— Une buse ? C’est quoi ça ?
— Allez, j’en ai assez entendu, on règlera ça plus tard !

Tati se relève, boitille et le chef l’aide à marcher jusqu’à son bureau.

On s’en va avec Christophe, tristes pour tati, mais pas trop quand même, juste un peu quoi, et on arrive sous le préau.
— Tin, on en a pour deux jours à réparer la trotti.
— Ça t’a fait des choses de lui tripoter le mollet à tati ?
— Ben un peu quand même.
— Dis donc, heureusement qu’elle avait pas mal au cul.

Le chef passe à coté de nous.
Alors je regarde le plafond, Christophe regarde le plafond, je regarde mes chaussures, Christophe regarde mes chaussures, on se regarde, et là on se prend un…
— Ça va pas s’passer comme ça messieurs !

Tin, comme y nous méprise çui-la !

Notre réserve naturelle

Le devoir de réserve.

Il était temps d’aborder sur ce glob cet aspect méconnu de notre métier
Un aspect que l’on retrouve dans toute la fonction publique, mais aussi, sous différentes formes dans le privé.
Nota : à l’attention de tous les collègues, qui sont passés directement de leurs études à l’enseignement, j’expliquerai prochainement ce qu’est le privé, une entreprise, un licenciement, avec des vidéos, des petites activités ludiques, des simulations 3D, et peut être bien une visite sur site, mais là, seulement pour ceux qui ont un mental fort.
Parce que ben, c’est pas joli joli.

Mais revenons en au DR.
Et là je pense particulièrement aux jeunes enseignants, qui ne sont pas informés du devoir de réserve.
Nota : j’ai lu à plusieurs reprises sur des globs « droit de réserve ».
Attention ! Le devoir de réserve ne constitue en aucun cas un droit !

Mais revenons en au DR.
Imaginons une jeune enseignante en arts plastiques, fraîchement moulue (et bien moulée de préférence), affectée dans une ZEP chatoyante.
Elle avait l’habitude lors de soirées étudiantes, de pratiquer entre amis des strip-teases débridés, se laissant largement tripoter par les 3e année.
Et ben elle peut pu.

Depuis son intégration dans la fonction publique, elle est soumise au devoir de réserve et devra donc conserver son string.
Ça fait un choc, c’est sûr, car on ne change pas comme ça de vieilles habitudes.
Et encore, elle a de la chance, parce que pour une principale-adjointe, c’est string et soutif.
Car en effet, plus on grimpe dans la hiérarchie, plus les contraintes sont fortes.
Ainsi, un ministre devra rester totalement habillé.
Autant vous dire qu’inviter un ministre à une soirée strip-tease, c’est pas marrant du tout.
Une principale-adjointe non plus d’ailleurs.

Retrouvons maintenant notre jeune enseignante en arts plastiques, avec des amis, tranquille, à la chasse au sanglier.
Elle papote, sereine, entre deux salves de chevrotines 12 grains, lorsque excédée par ses ratages successifs, elle s’exclame :
— Ah putain ! Ce s… , quel connard !
Ça peut arriver.
Ses collègues, fort justement, lui font remarquer qu’elle est agent de l’état et donc soumise au DR et qu’elle vient de faire fuir un sanglier de 80 kg.
Elle devra donc reformuler son propos de la façon suivante :
— Oh pétard, ce s… , y’a des fois, il est pas gentil quand même.
Ou mieux :
— Oh parbleu ! Ce s… , des fois quand même, alors.

Et les situations sont nombreuses ou cette jeune enseignante devra surveiller et contenir sa fougueuse jeunesse.
Par exemple, si elle pense que son chef est complètement con, qu’il évacue tous les problèmes d’un revers de main, qu’il est incompétent, désagréable et
gros en plus, elle peut pas le dire.
Au chef oui, mais lui, il le sait déjà, y s’en fout
Et pis bon, c’est pas bien de cafter.
On remarquera au passage, que si son chef pense la même chose d’elle (sauf le poids), il peut encore moins le dire, puisqu’il est chef.
Et moins dire que dire, j’vous dis pas.

Et la politique ?
Bien sûr, vous pouvez afficher vos opinions politiques mais en prenant soin de les diluer subtilement.
Le tout étant de bien respecter la parité, comme ceci par exemple :
« Je vote à gauche, non pas par convictions, idéal ou je n’sais quoi, mais parce que je suis de droite, un vrai libéral quoi, et que j’pense qu’à mon intérêt. »
Voilà.
Comme ça, tout le monde est servi, et donc, normalement, il ne devrait pas y avoir de problèmes.

Normalement.

Y'a pas l'feu

Dans chaque établissement scolaire, en tout cas les collèges, et pour la sécurité de tous, on procède à des alertes incendie.
Il s’agit de simulations d’évacuation impromptues décidées par le chef d’établissement. Lorsque l’alarme retentit, nous devons faire sortir les élèves, dans le calme, ceux ci laissant leurs affaires sur place, et les mener jusqu’à une zone de sécurité située à distance des bâtiments. L’enseignant doit impérativement prendre avec lui le cahier d’appel afin de s’assurer, lorsque les élèves sont en sécurité, de la présence de tous.
Il arrive lors de certaines alertes, que certains malfaisants profitent de l’aubaine pour voler tout ce qu’ils peuvent dans les classes.
Comme des malpolis.

Lors de la dernière alerte, les élèves me font remarquer qu’on entend l’alarme et qu’il serait bien que je m’en préoccupe.
Je vais dans le couloir, j’entends en effet l’alarme, mais pour être sûr, j’appelle tati depuis mon téléphone de salle.
— Non, on dansait un rock et on est tombé sur l’alarme par hasard, ducon.
Merci tati.

Donc y’a alerte.
Je fais sortir les gamins (des 6e) par la porte du fond, on rejoint la cour et y’a déjà pas mal de classes qui sont en zone sécurité.
Je dirige mon troupeau vers le salut en essayant quand même de les faire ranger par deux, vu qu’il y a des collègues et qu’un semblant d’autorité ne nuirait pas à ma réputation.
Mais penses tu.

On est encore loin de la zone car ma salle est au fond de la cour.
Deux élèves m’interpellent :
— M’sieur, nous on a laissé nos mp3, et si y’a des vols ?
— Ouais… heu… bon allez les chercher vite fait.
Les voilà partis en galopant.
Du coup deux autres font la remarque mais cette fois ci concernant une raquette de ping pong et une somme d’argent destinée à un bouquin d’anglais.
— Bon allez y mais grouillez vous.
Et ainsi de suite.

Je suis donc arrivé en zone sécurité avec deux élèves sur vingt quatre.
Ça fait désordre
Christophe n’a pas manqué de le remarquer :
— T’as gardé qu’les meilleurs ?
— J’t’emmerde.
Tout le collège est là, chaque prof devant ses élèves, procédant à l’appel, et moi devant mes deux gugusses, je fais pareil.
Le principal s’amène avec la principale-adjointe pour observer les résultats de la manip.
Du coup je plonge bien profond dans le cahier d’appel, espérant passer inaperçu tandis que Christophe fait remarquer que j’ai beaucoup d’absents.
Espèce d’enfoiré.
— Monsieur le prof, ou sont vos élèves ?
— Ben… avec les vols… certains sont retournés…
— Donc vous avez laissé une vingtaine d’élèves dans les flammes !
Comme il y va l’principal. Comment qu’y s’prend au jeu lui !
— Ben non… en fait…
Mes vingt gamins arrivent dans un boucan d’enfer, traversent la cour en vionzant, parce qu’un élève de 6e se déplace toujours en courant, c’est à ça qu’on le reconnaît, et se placent dans un bordel immonde devant moi.
Je leur suggère de se mettre en rang, que ça aurait plus de gueule, mais j’t’en foutrais ouais.
Je fais mine de les engueuler mais ils me rappellent fort à propos qu’ils avaient mon accord.
Je les en remercie vivement et leur propose d’en débattre ultérieurement.
Et à ce moment précis, une élève, Fanny, s’approche de moi et me tend ma veste.
— Voilà m’sieur, j’ai bien pensé à prendre votre veste, comme vous l’avez demandé.
Oh quelle est gentille ! La brave petite ! C’est ti pas sympa ça ? Une crème d’élève cette gosse.
— Parce qu’en plus, vous envoyez au feu une élève pour récupérer vos affaires, mais c’est insensé !

Je vois Christophe ricaner ainsi que l’ensemble des collègues et les mamies bien sûr qui n’en demandaient pas tant.
Je pars dans de vagues explications minables qui me voient m’enfoncer d’environ dix mètres.
Et j’entends la principale-adjointe faire remarquer à Christophe que ses élèves ont tous leur cartable sur le dos et que c’est pas normal vu qu’ils sont censés tout laisser sur place.
Le principal les rejoint.
Je sens mes abdominaux secoués par des spasmes réguliers et mes épaules itou, et je retiens difficilement mon fou rire.
Il se fait remonter les bretelles :
— Parce qu’en cas d’incendie, vous leur faites ranger bien comme il faut leurs petites affaires ? C’est ça ? Parce que d’après vous on a largement le temps, c’est ça ?
Je m’approche pour voir Christophe s’enfoncer de quinze mètres et j’ajoute :
— Et en plus, je l’ai vu, il a passé un coup de balai avant de sortir.
Et là, avec Christophe, on part en sucette et on se paie un fou rire, mon vieux, que même le principal a souri.

Bon, le principal donne son ok pour qu’on regagne nos salles et Christophe passe à coté de moi :
— Pauvre inconscient, irresponsable va.
— Psychopathe.

Je ramène mes gamins, Fanny s’approche et me tire la manche :
— M’sieur, pardon pour la veste.
— C’est pas grave Fanny.
— Et la bière ? J’en fais quoi ?

Charly a un gros cartable

Oui, j’en ai un gros.

D’ailleurs, j’ai le plus gros de toute la salle des profs. Et ça me vaut bien des compliments.
C’est vrai qu’il n »est plus tout jeune, le cuir est bien tanné, plus vraiment étanche, mais il n’a pas perdu sa rigidité.
Il a même un aspect satiné qui n’est pas sans charme et séduit les amateurs de vieilles selles.
Pourtant, et c’est vrai, je fais un minimum d’entretien, j’vais pas passer non plus mon temps à l’astiquer.
Le seul problème, c’est son poids. J’ai donc souvent des problèmes avec la poignée et je suis obligé de le porter sous le bras.
Je le mets toujours au même endroit en salle des profs parce qu’il ne rentre pas dans mon casier.
Il rentrerait sans problème dans le casier d’Isabelle mais elle veut jamais que je l’y mette.
Soi disant qu’elle peut pas dépanner tout le monde.
Maryse a accepté une fois mais à condition de ne pas salir sa serviette.
Nelly a essayé de le soulever l’autre jour et elle comprenait pas que je trimbale un truc pareil.
De toute façon, ça peut pas lui convenir, vu qu’elle fait toujours la fine bouche.
Et puis on ne peux pas non plus satisfaire tout le monde.

Tati me dit toujours de ne pas le laisser traîner, qu’on va finir pas se prendre les pieds dedans.
D’ailleurs elle m’a souvent proposé de le mettre dans son armoire, qu’il y avait de la place au fond.
Elle est bien gentille tati mais si chaque fois je dois aller dans son bureau, ça en fait des va-et-vient.
D’une façon générale, j’aime pas trop qu’on y touche, en tout cas sans mon accord, ç’a tendance à me hérisser.
En tout cas, moi, je le vide tous les soirs en rentrant. Comme je suis un peu bordélique j’en fous partout mais je m’y retrouve toujours avec mon petit bazar, et pour finir, je le charge pour le lendemain.
En tout cas, il rempli parfaitement son usage et j’en suis pleinement satisfait.

Autant j’ai un gros cartable, autant ma trousse est petite.
Oui, j’en ai une petite.
Certains préfèrent les grosses, mais l’avantage de la petite, c’est que je peux la ranger partout.
Et puis, petite ou grosse, comme dit tati, le tout, c’est qu’elle rentre dans le cartable.
La mienne est toujours bien pleine, car j’aime bien avoir tout sous la main.
Tati dit que je devrais la remplacer par une neuve.
C’est vrai que je la jetterai bien la vieille, mais elle peut toujours dépanner.

je la mets toujours bien droite dans le cartable, et je la cale bien avec mes mandarines.
Quand je travaille en salle des profs, je la pose sur la table, comme ça si les collègues ont besoin, ils viennent se servir.
Le tout c’est qu’ils la remettent à sa place, j’aime pas la retrouver à l’autre bout de la table.
Régulièrement je la vide et je la secoue au dessus de la poubelle.
Ensuite je la frotte avec un spongex et je la fais sécher sur le balcon.
En tout cas, elle rempli parfaitement son usage et j’en suis pleinement satisfait.

PS : ce texte n’est pas très fin, je vous l’accorde, mais si vous trouvez que c’est un peu gros mon truc, je le retire.

Avertissement !

Demain, sur ce blog, sera publié un texte d’une vulgarité inouïe, d’une grossièreté rare, d’une trivialité répugnante, d’une indécence inacceptable.
Donc, tout commentaire qui en fera le constat sera supprimé.
Vous êtes prévenus, alors venez pas pleurnicher et faire vos chochottes ou autres effarouchées..
Charly (qui est sûr de battre demain ses records d’audience)

PS : suite à la question de Cathy, je précise que la publication aura lieu vers 16 heures car le lundi je finis à 15 heures (ça fait tôt et j’ai un peu honte mais bon, et encore, je me garde bien de vous dire que le lundi je commence à 10 heures car pour vous ce serait insupportable).

Une journée bien chargée

J’sais pas si vous êtes au courant, mais des fois, y’a des grèves chez nous.
(introduction hautement provocante quand on sait que les parents se retrouvent ces jours là avec les enfants sur les bras, et ces derniers, avec les parents sur le dos)

Bon, les grèves, j’en suis toujours informé par les élèves, qui viennent me demander si je la fais, parce que dans ce cas, pour eux, c’est l’occasion de rester à la maison.
Et je prends mon air triste, je regarde le plafond, ils regardent le plafond, je regarde mes chaussures, ils regardent mes chaussures, je les regarde, et je leur dis que j’la fais pas, rien que pour les faire chier.

Et donc cette fois là, la grève devait avoir lieu un mardi.
Le lundi soir, la veille donc, je passe voir un couple d’amis, presque voisin, et ils me gardent pour dîner.
On s’envoie deux barils de pétrole brut et on termine sur un bon Cognac, que tu m’en diras des nouvelles, et qu’t’en reprendras bien un p’tit pour la route, non merci, bon d’accord, mais le dernier alors.
Je rentre chez moi vers une heure du mat, à pied, et bien allumé, je me couche dare-dare et je m’endors itou.
Six heures du mat, le réveil sonne, façon alerte nucléaire générale, et j’émerge péniblement en constatant avec effroi, et vous allez le comprendre, que j’ai un mal de tête carabiné, à s’demander si j’ai pas pris froid la veille.
Bien crevé et épouvanté par la journée qui s’annonce, je réussis à réfléchir un peu et je découvre avec stupéfaction que je suis en complet désaccord avec les propositions du gouvernement notamment l’article 231 alinéa 22 et je décide de m’associer in extremis à la grève prévue.
Et donc je me rendors.

Un peu plus tard, quatre heures plus tard précisément, j’me lève, j’fais ma p’tite toilette, ce qui va assez vite vu que j’me salis très peu, et je me retrouve dans le salon, désemparé et tenaillé par une culpabilité que vous imaginez sans peine (ça m’étonnerait, mais bon).
Vers onze heures, Patrick, le responsable syndical, ayant constaté mon absence, m’appelle et me félicite pour mon engagement dans la lutte.
Un peu gêné, je lui réponds qu’c’est la moindre des choses, que ça commence à bien faire, et que j’sais pas c’qui me retient de tout faire péter.
Ébahi par mes convictions (récentes les convictions quand même), il me propose de participer à la manif dont le départ est fixé à quatorze heures.
La dernière fois que j’ai défilé dans les rues, c’était pendant mon service militaire, j’suis pas sûr de me rappeler, mais n’osant pas refuser, j’y suis allé.

Tout le monde m’a accueilli par des grandes claques dans le dos, en disant que décidément je cachais bien mon jeu, et qu’ça faisait bien plaisir à tout l’monde, d’autant que j’avais une réputation de merde, de jmenfoutiste, de connard fini, et donc, ça m’a fait plaisir.

Je fus chargé de tenir une banderole avec un truc méchant écrit dessus et j’étais bien content.
Malgré le temps couvert j’ai quand même mis mes lunettes de soleil, parce qu’on est passé devant toutes les terrasses des bistrots de la ville, que je connais bien, et réciproquement, et que je tiens, par souci d’éthique, à ne pas mélanger vie professionnelle et vie privée.
Mais c’était sans compter sur Jeannot, le patron du Gargouillis-Nichons-Club qui m’a reconnu :
— Qu’est-ce que tu fous là toi ?
— Ben… la lutte quoi…
— Toi la lutte ? Branquignole va ! Amène toi, j’te paye un demi !
— Ben là j’peux pas, j’suis en pleine lutte.
— Bouge pas, j’te l’amène.
Mes collègues de tranchée demandent ce qui se passe, et j’explique que ce type est un malade, que j’mets jamais les pieds au bistrot, que la dernière fois, j’avais huit ans et que j’étais forcé par mon père, pour boire un Coca.
Et Jeannot s’amène avec le demi.
— Tiens, il est bien frais. Dis donc, Laurence a appelé, y paraît qu’elle arrive pas à te joindre. Putain, toi et les nanas, j’te jure !
Pendant que je me demandais si on pouvait empaler quelqu’un avec un piquet de grève, Patrick annonce dans son porte voix que l’on approche de la préfecture et qu’il faut qu’on gueule bien fort. J’en profite pour expliquer à Jeannot que ce serait trop long à lui expliquer, et que ça me rendrait service s’il arrêtait de m’en rendre.
Bon, on a bien gueulé, mais visiblement y’avait personne, puisque personne n’a répondu.
Et on s’est dispersé.

J’étais avec les collègues du collège et y’a trois types qui sont venus nous voir avec des câbles, une caméra, et un gros micro poilu et y en a un qui m’a demandé ce que je pensais des deux dernières mesures du projet de loi.
J’étais bien embêté parce que je savais même pas qu’y avait un projet alors vous pensez, les mesures, en plus les dernières.
Mais j’me suis pas démonté, j’ai dit que le projet était inacceptable, qu’on s’laisserait pas faire, qu’y en avait marre, qu’on était pas des chiens, et qu’on irait jusqu’au bout, et même plus loin, et tout quoi. Le type était bien content et il a dit que ça passerait sur France 3 le soir même.
Les collègues m’ont applaudi, en disant que j’avais été très clair et que j’étais un vrai leader, et qu’ils étaient surpris par mon charisme, et que venant d’un type qu’était pas foutu de tenir ses classes, et qu’avait l’autorité d’une pompe à vélo, c’était surprenant, et ça m’a bien touché.

Après ça, je suis allé au Gargouillis-Nichons-Club boire l’apéro. Jeannot a mis France 3 pour les infos et j’étais une vraie star.
Je suis passé juste après le préfet, qu’a dit qu’il avait rien entendu parce qu’y avait du bruit dehors, et avec les clients, on a tous regardé.
Mais en fait on a surtout vu Patrick, car moi, j’étais juste derrière lui, en train de boire ma bière.

Si c’est pas d’la malchance ça.