
10 – Hasta luego !
Ils sont tous là avec leurs sacs, agglutinés autour du bus.
On fait un dernier appel, on remercie les familles d’accueil, d’ailleurs y’avait des mamans mignonnes, bon voilà et on quitte le bled à grands coups de klaxon, vivement qu’on soit rentré, avec un peu de chance, j’pourrais voir Sébastien samedi soir à la télé.
On a mis longtemps pour rentrer au pays.
Ouais, y’avait une astuce.
Le chauffeur devait impérativement se limiter à huit heures de conduite suivies de huit heures de pause.
Donc il a dit qu’à onze heures du matin, y fallait s’arrêter pendant huit heures avant de terminer le voyage.
Tout ça pour pas se faire gauler par les bleus ce dont il n’avait rien à foutre à l’aller.
Vous imaginez une pause de huit heures ?
Les gamins étaient pas contents, nous pas trop, le chauffeur emmerdé, et ça sentait l’embrouille son truc, mais bon.
L’endroit choisi, c’était un hypermarché, une zone commerciale immense, je trouve ces endroits sinistres, et on a libéré les gosses en fixant rendez-vous à 19 heures.
On s’est fait un p’tit resto entre adultes, enfin, un resto de supermarché, une cantoche quoi.
Le chauffeur est parti siester, c’que j’aurais bien fait aussi mais en tant que virilisator j’ai arpenté pendant huit heures au cas ou.
J’sais pas ce qu’ont foutu les mamies mais j’les plus vu de l’après midi.
D’façon elles étaient crevées, elles risquaient pas de fuguer.
J’me suis acheté des gâteaux en souvenir de l’Espagne, et j’me suis bien fait chier.
J’ai vaguement essayé de draguer la caissière qui causait un peu frenchy, mais allez conclure vous dans un endroit pareil.
Ça va vous surprendre mais y’a pas eu de problème, d’ailleurs j’ai quasiment pas vu de gamins pendant mes déambulations, que j’pourrai faire un plan détaillé du lieu d’ailleurs.
Et on s’est tous retrouvé à l’heure dite et on a repris la route.
Les minettes ont viré toute trace de maquillage, sans attendre l’ordre des mamies, y’avait du parent dans l’air.
Pis les tee shirts avaient rallongé d’un coup. Après ça on dira que les parents n’ont pas d’autorité.
Croyez pas c’qu’on vous dit à la télé, 90% des gamins c’est du caviar.
Pour les œufs de lumps, on fait comme on peut.
Les gamins ont fait les cons un moment et puis ça s’est calmé.
Je rêvassais un peu. J’attendais, tel le baleineau de base guettant le plancton (sympa la comparaison non ?), l’occasion de taquiner une dernière fois les mamies.
Et en taquiner une seule aurait suffit à mon bonheur.
L’occasion s’est présentée sous la forme d’une grossièreté qu’a tapé l’plafond du bus, rebondi violemment sur le pare brise et qu’a atterri sur les mamies.
Au lancer, c’était Kévin.
Il a dit : « putain ».
Incroyable non ?
Et oui, ça arrive, même aux meilleurs d’entre nous.
J’ai dit les meilleurs, les autres ça leur arrive jamais.
Une mamie a jailli de son siège, enfin jailli, a bondi hors de son siège, non ça va pas non plus, s’est extrait de son siège, ou plutôt s’est hissé hors du truc là, putain c’est pas évident d’être précis, ça y est j’ai encore dit putain, bon bref, s’est levée et s’est dirigée vers le malpoli.
Le pauvre, j’en étais peiné, ça m’a brisé l’cœur, il s’est pris une soufflante, et que Dieu dans sa grande bonté pardonne à cette pécheresse, un truc à vous décoller les rétines.
Et la, je me pointe, avec un air sérieux, le regard sévère, à coté de mamie, et m’adressant à Kévin sur un ton autoritaire :
— Et pis on dit pas « putain », mais « putain de merde ».
Mamie s’est tournée vers moi, et m’a regardé, les yeux écarquillés, scotchée.
— Non mais ça va pas bien Charly ?
— Ah écoutez, moi j’suis comme ça, j’supporte pas l’approximation, quitte à être grossier, autant l’être bien.
— Mais faut vous faire soigner mon pauvre Charly !
— Excusez l’emportement, mais cette jeunesse qui se vautre dans l’à peu près, dans l’allusif, c’est bien simple, ça m’révulse.
— Bon ben Charly, on en reparlera, en attendant, allez vous asseoir, j’vous amène un p’tit cachet, j’ai c’qu’il faut pour les nerfs.
Voilà. C’est pas compliqué en fait.
Et ce qui m’a fait plaisir, c’est que les gamins, y z’ont bien fait comme j’ai dit.
Après ça, on dira qu’ils écoutent pas.
Mauvaises langues va.
À suivre…