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Le regard furtif

Je viens d’affûter une technique qui va changer la face du monde : le regard furtif.
Un enseignant se doit d’être aussi un chercheur, donc j’ai trouvé.

Combien parmi vous mesdames sont incommodées par ces regards masculins qui se vautrent sur vos soutiens-gorge et vos jolis popotins ?
Quel toupet, quelle inconvenance.
D’autant qu’à partir de certaines dimensions, ces gueux ont du mal à se concentrer sur autre chose et quand on est timide comme vous l’êtes, on n’ose pas la petite remarque qui éconduira le malotru.

Nous sommes des mammifères, je vous le rappelle, et la loi de l’évolution édictée par Darwin, n’affecte pas chacun de nous de la même façon.
Ainsi certains de mes congénères en sont-ils restés au stade primaire, du désir non dissimulé, de l’œil glauque, du rire benêt, du léger filet de bave à la commissure, tout ceci s’expliquant par une fuite massive et rapide du sang hors du cerveau pour se diriger vers les organes reproducteurs, alors que les autres, dont je suis, d »élégance atourés, fourmillent d’idées, pour pas s’faire gauler.

Je tiens ici, la solution qui réconciliera mars et vénus.
Le principe est simple, et ne renie pas nos pulsions mais se contente de les gérer.
Il consiste à récupérer un maximum d’informations, physiques bien sûr, votre intelligence dans ces moments là, bien que réelle et indiscutable, on s’en pète un peu, en un minimum de temps.
C’est là l’astuce.

Ce matin, j’ai testé pour vous en salle des profs, et je peux vous dire, qu’en deux dixièmes de seconde, j’ai scanné Isabelle la prof d’anglais, de la tête aux pieds sans qu’elle remarque quoique que soit, et même qu’elle m’a souri.
Fortiche non ?
Nota : ne réagissez pas mal à ce qui vient d’être écrit, car je le fais pour vous, mesdames. Pas pour moi, vous pensez.

Résultat du scan (résultats bruts avant dépouillement complet et traitement informatisé pour prise en compte variables locales et subjectives).

Le_regard_furtif_tableau

Et voilà l’travail.
Mais comment fait il vous demandez-vous-je ?
Prenez ma place et suivez les instructions suivantes à la lettre.

La cible arrive, ici Isabelle.
Estimez rapidement sa trajectoire en repérant son objectif, par exemple son casier.
Regardez intensément le mur du fond de la salle des profs, plus précisément l’angle gauche formé avec le plafond.
Froncez les sourcils et prenez l’air intelligent.
Clignez rapidement des yeux comme si vous étiez à fond au niveau de l’intensité de la réflexion, au taquet quoi.
La droite formée par votre regard croise sa trajectoire au point P.
C’est là que tout se passera.
Lorsqu’elle arrive au point P, vous allez rabattre votre regard en direction de vos chaussures, doucement, en passant par P.
À ce moment précis, et soyez précis bordel, il s’agit de capter un maximum d’informations.

Pour cela, exorbitez légèrement les yeux, très rapidement, la pupille doit entièrement se dilater et occuper tout l’espace, le cristallin se courber dangereusement, à ce stade d’intensité, l’iris doit être considéré comme cliniquement mort, la cornée commencer à se fendiller, la rétine est en mode survie, le nerf optique doit atteindre sa température de fusion, le cerveau doit être cramoisi et saturé d’informations.
Relâchez.
Vous venez de perdre la moitié de vos globules rouges.

Tout ceci en deux dixièmes de seconde.
Et votre regard continue tranquillement son chemin jusqu’aux chaussures.
Fastoche non ?
Nota : pensez à vous restaurer après, çà équivaut quand même à une bonne dizaine de dons du sang

C’est que de l’entraînement en fait.
Entraînez vous partout, en famille, au resto, dans les transports, au boulot, à la cantine, à la messe, partout quoi.
Et vous deviendrez un pro du regard furtif.

Malgré ma technique il m’arrive de retomber dans les travers de mes ancêtres et l’accident est toujours possible.
Ainsi, ce matin, je fixais tel le bourrin moyen, la poitrine d’Isabelle.
Est arrivé ce qui devait arriver :
— On peut savoir c’que tu regardes ?
Mais un vieux renard comme moi, vous imaginez, j’ai plus d’un tour dans mon sac.
Je l’ai regardé le sourcil froncé et interrogatif :
— J’me demandais, c’est quoi comme couleur ça ? Beige ou blanc cassé, on sait pas trop en fait.
— Prends moi pour une cruche toi.

Bon, ça marche pas à tous les coups mais bon, ça coûte rien d’essayer.

Et pis j’ai été voir tati pour lui en parler.
J’aime bien avoir son avis car elle est pleine de bon sens et ses jugements sont illuminés de sagesse.
Je lui ai donné un exemplaire de ma thèse et lui ai expliqué le détail de la technique, avec des petits schémas, en insistant bien sur la rapidité du truc.
Elle hochait la tête, visiblement impressionnée, et conquise par ma théorie.
Et elle a juste dit çà :
— Ouais. Tu sais combien y m’faut de temps à moi pour estimer ta connerie ?

Qu’est-ce que les gens sont méchants quand même.

Claire

Il est des rencontres sympas dans la vie.
Et certains élèves font partie de ces rencontres.

Claire était une élève de 6e, 11 ans, une jolie petite fille, très discrète, peu loquace, mais brillante et travailleuse.
Des grands yeux, et un sourire angélique qu »elle affichait volontiers mais toujours en silence.

Lors du premier cours de l’année, je remarquai qu’elle ne me quittait pas des yeux.
Et comme à mon habitude, je glissai dans mes explications quelques zestes d’humour, d’ironie, qui ne manquent pas de surprendre les élèves mais qui les rassurent, inquiets qu’ils sont de mon aspect sérieux et austère.
A chaque trait d’humour, je remarquai que Claire me fixait et commentait en silence la qualité de mes vannes.
Tout simplement en faisant un signe négatif de la tête quand elle estimait que ce n’était pas vraiment drôle, ou faisant la moue, m’indiquant clairement que je faisais dans le mauvais goût. Et approuvant franchement en secouant la tête quand j’excellais.
Chacun de ces commentaires était suivi par un sourire comme pour bien me faire comprendre qu’elle aussi pratiquait l’ironie.
Comme si Claire avait tout de suite compris que je n’étais pas très sérieux en fait.
D’ailleurs, quand il m’arrivait de m’emporter, après avoir répété 99999999999 fois la même chose, et que tous se remettaient au boulot, pour bien me faire comprendre que là, ça y était, c’était pigé, et bien elle non.
Elle me regardait en souriant, comme si elle me disait, c’est pas vous ça, faites pas semblant d’être sévère, moi je sais qui vous êtes.
Je dois dire que certaines fois elle m’a déstabilisé et je lui ai fait la remarque :
— Y’a un problème Claire ?
— Non m’sieur, tout va très bien.
On était de la même planète je crois.
C’était mon ange gardien.

Ce fut comme ça toute l’année et à chaque blagounette je la regardais et je pouvais ainsi parfaitement évaluer la qualité de ma prestation.
Nous étions seuls au courant de ces échanges.
Nous n’avons jamais parlé de ça avec Claire, c’était un truc entre nous, c’est tout.
J’attendais toujours son commentaire mais quand elle souriait franchement, je souriais aussi, content que ça lui convienne.

Elle n’a pas assisté au dernier cours de l’année.
Pendant la récréation j’avais laissé la porte ouverte, pour faire courant d’air, et je m’apprêtais à aller fumer.
J’ai entendu courir dans le couloir.
C’était Claire.
Elle était essoufflée, s’est placée dans l’encadrement de la porte, les bras appuyés sur les montants, respirant fort, sa jupette, ses tongs.
Et puis son pied droit est venu frotter furieusement son mollet gauche, comme un signe de la touchante féminité de son âge.
— J’ai pas pu venir, j’ai chorale, voilà, je voulais vous dire au revoir.
Je lui ai souhaité de passer de bonnes vacances, l’ai félicité pour son année réussie.
Elle n’a rien dit, encore essoufflée, mais elle ne partait pas, semblant attendre quelque chose.
Ne sachant plus quoi lui dire, j’ai souri gentiment, lui ai dit au revoir, et j’ai rejoint la porte du fond pour aller fumer.
— J’aimerai vous faire un bisou.
Je me suis retourné, elle était sérieuse d’un coup, triste même.
— Bien sûr Claire, avec plaisir.
Le temps de la rejoindre jusqu’à l’encadrement de la porte, je compris son coup de cœur pour son prof de techno.
J’en fus un peu ému, mais ne le montrai pas.
Je me suis baissé et elle s’est jetée à mon cou, j’en étais très gêné, et elle m’a fait un bisou force 9.
Elle a relâché aussi vite son étreinte, j’ai de nouveau souri gentiment.
— Je penserai à vous.
— Au revoir Claire.
Et elle est partie.
En courant.

Je suis allé fumer ma cigarette, en pensant à mon ange gardien, me disant que j’avais de la chance d’avoir fait une si belle rencontre.

Émile Davis Junior

Dans certaines circonstances je suis dans l’obligation de convoquer les parents lorsque leur rejeton dépasse certaines limites.
Je le fis pour Émile Davis junior.

Un fils d’une lignée argentée égaré parmi nous, qui arrive toujours sans cartable parce que selon lui, il n’a pas de porteur.
Ou qui le fait porter contre quelques euros, qui soudoie les cantinières pour un rab de frites, qui a corrompu tous les 6e, martyrisé les 5e par son arrogance, avili par son mépris tous ses profs, humilié par sa vanité les plus humbles d’entre nous, dépravé le petit personnel, et qui vient régulièrement négocier ses notes vers le haut par des sous entendus qui en disent long sur l’origine de la floraison des affaires familiales.
Et ce qui est insupportable, en plus, c’est qu’il est beau.

Missionné pour souder quelques composants électroniques, il a, pour épater ses « copains », brûlé un billet de 100 euros.
Imaginez mon émoi. Une semaine de RMI passée au fer rouge, soit son argent de poche du jour, envolée en fumée par ce pitre.
Justifiant son brasero improvisé par une insolente remarque sur notre boss, qui coupe le chauffage de tout l’établissement dès la mi-janvier par souci d’économie, je l’adoubai con.
La flamme de l’incendie me fit évacuer la salle en urgence et déclencher l’alarme générale.
Je convoquai le père.

Et le vis arriver, suivi par son jeune flambeur.
Je n’avais jamais vu un mafioso de près, c’est fait.
Ce digne descendant des négriers d’autrefois, ayant repris avec ferveur le fouet d’un esclavagisme séculaire, arborait cette suffisance qui m’horripile, modeste et besogneux que je suis.

Les chaussures pointues, suffisamment effilées pour atteindre la vitesse du son dans du béton vibré et armé, un pantalon dont la vente de la braguette seule m’aurait permis de changer de caravane, des bagues, une chevalière immonde, une gourmette en or, une quincaillerie bruyante et rutilante signe d’un goût certain et d’une subtilité ad hoc.
Une chemise largement échancrée sur une toison teinte et cernée par une chaîne à gros maillons héritée sans doute d’un ancêtre de Cayenne.

Ayant des difficultés à garer son long véhicule sur les modestes places de cinq mètres sur trois de notre parking, il aurait jeté ses clés au principal lui demandant de le faire et de mettre un coup sur le pare brise, ce que l’autre sans voix et suffocant a nié, et a glissé un billet dans le décolleté de la principale adjointe, croyant avoir affaire au petit personnel, qui s’est mise à réciter le credo républicain en se signant de la croix de Lorraine comme une madone de l’égalité des chances devant tant de mépris.
Mais le plus insupportable, c’est qu’il était beau.
Et ça, voyez vous, ça frise l’indécence.

Quelque peu enhardi par mon alcoolisme résiduel, j’évitai malgré tout l’emportement.
Il jouait habilement avec un rouleau de billets, au bas mot 1500 euros, et par ses mimiques racoleuses et ses clins d’œil grossiers, m’incitait à le prendre.
Mais le républicain que je suis, intègre, et pur comme vous le savez, fit mine d’ignorer.

Bien qu’aveuglé par les reflets de sa chevalière et de sa gomina, et malgré les effluves de mon cubitainer proche, j’adoptai la posture d’enseignant et lui relatai l’incident et fis part de ma colère.
Il argua que son rejeton l’avait certainement vu faire lors de soirées paillardes et financières, et qu’il s’agissait d’un mimétisme normal pour cet âge et je pensai que la connerie de son énergumène procédait sûrement d’un atavisme familial et lui suggérai de canaliser les retraites aux flambeaux de son ignoble tandis que je lisais dans son œil cupide le désir de me voir aller faire explorer mon intime orifice.

Je fis part de la punition que je ne manquerai pas d’infliger.
Mais il proposa, sachant nos modestes moyens, de doter ma salle, à ses frais, d’une douzaine d’ordinateurs récents, ce qui me fit vaciller, car je les réclame depuis dix ans sans succès, et nous tombâmes d’accord sur une punition simplifiée : laver ma petite voiture, à défaut de l’affront, discrètement, après les cours.

Je le vis partir, dodelinant du fion, laissant le sillon odorant d’une eau de toilette excessive, balançant les épaules comme un rappeur endimanché.
Ah, quand les prolos s’habillent !

Ce sinistre personnage fait tenir par une de ses secrétaires un blog, étant lui-même bien incapable d’écrire, ou il relate les poignants épisodes de sa futile existence à l’aide d’un dictaphone.
Je vous en mets le lien et vous vous ferez une idée par vous-même, en lisant ses éructations tapuscrites.
Émile Davis

PS : si vous lisez tecno sur son blog, traduisez par techno, non je vous dis, c’est vraiment un con.

J'vois pas le rapport

Dans tous les collèges, les gamins de 3e ou de 4e, font un stage en entreprise d’une semaine. Quelques semaines après, ils sont censés remettre un rapport de stage, que l’on doit évaluer.
Et là j’en ai deux sous les yeux, d’élèves de 3e.

Le premier est très bien foutu, le sommaire, le détail des activités de l’entreprise, de l’élève, le métier envisagé, des détails sur les formations, une conclusion, quelques documents en annexe, le tout relié et wordé, couverture plastifiée, enfin sympa quoi.
Lui, j’lui mets l’ponpon, pas d’souci.

Et pis là, j’en ai un deuxième…
J’vais tenter de vous le décrire, mais comme je tombe de mon siège régulièrement tellement je rigole, j’vais faire court.

On y va.
D’abord vous prenez une pochette cartonnée, une vieille si possible, qu’a déjà servi, avec les p’tits élastiques qui vont bien, mais pas trop tendus les élastiques quand même, pour qu’ça s’ouvre bien.
La pochette bien bleue voyez, noire quoi, et pis vous écrivez dessus en vert, qu’on voit bien, et avec un gros feutre, que ça tape à l’œil.
Et pis vous écrivez votre nom en bien gros en diagonale, sur toute la longueur.
Mais comme vous avez oublié qu’il est long votre nom, et qu’ça va dépasser, vous emmerdez pas, les trois dernières lettres, vous les mettez dessous, à la fin, et en plus petit, comme ça c’est impeccable.
Le titre du rapport, au stylo rouge, en haut à droite, en tout petit, parce que tout le monde s’en fout.

Pour le rapport lui-même, vous faites pas chier, une feuille suffit.
Plus concis que ça, tu meurs.
Blanche la feuille, et écrivez avec un stylo bleu qui bave un peu, mais pas trop, que ça fasse juste un p’tit halo autour des lettres, juste qu’elles soient illisibles quoi.
Et comme les erreurs ça arrive à tout le monde, n’hésitez pas à mettre du blanc, allez y franco, lâchez vous.
La feuille perd un peu en souplesse, mais on s’en fout.

Comme la feuille a un verso mais que vous le savez pas, écrivez la conclusion verticalement, dans la marge, là encore, faites simple.
Pour l’orthographe, allez à l’essentiel, l’important, c’est d’faire passer le message.

Pour souligner, si vous n’avez pas de règle, perdez pas de temps, prenez un peigne, là encore, faites simple.
Mettez aussi un peu de Stabylo, rose si vous avez, et là encore, faites pas votre timide, mélangez bien au blanc, vous verrez, ça fait des dégradés sympas.

Bon, faut bien mettre une note.
Et ça m’a brisé le cœur.
J’ai rempli la grille d’évaluation à peu près comme ceci :

Page de garde : ok
Sommaire : ok
Chapitrage : ok
Pagination : ok
Présentation : ok
Orthographe : ok
Détails : ok
Conclusion : ok
Annexes : ok

Tout est ok.
C’est bon.
On peut décoller.

Ajoutons un outil à notre râtelier de pédagogue

Aujourd’hui : la torgnole. Aussi nommée taloche, targette, tarte, soufflet, baffe, claque, mornifle, etc.

Connue depuis l’antiquité, et même avant, la torgnole a su traverser les âges, et conserver son caractère rustique et sa concision exemplaire.
La torgnole, un geste simple, pétri de tradition, véritable éloge du travail manuel et persistance d’un artisanat d’antan qui a formé bien des tempéraments et déformé bien des visages.
Il est temps de remettre ce geste à la place qu’il mérite : la joue de nos élèves.

Des études récentes ont démontré que la simple torgnole équivalait à une heure d’exposé pointu, huit pages d’argumentaire détaillé, deux encyclopédies complètes traitant de psychopédagogie et les œuvres complètes de Françoise Dolto.
Édifiant non ?

Mais comme vous le savez déjà, nos jeunes enseignants, encore malhabiles, rejetant la pédagogie d’autrefois, semblent réticents à son usage. Aussi, par quelques rappels simples, je vais tenter de leur donner le goût de la chose, et par définition étant un spécialiste de la leçon, de leur en donner une bonne.

Premièrement, il est hors de question de pratiquer cet acte sans un mobile.
Nos jeunes enseignants sont bien souvent désemparés car quelle est cette frontière vague qui sépare l’échange bon enfant de l’agression verbale caractérisée ? de l’insulte grossière, vulgaire, outrancière, humiliante, dégradante, avilissante, qui vous coûtera cinq ans de psychothérapie, la perte de votre honneur, de votre logement, de votre famille, de vos droits civiques, et j’en passe ?

Illustrons par l’exemple ce pertinent questionnement et imaginons la situation suivante:
Soit un élève x s’adressant à un enseignant y de la façon suivante :
— Monsieur, vous êtes un gros connard.
Voilà, ça c’est un mobile. Ça n’apparaît pas à première vue mais c’est bel et bien un mobile.
Toutefois, vous avez pu mal comprendre, et il est toujours bon de se le faire confirmer comme ceci :
— Tu veux bien répéter ce que tu as dit, s’il te plaît ?
— Monsieur, vous êtes un gros connard.

Voilà.
Les derniers doutes sont levés et il apparaît clairement que l’élève a une piètre opinion de vous et qu’il ne se cache pas d’un certain dédain.
Évidemment vous êtes un peu vexé, car au fond de vous subsiste un vieux fond de susceptibilité, certainement dû à une maltraitance enfantine qui vous a vu pendu par les pieds dans le garage familial pendant des jours par un père cocaïnomane. Ceci a certainement subtilement affecté votre personnalité, expliquant cette sensiblerie exagérée et cette tendance au caprice, mais ressaisissez-vous, ne vous décontenancez pas, faites face, car vous êtes quelqu’un de bien, n’en déplaise à votre père.

Mais comment expliquer à ce galopin que vous êtes en total désaccord, que vous n’êtes pas le personnage qu’il imagine mais une âme sensible, quelqu’un d’attachant, qui aime le macramé, la crème Mont-blanc, que vous avez un poisson rouge, que vous allez voir votre grand-mère pour tous ses anniversaires le 29 février, que vous relevez toujours la lunette avant, et tout ça en un dixième de seconde ?
Impossible dites-vous ?
Et pourtant la solution est là, sous vos yeux : votre main.
Magique non ?

Mais pas d’empressement, un petit échauffement préalable s’impose pour éviter tout accident.
Commencez un léger sautillement en basculant d’un pied à l’autre, comme si vous sautiez à la corde, relâchez bien les épaules et basculez la tête de gauche à droite pour une détente complète des cervicales.
Les élèves vous regardent amusés, et lancent quelques quolibets et autres fournitures de bureau, mais restez concentré, et après quelques minutes cessez le sautillement.

Placez vous face à l’auteur de cette regrettable erreur de jugement, et allongez le bras le long du corps.
Pivotez les épaules autour du bassin, celui-ci restant fixe. Décollez votre bras et levez le vers l’arrière, mais pas trop, coude légèrement plié.
Bloquez sur cette position, respirez profondément.
Et là, d’un coup, pivotez l’ensemble épaules/bras le plus rapidement possible dans l’autre sens, le bras tendu, la main en position d’offrande, et appliquez celle-ci exactement entre la pommette et le bas du menton.
À fond.
Allez-y, lâchez-vous.
Voilà.
C’est un geste simple, donc vous avez toutes les chances de le réussir du premier coup.

Normalement, si le geste est réussi, l’élève ne devrait plus être devant vous, mais légèrement décalé latéralement, de quelques centimètres à quelques mètres, selon son poids.
La mesure exacte du déplacement, à l’aide d’un simple décamètre, pondérée par le poids, donnera une évaluation précise du geste.
Pour ce qui est de la couleur de la joue de l’élève, élément essentiel permettant la validation définitive, je mettrai à votre disposition sur Internet un nuancier à télécharger.
Nota : si l’élève, au moment de la torgnole, se trouve à proximité d’un mur, peut se produire un effet de rebond : attention ! Le rebond ne compte pas.
Ce serait trop facile.

Nous verrons prochainement comment contourner les problèmes posés par les lunettes, les bagues et les conséquences administratives et judiciaires.

Deux remarques pour finir :
Pour une meilleure efficacité, le visage de l’élève doit se situer au niveau de votre épaule soit un élève inférieur à vous de vingt centimètres environ.
N’hésitez pas éventuellement à prendre une marge, soit au total trente centimètres de moins que vous.
Des séquelles neurologiques sont toujours possibles, donc réservez ce geste à des élèves pour lesquels ça ne changera pas grand chose.

Parents, faites des profs !

(Ou comment insuffler une vocation d’enseignant).

Et oui, comment fabriquer un prof ?
La question m’est souvent posée.
Je souhaiterai que mon enfant soit enseignant, mais comment faire ?
Un certain nombre d’ingrédients sont requis ainsi qu’une approche pédagogique pragmatique.
Car si vous souhaitez que votre enfant soit enseignant, il faut s’y prendre très tôt.

D’abord, vous prenez une famille de prolos, famille nombreuse si possible, avec des gamins qui dorment à trois par piaule, et des parents qu’ont pas fait d’études, comme ça, c’est encore mieux.
En général, ça va ensemble.

Ensuite vous repérez celui des enfants qu’est bien sage, un peu rêveur quoi, le moins con de tous, et vous investissez à fond sur lui.
Comment ? C’est facile.
Chaque fois qu’il a une note en dessous de quinze, vous lui mettez une bonne rouste, des tartes bien tout partout sur la figure, qu’y soit bien rouge quoi.
Ensuite vous le pendez à la fenêtre du 43e étage par les oreilles une nuit sur deux pour bien qu’y comprenne que l’école c’est une chance, et qu’il doit la saisir.
Y devrait s’en souvenir ce feignant, et vous faites ça jusqu’au brevet, qu’il aura haut la main (haut les mains serait plus juste).

Au lycée, il a grandi, donc on arrête provisoirement les roustes.
On passe à des trucs plus soft, plus vicieux quoi, le chantage à l’argent de poche, aux sorties, avec un peu d’humiliation au passage, si c’est possible, mais pas trop, mais quand même, et de temps en temps, une bonne tarte devant ses copines, ç’a toujours son petit effet.
A l’occasion aussi, l’air de rien, comme ça, distraitement, poussez le dans les escaliers, en le traitant de pas dégourdi, vous verrez, il aura bien confiance en lui.
Si avec ça il a pas son bac avec mention, c’est que vous êtes vraiment des manches.

Après son bac, il viendra sûrement vous voir pour vous dire qu’il sait enfin ce qu’il veut faire et qu’il aimerait bien être musicien, par exemple.
Alors vous le choppez, et vous le traînez jusque dans le garage et vous lui foutez une bonne tannée, quelque chose de joli, n’hésitez pas, lâchez vous et vous allez voir, il va faire des études d’ingénieur brillantes.

Et un jour, son diplôme en poche, ayant fait tout seul les études que vous n’avez pas faites ainsi que celles des trente générations précédentes, il va débarquer chez vous et vous dire que son métier le branche pas des masses, qu’il aimerait bien pendant un an ou deux voyager, parcourir le monde, pourquoi pas dans l’humanitaire, par exemple.
A ce moment la, vous le tirez par les pieds jusqu’au garage, et vous le passez à tabac, faites vous aider éventuellement, et faites les choses en grand, si vous avez une vieille friteuse dans le coin, ébouillantez le.
Et vous verrez qu’il va s’inscrire assez rapidement à un concours d’entrée dans la fonction publique.

Voilà.
En fait c’est assez simple, faut juste être motivé.
C’est tout.