
Je viens d’affûter une technique qui va changer la face du monde : le regard furtif.
Un enseignant se doit d’être aussi un chercheur, donc j’ai trouvé.
Combien parmi vous mesdames sont incommodées par ces regards masculins qui se vautrent sur vos soutiens-gorge et vos jolis popotins ?
Quel toupet, quelle inconvenance.
D’autant qu’à partir de certaines dimensions, ces gueux ont du mal à se concentrer sur autre chose et quand on est timide comme vous l’êtes, on n’ose pas la petite remarque qui éconduira le malotru.
Nous sommes des mammifères, je vous le rappelle, et la loi de l’évolution édictée par Darwin, n’affecte pas chacun de nous de la même façon.
Ainsi certains de mes congénères en sont-ils restés au stade primaire, du désir non dissimulé, de l’œil glauque, du rire benêt, du léger filet de bave à la commissure, tout ceci s’expliquant par une fuite massive et rapide du sang hors du cerveau pour se diriger vers les organes reproducteurs, alors que les autres, dont je suis, d »élégance atourés, fourmillent d’idées, pour pas s’faire gauler.
Je tiens ici, la solution qui réconciliera mars et vénus.
Le principe est simple, et ne renie pas nos pulsions mais se contente de les gérer.
Il consiste à récupérer un maximum d’informations, physiques bien sûr, votre intelligence dans ces moments là, bien que réelle et indiscutable, on s’en pète un peu, en un minimum de temps.
C’est là l’astuce.
Ce matin, j’ai testé pour vous en salle des profs, et je peux vous dire, qu’en deux dixièmes de seconde, j’ai scanné Isabelle la prof d’anglais, de la tête aux pieds sans qu’elle remarque quoique que soit, et même qu’elle m’a souri.
Fortiche non ?
Nota : ne réagissez pas mal à ce qui vient d’être écrit, car je le fais pour vous, mesdames. Pas pour moi, vous pensez.
Résultat du scan (résultats bruts avant dépouillement complet et traitement informatisé pour prise en compte variables locales et subjectives).
Et voilà l’travail.
Mais comment fait il vous demandez-vous-je ?
Prenez ma place et suivez les instructions suivantes à la lettre.
La cible arrive, ici Isabelle.
Estimez rapidement sa trajectoire en repérant son objectif, par exemple son casier.
Regardez intensément le mur du fond de la salle des profs, plus précisément l’angle gauche formé avec le plafond.
Froncez les sourcils et prenez l’air intelligent.
Clignez rapidement des yeux comme si vous étiez à fond au niveau de l’intensité de la réflexion, au taquet quoi.
La droite formée par votre regard croise sa trajectoire au point P.
C’est là que tout se passera.
Lorsqu’elle arrive au point P, vous allez rabattre votre regard en direction de vos chaussures, doucement, en passant par P.
À ce moment précis, et soyez précis bordel, il s’agit de capter un maximum d’informations.
Pour cela, exorbitez légèrement les yeux, très rapidement, la pupille doit entièrement se dilater et occuper tout l’espace, le cristallin se courber dangereusement, à ce stade d’intensité, l’iris doit être considéré comme cliniquement mort, la cornée commencer à se fendiller, la rétine est en mode survie, le nerf optique doit atteindre sa température de fusion, le cerveau doit être cramoisi et saturé d’informations.
Relâchez.
Vous venez de perdre la moitié de vos globules rouges.
Tout ceci en deux dixièmes de seconde.
Et votre regard continue tranquillement son chemin jusqu’aux chaussures.
Fastoche non ?
Nota : pensez à vous restaurer après, çà équivaut quand même à une bonne dizaine de dons du sang
C’est que de l’entraînement en fait.
Entraînez vous partout, en famille, au resto, dans les transports, au boulot, à la cantine, à la messe, partout quoi.
Et vous deviendrez un pro du regard furtif.
Malgré ma technique il m’arrive de retomber dans les travers de mes ancêtres et l’accident est toujours possible.
Ainsi, ce matin, je fixais tel le bourrin moyen, la poitrine d’Isabelle.
Est arrivé ce qui devait arriver :
— On peut savoir c’que tu regardes ?
Mais un vieux renard comme moi, vous imaginez, j’ai plus d’un tour dans mon sac.
Je l’ai regardé le sourcil froncé et interrogatif :
— J’me demandais, c’est quoi comme couleur ça ? Beige ou blanc cassé, on sait pas trop en fait.
— Prends moi pour une cruche toi.
Bon, ça marche pas à tous les coups mais bon, ça coûte rien d’essayer.
Et pis j’ai été voir tati pour lui en parler.
J’aime bien avoir son avis car elle est pleine de bon sens et ses jugements sont illuminés de sagesse.
Je lui ai donné un exemplaire de ma thèse et lui ai expliqué le détail de la technique, avec des petits schémas, en insistant bien sur la rapidité du truc.
Elle hochait la tête, visiblement impressionnée, et conquise par ma théorie.
Et elle a juste dit çà :
— Ouais. Tu sais combien y m’faut de temps à moi pour estimer ta connerie ?
Qu’est-ce que les gens sont méchants quand même.