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Je ne vous y encourage pas

Lors des conseils de classe, avant, on pouvait attribuer à chaque élève, des félicitations, des encouragements ou des avertissements.
Les félicitations pour les très bons élèves, mais ça vous l’auriez deviné, les encouragements pour ceux qui sont au taquet mais qu’avancent pas, avertissement travail pour les touristes, et avertissement comportement pour les ambianceurs.

Mais on peut pu.
Parce qu’y parait que les avertissements provoquaient des drames dans les familles, des traumatismes graves et irréversibles chez les élèves et peut être même des hospitalisations. Donc le chef nous a encouragé à ne plus les encourager et nous a félicité de ne plus les féliciter.
Parce qu’il faut savoir qu’un avertissement travail en 6e, ça vous suit toute la vie, comme un casier judiciaire, et que ça peut vous foutre une vie en l’air un truc pareil.
Voire plus.
Nous on savait pas, mais heureusement le chef y nous l’a dit.

Et pis il a dit que c’était pas normal de donner des avertissements aux uns et pas aux autres et que la république c’était tout pareil pour tout le monde.
Alors j’ai dit que pour les notes, c’était un vrai scandale, de créer des différences comme ça entre les élèves, que c’était de la discrimination, et qu’y fallait que ça cesse. Mais bon, le chef il était pas d’accord et m’a dit que si j’avais d’autres trucs intéressants comme ça à dire, que j’hésite pas à intervenir.
Et ça m’a fait plaisir.

Ben des collègues y z’ont dit que c’était pas normal, qu’il fallait féliciter ceux qui travaillaient dur, mais le chef il a dit qu’y z’avaient déjà des bonnes notes et qu’y fallait quand même pas pousser, et puis quoi encore.
Alors y’a des collègues qu’ont dit qu’ils mettraient les félicitations dans leur commentaire et il s’est fait avoir.

Après on a parlé d’Acène, élève de 3e, qui a insulté à peu près tout ce qui bouge dans l’établissement, toute forme de vie quoi, dont ses profs, volé une bonne quinzaine de portable, racketté une trentaine d’élève de 6e et incendié les poubelles de la cantoche.
On a fait un débat, très chaud, le chef a dit que c’était un cas sensible, parce que le chef il a toujours un dictionnaire d’euphémismes sous la main, et on a juste mis qu’on serait bien content si il était plus gentil, et qu’on s’excusait pour les désagréments causés par les expulsions, parce que c’est vrai que ç’a dû lui chambouler son emploi du temps ces trucs là.

Tout ça pour vous dire, vous inquiétez pas, on s’occupe bien de vos gosses et on risque pas de leur faire du mal.

Parce que tous égaux chez nous, ç’a du sens.
Voyez.

Le cador

L’autorité, c’est un truc très relatif.

Avec des gosses éduqués, polis, respectueux, j’ai une autorité redoutable.
En plus, si ils sont petits, des 6e par exemple, j’vous dis pas.
Un vrai cador.
Là où ça se complique, c’est quand ils sont peu éduqués ou pas du tout.
Et qu’ils ont ma taille.
À savoir 1,65 déplié.

C’est vrai que lorsque je dis :
— Asseyez vous !
Ils le font.
Ça oui.
Mais pendant une minute.
C’est l’autorité à courte durée.
Remarquez, c’est déjà pas mal.
Il suffit juste de le répéter 50 fois par séance.
C’est tout.

Mais j’ai surtout un gros désavantage, c’est qu’il m’arrive de plaisanter.
Là pareil, avec des gosses éduqués, polis, respectueux, aucun problème.
Mais avec des gosses peu éduqués ou pas du tout, pour lesquels toute remarque est une insulte, l’ironie non comprise est vite assimilée à de la diffamation.

Heureusement il m’arrive de tomber sur des élèves aussi ironiques que moi.
Comme Bénédicte, élève de 4e, très drôle avec qui j’avais des échanges très amusants.
Rares sont les élèves qui me font marrer.

Après un de ces fameux petits exposés où il m’arrive d’inverser des mots, suite à mes nuits de folie, ce qui donne des trucs assez curieux, elle prenait à chaque fois un ton très aristo pour me dire, par exemple :
— Monsieur, sans vouloir vous froisser, vous nous feriez pas une grosse fatigue en ce moment ?
Ou :
— Monsieur ! J’ai tout compris ! Mais ne vous réjouissez pas trop vite, vous n’y êtes pour rien.

Lors d’une séance informatique, Bénédicte et sa meilleure amie m’informent qu’elles ont un problème avec leur pc.
Je les rejoins, ausculte, diagnostique, marmonne, jure, solutionne et je leur dis :
— Et voilà mesdemoiselles, le problème est réglé !
Bénédicte ravie et avec son ton très aristo :
— Oh monsieur ! Vous êtes notre sauveur !
— Pas de manières entre nous, vous n’avez qu’à m’appeler Jésus.
Rires.

Ouais.
Mais elles m’ont appelé Jésus jusqu’à la fin de l’année.

Un argument imparable mais paré

Je me dois de vous informer d’un drame vécu chaque jour par bon nombre d’entre nous, pauvres enseignants que nous sommes, fourbus par notre labeur quotidien (les jours où on travaille en tout cas), et ce toute l’année (les mois où on travaille en tout cas), pendant toute une vie (une vie assez pépère et paisible en fin de compte), et que si je choppe celui qui met des parenthèses après tout c’que je dis, y va finir par s’en prendre une !

Car il s’agit bien là d’un véritable drame, un fléau devrais-je écrire, qui nous laisse pantois à chaque fois (n’exagère pas quand même).
Bon, c’est bien les préliminaires, mais si on passait à l’acte ?

Amorçons la pompe par ce court dialogue entre Hachemi, élève de 4e, grossier, menteur, faul-cul, tricheur, moche en plus, et moi : tout l’inverse.
— Hachemi, tu sors ton classeur s’il te plaît ?
— Ben, je l’ai pas m’sieur.
— Ah bon, et on peut savoir pourquoi ?
— Heu… et ben… on me l’a volé m’sieur !

Voilà.
Ce fléau, ce drame, cette infamie, cette épouvante, c’est le vol de classeurs de techno.
C’est terrible.

Et à chaque fois je me retiens de serrer dans mes bras la victime d’un acte aussi ignoble, contenant difficilement mon émotion et par la même occasion, quelques larmes pressées de ruisseler sur mon beau visage buriné.
Né.

Parce qu’il faut le savoir, il s’agit la d’un véritable marché occulte de type mafieux.
Il semblerait que l’on ait affaire à un vaste trafic international de classeurs de techno à destination de l’Afrique dont la plaque tournante serait mon petit collège.
Si.
C’est à peine croyable.

Et comme d’habitude, ce sont les petits pays en voie de développement, ceux qui peinent tant à subsister, qui se voient refourguer ces classeurs de contrebande de piètres qualité, et dont certains, et c’est à peine croyable, sont coupés avec des classeurs de SVT.
Bon, si encore les classeurs volés étaient bien tenus, propres, classés, mais celui d’Hachemi ?
Que va faire ce petit africain affamé quand il va l’ouvrir (le classeur) et qu’il ne verra rien ? Pas une feuille, pas une intercalaire, pas une pochette plastique, rien, nib, que dalle, nada ?

Fin du dialogue :
— C’est ça, prends moi pour un imbécile. Bon, tu as une semaine pour le refaire, sinon je t’occupe un mercredi après midi et moi, de mon coté, je lance un avis de recherche international.
J’sais pas vous, mais moi, j’aime pas trop qu’on me prenne pour un con.

Mais j’admets toutefois, à sa décharge, que parfois, la confusion est possible.

Dernière minute : ce matin, une élève de 4e dont j’attends un dossier depuis quelques semaines, est venue me voir :
— M’sieur, le dossier, j’ai pas pu, j’ai pas d’ordinateur à la maison et pis… mon oncle est mort… en plus.
— Mais dis moi, ça fait combien d’oncles que tu perds depuis le début de l’année ?
— Ben, heu… là c’est vrai…
— D’après mes calculs, on en est à dix sept, c’est terrible ça, comment fais-tu pour tenir le choc ?
— Ben…
C’est vrai que c’est pas humain un truc pareil.
En tout cas moi, tous ces morts, à chaque fois, ça m’fait le même effet.

Ça me brise le cœur.

Les moineaux et ceux qui les couvent

J’ai eu des enfants handicapés dans mes cours.

Ils sont là le plus souvent en raison de la combativité des parents qui veulent à tout prix que leur gosse soit comme les autres.

Rémy avait une maladie génétique, des malformations au visage, au niveau du cœur.
Les élèves de la classe ont été bien préparés à son arrivée mais ont eu des difficultés à s’en approcher.

J’ai appris par la principale-adjointe qui venait de rencontrer les parents, que le moineau était condamné et qu’il le savait.
On apprend des trucs, comme ça, au détour d’un couloir, mais on sait pas trop quoi en faire.
J’ai traversé la cour, ou ça sautille dans tous les sens, ça crie, ça rigole et moi, j’avais de la mort dans la tête.
J’ai cherché le moineau. Il était seul, et jetait des cailloux contre un mur, cool, comme ça, distraitement.
Je lui ai proposé de rejoindre les autres et de s’amuser avec eux.
Il a refusé.

Rémy avait de vraies capacités mais était pour le moins un peu fainéant.
Donc je le punissais, et son père que j’avais croisé un soir à la sortie du collège m’en était reconnaissant.
Il était content que je punisse son fils, comme ça, ça faisait de lui un gamin comme les autres.
La reconnaissance passe par des voies parfois.

Je voudrai vous en dire plus, mais je peux pas.
Vraiment, je peux pas.

Mon deuxième moineau était paraplégique. Un super gamin, une pêche incroyable.
Pierre.
Un surveillant venait à chaque fin de cours pour le déplacer d’une classe à l’autre, un bon élève et plein d’humour.
D’ailleurs souvent il me vannait. Mais je me gardais bien de réagir. J’avais tort d’ailleurs.

Mais le souvenir que j’ai, c’était lors d’une sortie, dont le but était de leur faire planter un arbre.
Pour les parents, il était hors de question que Pierre n’en soit pas.
Son père a pris un congé d’une après midi et a transporté Pierre dans son véhicule aménagé, en suivant le bus.

Arrivés sur place, nous devions grimper sur des talus, passer dans les bois, crapahuter quoi.
Son père a sorti une sorte de chaise portable, il a assis Pierre dessus, l’a sanglé et a fixé le tout sur son dos.
Pierre devait faire 40 kg. Et le père nous a suivi toute l’après midi, il était en nage.
En nage.

J’ai proposé de le remplacer.
Mais il n’en était pas question m’a t’il répondu en souriant, d’ailleurs il a souri toute l’après midi.
Pierre sur son trône a fait le con tout le temps.
Et ç’a duré trois heures.

À la fin de l’expédition, son père épuisé, a installé son gamin dans sa voiture, s’est changé discrètement, et nous a rejoint.
Il était pleinement satisfait de cette sortie et n’a fait que parler de ça, alors que moi, j’étais soufflé par ce que j’avais vu.
Et il souriait encore.

J’avais envisagé de faire un cours sur les connards, faudrait que je songe à en faire un sur les gens bien.

Ouais.
Faut qu’j’y pense.

Notre réserve naturelle

Le devoir de réserve.

Il était temps d’aborder sur ce glob cet aspect méconnu de notre métier
Un aspect que l’on retrouve dans toute la fonction publique, mais aussi, sous différentes formes dans le privé.
Nota : à l’attention de tous les collègues, qui sont passés directement de leurs études à l’enseignement, j’expliquerai prochainement ce qu’est le privé, une entreprise, un licenciement, avec des vidéos, des petites activités ludiques, des simulations 3D, et peut être bien une visite sur site, mais là, seulement pour ceux qui ont un mental fort.
Parce que ben, c’est pas joli joli.

Mais revenons en au DR.
Et là je pense particulièrement aux jeunes enseignants, qui ne sont pas informés du devoir de réserve.
Nota : j’ai lu à plusieurs reprises sur des globs « droit de réserve ».
Attention ! Le devoir de réserve ne constitue en aucun cas un droit !

Mais revenons en au DR.
Imaginons une jeune enseignante en arts plastiques, fraîchement moulue (et bien moulée de préférence), affectée dans une ZEP chatoyante.
Elle avait l’habitude lors de soirées étudiantes, de pratiquer entre amis des strip-teases débridés, se laissant largement tripoter par les 3e année.
Et ben elle peut pu.

Depuis son intégration dans la fonction publique, elle est soumise au devoir de réserve et devra donc conserver son string.
Ça fait un choc, c’est sûr, car on ne change pas comme ça de vieilles habitudes.
Et encore, elle a de la chance, parce que pour une principale-adjointe, c’est string et soutif.
Car en effet, plus on grimpe dans la hiérarchie, plus les contraintes sont fortes.
Ainsi, un ministre devra rester totalement habillé.
Autant vous dire qu’inviter un ministre à une soirée strip-tease, c’est pas marrant du tout.
Une principale-adjointe non plus d’ailleurs.

Retrouvons maintenant notre jeune enseignante en arts plastiques, avec des amis, tranquille, à la chasse au sanglier.
Elle papote, sereine, entre deux salves de chevrotines 12 grains, lorsque excédée par ses ratages successifs, elle s’exclame :
— Ah putain ! Ce s… , quel connard !
Ça peut arriver.
Ses collègues, fort justement, lui font remarquer qu’elle est agent de l’état et donc soumise au DR et qu’elle vient de faire fuir un sanglier de 80 kg.
Elle devra donc reformuler son propos de la façon suivante :
— Oh pétard, ce s… , y’a des fois, il est pas gentil quand même.
Ou mieux :
— Oh parbleu ! Ce s… , des fois quand même, alors.

Et les situations sont nombreuses ou cette jeune enseignante devra surveiller et contenir sa fougueuse jeunesse.
Par exemple, si elle pense que son chef est complètement con, qu’il évacue tous les problèmes d’un revers de main, qu’il est incompétent, désagréable et
gros en plus, elle peut pas le dire.
Au chef oui, mais lui, il le sait déjà, y s’en fout
Et pis bon, c’est pas bien de cafter.
On remarquera au passage, que si son chef pense la même chose d’elle (sauf le poids), il peut encore moins le dire, puisqu’il est chef.
Et moins dire que dire, j’vous dis pas.

Et la politique ?
Bien sûr, vous pouvez afficher vos opinions politiques mais en prenant soin de les diluer subtilement.
Le tout étant de bien respecter la parité, comme ceci par exemple :
« Je vote à gauche, non pas par convictions, idéal ou je n’sais quoi, mais parce que je suis de droite, un vrai libéral quoi, et que j’pense qu’à mon intérêt. »
Voilà.
Comme ça, tout le monde est servi, et donc, normalement, il ne devrait pas y avoir de problèmes.

Normalement.

Une journée bien chargée

J’sais pas si vous êtes au courant, mais des fois, y’a des grèves chez nous.
(introduction hautement provocante quand on sait que les parents se retrouvent ces jours là avec les enfants sur les bras, et ces derniers, avec les parents sur le dos)

Bon, les grèves, j’en suis toujours informé par les élèves, qui viennent me demander si je la fais, parce que dans ce cas, pour eux, c’est l’occasion de rester à la maison.
Et je prends mon air triste, je regarde le plafond, ils regardent le plafond, je regarde mes chaussures, ils regardent mes chaussures, je les regarde, et je leur dis que j’la fais pas, rien que pour les faire chier.

Et donc cette fois là, la grève devait avoir lieu un mardi.
Le lundi soir, la veille donc, je passe voir un couple d’amis, presque voisin, et ils me gardent pour dîner.
On s’envoie deux barils de pétrole brut et on termine sur un bon Cognac, que tu m’en diras des nouvelles, et qu’t’en reprendras bien un p’tit pour la route, non merci, bon d’accord, mais le dernier alors.
Je rentre chez moi vers une heure du mat, à pied, et bien allumé, je me couche dare-dare et je m’endors itou.
Six heures du mat, le réveil sonne, façon alerte nucléaire générale, et j’émerge péniblement en constatant avec effroi, et vous allez le comprendre, que j’ai un mal de tête carabiné, à s’demander si j’ai pas pris froid la veille.
Bien crevé et épouvanté par la journée qui s’annonce, je réussis à réfléchir un peu et je découvre avec stupéfaction que je suis en complet désaccord avec les propositions du gouvernement notamment l’article 231 alinéa 22 et je décide de m’associer in extremis à la grève prévue.
Et donc je me rendors.

Un peu plus tard, quatre heures plus tard précisément, j’me lève, j’fais ma p’tite toilette, ce qui va assez vite vu que j’me salis très peu, et je me retrouve dans le salon, désemparé et tenaillé par une culpabilité que vous imaginez sans peine (ça m’étonnerait, mais bon).
Vers onze heures, Patrick, le responsable syndical, ayant constaté mon absence, m’appelle et me félicite pour mon engagement dans la lutte.
Un peu gêné, je lui réponds qu’c’est la moindre des choses, que ça commence à bien faire, et que j’sais pas c’qui me retient de tout faire péter.
Ébahi par mes convictions (récentes les convictions quand même), il me propose de participer à la manif dont le départ est fixé à quatorze heures.
La dernière fois que j’ai défilé dans les rues, c’était pendant mon service militaire, j’suis pas sûr de me rappeler, mais n’osant pas refuser, j’y suis allé.

Tout le monde m’a accueilli par des grandes claques dans le dos, en disant que décidément je cachais bien mon jeu, et qu’ça faisait bien plaisir à tout l’monde, d’autant que j’avais une réputation de merde, de jmenfoutiste, de connard fini, et donc, ça m’a fait plaisir.

Je fus chargé de tenir une banderole avec un truc méchant écrit dessus et j’étais bien content.
Malgré le temps couvert j’ai quand même mis mes lunettes de soleil, parce qu’on est passé devant toutes les terrasses des bistrots de la ville, que je connais bien, et réciproquement, et que je tiens, par souci d’éthique, à ne pas mélanger vie professionnelle et vie privée.
Mais c’était sans compter sur Jeannot, le patron du Gargouillis-Nichons-Club qui m’a reconnu :
— Qu’est-ce que tu fous là toi ?
— Ben… la lutte quoi…
— Toi la lutte ? Branquignole va ! Amène toi, j’te paye un demi !
— Ben là j’peux pas, j’suis en pleine lutte.
— Bouge pas, j’te l’amène.
Mes collègues de tranchée demandent ce qui se passe, et j’explique que ce type est un malade, que j’mets jamais les pieds au bistrot, que la dernière fois, j’avais huit ans et que j’étais forcé par mon père, pour boire un Coca.
Et Jeannot s’amène avec le demi.
— Tiens, il est bien frais. Dis donc, Laurence a appelé, y paraît qu’elle arrive pas à te joindre. Putain, toi et les nanas, j’te jure !
Pendant que je me demandais si on pouvait empaler quelqu’un avec un piquet de grève, Patrick annonce dans son porte voix que l’on approche de la préfecture et qu’il faut qu’on gueule bien fort. J’en profite pour expliquer à Jeannot que ce serait trop long à lui expliquer, et que ça me rendrait service s’il arrêtait de m’en rendre.
Bon, on a bien gueulé, mais visiblement y’avait personne, puisque personne n’a répondu.
Et on s’est dispersé.

J’étais avec les collègues du collège et y’a trois types qui sont venus nous voir avec des câbles, une caméra, et un gros micro poilu et y en a un qui m’a demandé ce que je pensais des deux dernières mesures du projet de loi.
J’étais bien embêté parce que je savais même pas qu’y avait un projet alors vous pensez, les mesures, en plus les dernières.
Mais j’me suis pas démonté, j’ai dit que le projet était inacceptable, qu’on s’laisserait pas faire, qu’y en avait marre, qu’on était pas des chiens, et qu’on irait jusqu’au bout, et même plus loin, et tout quoi. Le type était bien content et il a dit que ça passerait sur France 3 le soir même.
Les collègues m’ont applaudi, en disant que j’avais été très clair et que j’étais un vrai leader, et qu’ils étaient surpris par mon charisme, et que venant d’un type qu’était pas foutu de tenir ses classes, et qu’avait l’autorité d’une pompe à vélo, c’était surprenant, et ça m’a bien touché.

Après ça, je suis allé au Gargouillis-Nichons-Club boire l’apéro. Jeannot a mis France 3 pour les infos et j’étais une vraie star.
Je suis passé juste après le préfet, qu’a dit qu’il avait rien entendu parce qu’y avait du bruit dehors, et avec les clients, on a tous regardé.
Mais en fait on a surtout vu Patrick, car moi, j’étais juste derrière lui, en train de boire ma bière.

Si c’est pas d’la malchance ça.

Vamos a la playa (10/11)

10 – Hasta luego !

Ils sont tous là avec leurs sacs, agglutinés autour du bus.
On fait un dernier appel, on remercie les familles d’accueil, d’ailleurs y’avait des mamans mignonnes, bon voilà et on quitte le bled à grands coups de klaxon, vivement qu’on soit rentré, avec un peu de chance, j’pourrais voir Sébastien samedi soir à la télé.
On a mis longtemps pour rentrer au pays.
Ouais, y’avait une astuce.
Le chauffeur devait impérativement se limiter à huit heures de conduite suivies de huit heures de pause.
Donc il a dit qu’à onze heures du matin, y fallait s’arrêter pendant huit heures avant de terminer le voyage.
Tout ça pour pas se faire gauler par les bleus ce dont il n’avait rien à foutre à l’aller.

Vous imaginez une pause de huit heures ?
Les gamins étaient pas contents, nous pas trop, le chauffeur emmerdé, et ça sentait l’embrouille son truc, mais bon.
L’endroit choisi, c’était un hypermarché, une zone commerciale immense, je trouve ces endroits sinistres, et on a libéré les gosses en fixant rendez-vous à 19 heures.
On s’est fait un p’tit resto entre adultes, enfin, un resto de supermarché, une cantoche quoi.
Le chauffeur est parti siester, c’que j’aurais bien fait aussi mais en tant que virilisator j’ai arpenté pendant huit heures au cas ou.
J’sais pas ce qu’ont foutu les mamies mais j’les plus vu de l’après midi.
D’façon elles étaient crevées, elles risquaient pas de fuguer.
J’me suis acheté des gâteaux en souvenir de l’Espagne, et j’me suis bien fait chier.
J’ai vaguement essayé de draguer la caissière qui causait un peu frenchy, mais allez conclure vous dans un endroit pareil.
Ça va vous surprendre mais y’a pas eu de problème, d’ailleurs j’ai quasiment pas vu de gamins pendant mes déambulations, que j’pourrai faire un plan détaillé du lieu d’ailleurs.
Et on s’est tous retrouvé à l’heure dite et on a repris la route.

Les minettes ont viré toute trace de maquillage, sans attendre l’ordre des mamies, y’avait du parent dans l’air.
Pis les tee shirts avaient rallongé d’un coup. Après ça on dira que les parents n’ont pas d’autorité.
Croyez pas c’qu’on vous dit à la télé, 90% des gamins c’est du caviar.
Pour les œufs de lumps, on fait comme on peut.

Les gamins ont fait les cons un moment et puis ça s’est calmé.

Je rêvassais un peu. J’attendais, tel le baleineau de base guettant le plancton (sympa la comparaison non ?), l’occasion de taquiner une dernière fois les mamies.
Et en taquiner une seule aurait suffit à mon bonheur.

L’occasion s’est présentée sous la forme d’une grossièreté qu’a tapé l’plafond du bus, rebondi violemment sur le pare brise et qu’a atterri sur les mamies.
Au lancer, c’était Kévin.
Il a dit : « putain ».
Incroyable non ?
Et oui, ça arrive, même aux meilleurs d’entre nous.
J’ai dit les meilleurs, les autres ça leur arrive jamais.

Une mamie a jailli de son siège, enfin jailli, a bondi hors de son siège, non ça va pas non plus, s’est extrait de son siège, ou plutôt s’est hissé hors du truc là, putain c’est pas évident d’être précis, ça y est j’ai encore dit putain, bon bref, s’est levée et s’est dirigée vers le malpoli.

Le pauvre, j’en étais peiné, ça m’a brisé l’cœur, il s’est pris une soufflante, et que Dieu dans sa grande bonté pardonne à cette pécheresse, un truc à vous décoller les rétines.
Et la, je me pointe, avec un air sérieux, le regard sévère, à coté de mamie, et m’adressant à Kévin sur un ton autoritaire :
— Et pis on dit pas « putain », mais « putain de merde ».
Mamie s’est tournée vers moi, et m’a regardé, les yeux écarquillés, scotchée.
— Non mais ça va pas bien Charly ?
— Ah écoutez, moi j’suis comme ça, j’supporte pas l’approximation, quitte à être grossier, autant l’être bien.
— Mais faut vous faire soigner mon pauvre Charly !
— Excusez l’emportement, mais cette jeunesse qui se vautre dans l’à peu près, dans l’allusif, c’est bien simple, ça m’révulse.
— Bon ben Charly, on en reparlera, en attendant, allez vous asseoir, j’vous amène un p’tit cachet, j’ai c’qu’il faut pour les nerfs.

Voilà. C’est pas compliqué en fait.
Et ce qui m’a fait plaisir, c’est que les gamins, y z’ont bien fait comme j’ai dit.
Après ça, on dira qu’ils écoutent pas.

Mauvaises langues va.

À suivre…

Vamos a la playa (9/11)

9 – Des affaires de ventre.

Aujourd’hui, c’est dernier jour.
On commence à être bien crevé.
Et ici la fête est à son comble.
Pendant la fête des fallas, y construisent des statues géantes en carton, papier, bois ou autre, que c’est énorme ces trucs, et y’en a à tous les carrefours.
C’est un peu comme les corsos chez nous, sauf que ça bouge pas et que c’est dix fois plus grand.
Donc ç’a rien à voir quoi.
Et après une semaine de fête, c’est l’apothéose, et le principe est simple : y font tout cramer.
Y’a des pompiers dans tous les coins parce que ça fait des flammes immenses ces machins.
Mais bon les autochtones sont tout contents et donc, et c’est comme un réflexe, y recommencent avec leurs pétards à la con.

Nous, après, on a tous été au resto. C’était prévu, pour passer cette dernière soirée ensemble.
Une des mamies a commandé un peu de pétrole pour le chauffeur et moi, ça m’a étonné.
Une qu’arrêtait pas de me faire des sourires, qu’c’en était gênant.
J’espère qu’elle s’imagine pas des trucs celle la parce que j’ai beau être prof, j’ai un minimum d’ambition quand même.
Elle s’est mise en face de moi, et pour garder la distance, j’ai sorti une vanne bien salace, que ça l’a pas fait rire du tout et ça m’a laissé peinard pendant une heure.
Rien de tel qu’un peu de vulgarité pour éloigner les emmerdeuses.

J’sais pas si vous êtes timides vous, mais y’a des gamins pour eux c’est un vrai problème.
Mais timides à un point qu’y sont incapables de faire leurs besoins hors de chez eux.
Et donc Nicolas, depuis une semaine, il s’était retenu, sans retenue, mais avec tenue.
Vous allez m’dire, on l’voit venir, l’autre va s’lâcher en plein resto, ben non, le pauvre, pour lui l’apothéose c’était occlusion intestinale.
Bon y souffrait l’gamin et on savait pas c’qu’il avait.
Avec le chauffeur on débouchait la deuxième bonbonne quand la prof d’espagnol m’a demandé de l’accompagner aux urgences avec le moufiot, parce que je suis virilisator.
Donc on est parti dans la nuit avec Nicolas, que ça m’faisait mal au cœur de le voir comme ça.
Et pour se déplacer là-bas on avait que le bus ou les mocassins, et pis de toute façon, avec la fête, on pouvait pas circuler.
Et on a marché, putain, j’aime bien la randonnée mais la, avec 2 grammes par litre, et pis les petites cloches sur les mocassins qu’arrêtaient pas d’bouger, ça m’donnait l’tourni.
Arrivés aux urgences, le docteur a tout de suite pigé et il lui a filé un truc, genre déboucheur, et ça allait un peu mieux.

Mais ça nous avait pris du temps tout ça et on est retourné au resto. Y z’étaient tous partis alors on a ramené le gamin chez sa famille d’accueil et on rejoint les collègues. Ils ont dit que les gamins avaient été lâchés avec pour consigne de rentrer se coucher.
Ouais.
Tu parles qu’y z’ont du s’précipiter au pieu les gamins, sans demander leur reste, un soir de fête.

Alors avec une mamie on est retourné en ville et on est passé chez certaines familles d’accueil pour s’assurer que les gamins étaient bien là.
Ben il en manquait pas mal, y devaient faire la fête en ville. Alors on les a cherché dans tous les troquets, que ça me faisait mal au cœur de rentrer dans les bars sans rien consommer, comme des malpolis, et ça pendant deux heures. On en a retrouvé plein, une vraie guirlande, mamie s’est chargé de leur évacuer le cérumen et il a fallu tous les raccompagner chez eux.
On est rentré à deux plombes du mat, on était vanné.
Avant de rentrer dans sa chambre elle m’a dit merci, qu’c’était bien d’avoir un homme quand y’avait des problèmes, parce que bon elles étaient bien crevées, et qu’elle savait pas comment me remercier, qu’elle avait bien une idée, mais qu’elle osait pas, ça m’a bien peiné, mais j’ai pas insisté, que de toute façon, j’avais la migraine, je suis entré dans ma piaule et j’ai fermé ma porte à clé.
J’ai dormi quatre heures cette nuit la.
Avec la pétoche au ventre.

À suivre…

Vamos a la playa (8/11)

8 – La liberté c’est sympa.

C’que j’déteste le plus dans ces trucs c’est les quartiers libres qu’on laisse aux gamins;
Non pas qu’je veuille les priver de liberté, mais ils sont quand même bien jeunes, certains sont encore de vrais bébés.
Alors de les lâcher dans la nature, ça m’fait un peu souci.
En fait c’est un peu comme si c’était mes gosses, et d’ailleurs, quand j’vois un d’mes élèves se faire bousculer, j’interviens toujours en prenant sa défense, même s’il a tort. C’est injuste, mais c’est MES élèves. Et on touche pas à mes élèves.
Ce qui me plaît bien dans l’idée que ce sont « mes » gosses, c’est que du coup, les mamans, c’est mes femmes.
Et oui, y’avait forcément une embrouille.
Donc si un de vos gamins est mon élève, j’peux tout à fait débarquer chez vous à l’improviste avec une valise et réclamer mes pantoufles.
J’ai le droit.
Vous expliquerez ça à vos maris. Moi je refuse d’en débattre avec eux car le plus souvent ils sont peu partageurs et d’un égoïsme, que ça les rendrait presque méchants, si c’est pas une honte ça.
Tout ça pour dire que si un prof vous dit que votre gamin c’est un peu « son » gosse mesdames, envoyez lui les factures d’orthodontiste, ça lui apprendra.

Mais bon, c’est surtout les filles qui me font souci, parce qu’elles sont bien mignonnes nos choupettes, et à cet âge, maquillage et tenue sexy, ça y va, d’autant que les parents sont pas là, et que pour certaines c’est l’occasion du premier coup de rouge à lèvre, du premier coup de crayon.
Bien qu’on soit plus dans le registre du coup de Stabylo voire du tag sauvage.

Quand j’ai vu Laure, Doria et Asma se pointaient au bus, j’les ai à peine reconnu. Maquillées, grimées, peintes même, comme des filles de mauvaise vie disaient les mamies.
Et c’est parti en vrille, un truc de génération quoi, qu’elles devaient virer tout ça et qu’on partirait pas tant que, et qu’elles se croyaient où.
C’est vrai que les mamies, question maquillage, c’était le minimum. Avec elles, tout se faisait sur la base du savon de Marseille, j’ai rien contre remarquez, mais ç’a tendance à agglutiner les poils de la moustache, et le léger liseré poilu qui contourne l’oreille est comme plaqué, c’est dommage, c’est tout.
Enfin bref, j’leur ai dit que c’était de leur âge, qu’elles avaient qu’à les conseiller plutôt que d’gueuler.
C’est vrai, on peut pas empêcher une nana d’être une nana, c’est pas possible.
C’est comme vouloir empêcher un mec d’être con, c’est pas possible non plus.
Mais ça encore, les garçons, j’peux les conseiller.
Bon moi le maquillage, j’m’en foutais, mais les tee-shirts façon soutien-gorge pas d’accord. Alors j’ai approuvé les mamies comme quoi elles devaient vite aller s’chercher un gilet ou autre. Les mamies étaient bien contentes que j’sois d’accord avec elles.
Ça m’emmerdait, mais la, j’ai pas pu faire autrement.

On s’est rendu dans une ville pour assister à un truc, j’sais plus quoi, une espèce d’intronisation, genre les tasteurs du Poitou, et y’avait une foule, putain, et c’est là qu’on devait lâcher les gosses. Avec un labyrinthe de ruelles, un coup à se pommer. Le chauffeur avait disparu, on a été au resto avec les mamies, après avoir donner les consignes, enfin donner, gueuler, brailler les consignes devrais-je dire.
Bon, comme j’ai pas cessé de me poiler à table, l’après midi j’ai été me balader seul dans les rues.
Prendre la claque du printemps, de l’Espagne, des couleurs, des mots, et mater un peu.
Et je croisais de temps à autre un de nos gugusses. Y z’avaient l’air de bien apprécier, la liberté c’est sympa.

Et j’ai retrouvé Kamel et Grégoire, assis au bord d’une fontaine, en train de bouffer des bunuelos et des churos, avec un litre de Coca.
J’ai été les voir, fait part de mon étonnement de pas les voir dans la flotte, mais y disaient rien, y mataient.
Je suis toujours fier quand je vois mes élèves attentifs comme ça, studieux.
On a parlé nana.
On était à un carrefour de rues piétonnes, bordées de vitrines et le soleil ayant le chic pour dépoiler ces dames, j’avais plein d’exemples à leur montrer.
J’leur ai demandé de bien observer les nanas qui passaient devant les vitrines et de me dire ce qu’elles regardaient précisément.
Un p’tit cours interactif quoi.
Kamel a bien remarqué qu’elles ne regardaient pas ce qu’il y avait à l’intérieur mais bel et bien leur reflet sur la vitre.
Et que certaines faisaient que ça, en passant d’un coté à l’autre de la rue.
J’y ai mis 20/20.
En les regardant, on s’est dit que la nature était belle et qu’il fallait vraiment la préserver, comme quoi tous les chemins mènent à l’écologie.

Pis des gamins m’ont repéré et sont venus vers moi.
Le truc c’est que l’un d’entre eux s’était fait chopé en train de piquer des cartes postales.
Enfin eux disaient qu’il avait rien piqué en fait.
Bon je me suis pointé, sans rire, avec ma gueule de tueur, parce que même coupable, mon gamin, y z’avait pas intérêt à le malmener.

Y’avait un gros type devant le magasin qui tenait par le bras mon Dennis, tout apeuré, j’pouvais pas imaginer qu’il ait fait un truc comme ça.
Je me suis présenté, en espéranto, le type m’a expliqué, en espagnol, Dennis s’est justifié, en français, j’ai traduit au type, en espéranto, qui a compris, en espagnol, et j’ai payé, en euros.
Bêtement d’ailleurs, parce que Dennis m’a ensuite expliqué comment ça s’était passé, qu’en fait il allait payer mais qu’il avait stocké tous ses achats dans ses poches, faute de sac.
C’est bêta.
J’en ai pas parlé aux mamies, mais elles l’ont su par d’autres gamins, et j’ai eu droit à, que la moindre des choses c’était de leur dire, et que vraiment Charly tu es puéril mais à ce point c’est pas croyable, qu’y faut pas croire les gamins, qu’c’est des menteurs, Charly t’es d’une naïveté c’est consternant.
Comme d’hab quoi.
Mais ce qu’elles savaient pas, et y’a que Dennis et moi qu’on le savait, c’est qu’il avait aussi piqué des montres, des trucs de Mickey ou dans l’genre, et qu’y a qu’moi qui l’ai vu.
Et que j’l’ai envoyé les remettre en place et que j’l’ai collé au cul pour m’en assurer et que si j’ai calmé le jeu c’était pour qu’ça parte pas en sucette ce truc.
On s’est expliqué avec Dennis, entre quatre yeux, et j’lui ai passé un savon, mon vieux, j’ai du lui faire sauter la moitié de l’hypophyse.

En parlant d’savon, où qu’elles sont les mamies ?

À suivre…