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Les 6e4 visitent Alphonse (3/x)

chevre_75Ce que j’aime bien avec les 6e4 c’est qu’y sont vachement au courant des derniers bonbons à la mode. C’est vrai, moi j’en suis toujours aux Chamallow, ou les trucs à la menthe que tu suçotes tranquille en pensant à rien. Ou même des fois des caramels qui collent bien aux dents, et que d’ailleurs si tu sers bien fort, ben tu peux plus ouvrir la bouche, trop drôle le truc.
Ben en fait, c’est juste ringard.
Mais ils ont aucun mérite les gamins, c’est pasqu’ils regardent les pubs et que dans les commerces, les bonbons sont juste à leur hauteur, alors que nous à notre hauteur, y nous mettent juste les nouilles, alors c’est sûr, on peut pas lutter.

— Oh !! Vous allez pas commencer avec tous ces bonbons !! Sinon c’est bien simple, je vous les confikse !! (c’est pas de bol, mais quand je m’énerve, j’inverse systématiquement les qu et les s, j’vous dis pas le choc que c’est à chaque fois, la perte de la plus élémentaire des dignités, l’autorité qui part à vau l’eau, comme si d’un coup on te virait tous tes galons dans la cour de la caserne devant tout le monde et même le général aussi, et t’es plus qu’une loque quoi. Mais y s’moquent pas les mioches, pasqu’ils ont bon fond, et qu’y sentent bien qu’au fond, ça pourrait être assez grave pour eux.

— C’est vrai quoi !! Je vous rappelle que c’est une sortie culturelle pas alimentaire, c’est le conseil général… pourquoi tu pouffes toi ?? Oui, le conseil général qui paye non ?? C’est pas Haribo ?? Ni Dragibus ?? Bon alors…

Dragibus j’adore. Après l’amour surtout. Hop, un dragibus, ben ça remplace avantageusement la cigarette, c’est vrai, et même des fois, Isabelle elle disait que c’était le meilleur moment, mais elle me charrie tout le temps. Bon, faut juste retourner se laver les dents, mais c’est tout.

— Hé m’sieur !! Les bonbons, vous nous les confiksez ?!?!

????

!!!!

?!?!

Y s’moque là ??

Ben non c’est pas possible, y zont bon fond.

— J’espère que tu t’moques pas de moi Bourzig, pasque tu prends un gros rikse !!!

Hé merde.

— Bon ok, lâchez-vous un bon coup, c’est vrai que c’est drôle, et puis bon, rire un peu ne fait pas de mal… voilà… allez-y… voilà… Ooooooh !! Un peu j’ai dit !!

— Alors tu t’en sors bien avec les gamins à c’que j’vois…
— Oui oh tu sais Isabelle, c’est de la pédagogie de base, un peu d’humour pour égayer le voyage tout en assurant la sécurité de chacun…
— Notre assurance tout rikse en fait…
— Voilà… oh non Isabelle, pas toi…

À suivre…

Les 6e4 visitent Alphonse (2/x)

moulin_75Ce coup-ci, c’est le moulin d’Alphonse Daudet, si t’as lu l’introduction cher lecteur. Il est bien gentil Alphonse mais son moulin, je l’ai visité une centaine de fois depuis l’âge de cinq ans, alors je sais surtout que le moulin il y dormait pas trop, vu que sa copine habitait dans le château d’à coté, et que visiblement madame avait froid aux pieds le soir, et que le père Alphonse faisait office de bouillotte pour sa seigneurie.
Sacré Alphonse. Quand je pense qu’on est des milliers à visiter sa cambuse, alors que monsieur ne faisait qu’y reprendre des forces après des nuits de baltringue.

Bien sûr les 6e4 sont de la partie, et je dois dire que lorsqu’ils ont su que j’en étais aussi, ils étaient tout contents.

Moi moyen.

— Hé m’sieur j’pourrais m’asseoir à coté de vous ????

Compte là-dessus gamin.

— Au fait, j’ai oublié de t’en parler mais si tu pouvais leur expliquer ce qu’est un moulin, comment ça fonctionne…
— Ben qu’est-ce que j’en sais moi, comment ça fonctionne un moulin…
— Ben c’est pas toi le technologue ???
— Si, mais pas spécialisé dans le moyen âge si tu veux savoir…
— Tu parles d’un truc du moyen âge !! Ça fonctionnait encore y’a cent ans !!

C’est dingue cet amour qui diffuse entre moi et Isabelle. C’est vrai, à chaque fois ça m’émeut. Alors évidemment, à première vue ça ne saute pas aux yeux, mais pour un psychanalyste expérimenté qui a fait de la psychiatrie lourde en soins intensifs, c’est une évidence. Ça fait chaud au cœur en tout cas.

— Bon, t’as compté tes 6e4 ??
— Faut les compter ??
— Ben oui, ça se compte des 6e4, deux fois au moins, au départ et à l’arrivée. L’objectif étant qu’on en ait le même nombre à l’arrivée qu’au départ, mais je te rassure, ça reste un objectif, y’a forcément des aléas.
— …

Elle a un drôle d’humour des fois Isabelle.

Bon, pour compter les 6e4, y’a deux techniques en fait.
Soit tu comptes le nombre de papiers de bonbon par terre et tu divises par 3, à deux ou trois près t’as bon, soit tu mesures le niveau du son, avec un sonomètre, si t’as 130 dB, c’est qu’ils sont tous là.

— Isabelle, j’me mets où dans le bus ??
— Tu vois ça ?? C’est mon siège. Hé bien à partir de là, tu comptes dix pas vers le fond du bus et c’est ta place.

Ben oui, l’amour parfois fait des détours, ben pour moi, c’est tout droit au fond.

À suivre…

Les 6e4 visitent Alphonse (1/x)

bus— Ah, monsieur Le Prof, vous tombez bien… je vous cherchais, vous pourriez venir dans mon bureau ???

Ohlala, pas bon cette affaire, quand la principale adjointe me convoque dans son bureau, ça sent la proposition indécente.

Non je déconne, c’est bien pire, c’est qu’elle cherche quelqu’un pour une sortie scolaire. À vrai dire, n’importe qui ferait l’affaire, mais pas de bol, c’est moi qu’est passé devant son bureau à l’instant fatidique.

— Bon comme vous le savez, et si vous ne le savez pas et bien je vais vous l’apprendre, madame Deschamps organise une sortie au moulin d’Alphonse Daudet, vous savez, l’écrivain, l’auteur de « La mule du pape », de « Tartarin de Tarascon », vous voyez de qui il s’agit ??? Ça vous parle ce que je viens de dire ???

J’adore quand la principale adjointe me prend pour un con, c’est vrai, ça me touche, j’ai l’impression d’exister.

— Ben c’est pas l’auteur de « Tartarin de Tarascon » ???
— C’est ce que je viens de vous dire, mais c’est pas grave. C’est madame Deschamps qui s’occupe de tout. Alors voilà, le plus simple…
— Mais on y va en bus ???
— Ah ben ça, on va pas vous payer le voyage en Concorde, alors le plus simple…
— Non mais c’est pasque dans les bus j’ai des sortes de nausée, c’est vrai, un peu comme le mal de mer…
— Ben vous prendrez un petit quelque chose…
— Non mais je plaisante pas, déjà petit, en voiture j’avais comme des incommodités gastriques…
— Ben amenez-moi un p’tit mot d’excuse de votre maman. Allez, sérieusement, rapprochez-vous de madame Deschamps, c’est elle qui organise le voyage. En tout cas merci, vous me retirez une sacrée épine du pied…
— Oh ben y’a pas d’quoi, quand on peut rendre service…

Putain de merde ouais.

Surtout quand on sait que madame Deschamps se prénomme Isabelle, et qu’il y a comme un contentieux entre nous, à base de malentendus nappés d’une bonne dose de quiproquos.

— Salut Isabelle, dis, y’a la principale…
— Tiens, t’es là toi…
— Ben oui, en personne, j’avais pensé à me faire représenter, puis bon, sachant que t’étais là… Au fait, tes parents vont bien ???
— Oui ben tu laisses mes parents tranquille, chaque fois que je prononce ton nom devant ma mère, elle fait un malaise vagal…
— C’est quoi ça ???
— Oui bon laisse tomber, tu veux quoi encore ???
— Ben y’a la principale adjointe qui m’a demandé de me rapprocher de toi pour la sortie Tartarin…
— De te rapprocher ??? Et ben te rapproche pas trop quand même, c’est toi qui nous accompagnes ???
— Ben oui, elle m’a dit qu’elle voulait quelqu’un de sérieux, impliqué, responsable, et tu reconnaîtras que dans le genre, je me pose un peu là…
— Ouais, la chef aurait dû me consulter, je lui aurais nuancé le tableau, apporté quelques touches de réalisme…

Comme tu peux le constater cher lecteur, ce voyage s’annonçait sous les meilleurs auspices, l’enthousiasme le disputant à l’euphorie, l’exaltation bataillant ferme avec la frénésie. Et c’est ainsi que la plénitude m’envahit peu à peu tandis que je me languissais les 4 heures de bus débordant de 6e4 qui nous séparaient d’Alphonse, pardon, de son moulin.
— Hé Charly !!!! Ce coup-ci, pas d’alcool s’il te plait…

Devant 12 collègues en salle des profs, je frôlais l’humiliation, merci Isabelle !!
— Mais alors, j’prends quoi à boire ????

À suivre…

Les 6e4 se ramassent à l’appel

bourzig— Alors les jeunes, on joue au basket ??

Et oui, ce ton détendu de bon matin, c’est tout moi ça. Toujours s’intéresser à autrui, tel est mon credo, que dis-je : mon œuvre. « Se passionner pour l’humain tel fut son destin », voici l’épitaphe qui me siéra (nevada), mais ne nous empressons point, tant de choses restent à faire pour chacun.

— Vous savez que c’est interdit de jouer au ballon dans la cour ??

D’où me vient ce goût pour les autres ??
Je l’ignore.
Une nature certainement. Délicieusement nappée de chocolat d’amour, gorgée des fruits du bonheur, macérés longuement dans le coulis de la bonté.
Et au milieu ??
La cerise, celle qui fait le gâteau, dont je ne donnerai pas plus de détails, mais certaines comprendront (ou pas).

— Ah bon ?? Et mon pied au cul ça te dirait ??

Oh je n’en tire aucune fierté, j’ai la modestie chevillée et la discrétion ancrée.
Une ex me disait récemment : « Tu es aussi bon que con ».
C’est vous dire si je suis bon.

— VOUS ME PASSEZ CE BALLON OUI OU MERDE ?!?!

Le secret ???

L’écoute.

Cette capacité à se dilater le tympan afin d’y recueillir tant de précieuses pépites et accessoirement, un bon paquet de conneries en flux tendu.
L’écoute, voilà le secret.
Mais cessons de parler de moi, ça finit par être gênant, j’en rougis devant mon PC.

— Oh m’sieur vous shootez ?!?!
— Y’a pas de panier banane !!
— Si là, entre les deux grosses branches, c’est notre panier m’sieur !!
— Quelles branches ?? Ah oui, fais voir le ballon… j’m’en vais te montrer moi… j’m’en vais te le garnir le panier… han… et hop !!!! Trois points !! Youhouuuu !!!
— Oh m’sieur !! Vous l’avez envoyé par la fenêtre !!
— Quelle fenêtre ?
— Là, la fenêtre du bureau !!
— Et il est à qui le bureau là ?
— IL EST À MOI LE BUREAU !!!

Ainsi le chef a son bureau juste derrière le platane, vous saviez vous ??

— NON MAIS DITES-MOI MONSIEUR LE PROF !!! C’EST VOUS QUI JOUEZ AU BASKET ??
— Non c’est pas moi !! C’est Bourzig m’sieur !!!
— Hé non m’sieur c’est vous !!

Petit fumier va.
Non mais j’te jure.
Ah oui, parlons-en du sens du sacrifice des nouvelles générations, ça promet !!!

— Monsieur le chef je vous assure, cet enfant ment que c’en est une honte pour notre établissement…
— Si vous voulez bien venir récupérer ce ballon, j’ai à vous parler merci !!

Mais comment y me parle lui ?? J’vais te le remettre à sa place çui-là, bouge pas !

— Tout de suite monsieur !! Et encore toutes mes excuses !!!

Non mais.

Et c’est ainsi que penaud, je rejoignis le bureau du chef, sous les quolibets des 6e4, quolibets qu’ils avaient pris soin d’intérioriser, par simple prudence.

— Hé m’sieur !! Y va vous mettre une heure de colle ?? Ahahahahahah !!!

Mon dieu que c’est drôle.

C’est ça, faites les marioles, lâchez-vous. Abandonnez-vous aux bas instincts, faites parler la poudre de la malveillance, lâchez les chiens de la haine !! Libérez les hyènes du mépris !! Baveux que vous êtes et rougis par l’ignominie !! Livrez la carotte au lapin !!! Tant que vous y êtes !!

— Hé m’sieur c’est mon ballon, vous me le rendrez ??

Compte là-dessus gamin.

Chez les 6e4, le mélange ne produit pas l’excellence

amina— Alors Bourzig, pas l’air en forme ce jour…
— Ben non j’ai eu des problèmes d’estomac hier…
— Du genre ??

Voilà typiquement le genre de question idiote que tu prendras un soin particulier, cher lecteur, d’éviter. Car s’il est bien naturel d’interroger, emportés par l’empathie et cœurs serrés, soucieux que nous sommes de la santé de chacun, il n’en reste pas moins que grand est le risque de se voir submergés par un flux de détails gastriques qui ont la singularité de se transformer par le simple pouvoir de l’évocation en puissants vomitifs, vous amenant à présenter très rapidement les mêmes symptômes que l’intéressé, mais à la puissance dix.

— Ben à l’anniversaire de Fanny j’ai eu mal au ventre.
— T’as trop bouffé.

Voilà typiquement le genre de conclusion idiote que l’on tire quand il n’y a plus rien à boire et pas grand-chose à dire. Car tout de même, du simple constat d’un mal de ventre, déduire que son propriétaire est un sale goinfre malpoli relève d’un manque absolu d’élégance, voire de l’exercice illégal de la médecine. Alors qu’il peut s’agir tout simplement de la transhumance d’une trentaine de ténias vindicatifs, ou le plus souvent, d’un simple trombone bloqué dans un virage en épingle (ou l’inverse).

— J’sais pas…
— Ah mais ça les anniversaires c’est piégeur pour ça.

Là, par contre, il s’agit typiquement d’une illustration de cet art consommé qu’est la conversation, qui au travers d’une parfaite maîtrise de la relance, de l’utilisation appropriée d’une phrase inutile au contenu parfaitement discutable, offre l’opportunité de masquer avantageusement votre ennui profond, tout en exposant à autrui le vif intérêt que l’on porte à l’échange et l’exigence que l’on a de le maintenir à un niveau optimum.

— Et t’as bu quoi ??
— Du Coca… du jus d’orange aussi, et puis du…
— Olala !! Malheureux !! Cherche pas plus loin !! C’est les mélanges !!! Faut jamais mélanger !!! Et pourquoi pas citronnade et grenadine tant qu’on y est !!!
— ???
— Tiens, moi qui te parle, quand j’attaque une soirée à la citronnade, je continue à la citronnade, sinon pareil, je suis malade comme un chien.
— Vous buvez de la citronnade m’sieur ???
— Bien sûr, pourquoi ?? Ça te fait rire ?? Hé bien sache que je suis comme ça moi, ouvert à toutes les expériences.

Surtout quand je n’ai pas le choix.

Car je suis d’accord avec toi lecteur, c’est très suspect et extrêmement rare que je passe une soirée à boire de la citronnade. Mais quand comme moi tu dragouilles sans aucune clairvoyance et que tu te retrouves chez une joliesse qui ne boit pas et qui s’en désole en t’abreuvant de citronnade pour compenser, ne serait-ce pas subtilement con de faire des manières quitte à perdre une occasion en or ?? Ne serais-tu pas disposé toi aussi à passer une soirée à boire de l’Antésite sans moufter pour avoir accès au Nirvana ??? Hein ???

Mais revenons à nos moutons (comme dirait le loup).

— Et du coup tu as mal dormi ??
— Non ça va, j’ai bien dormi, j’ai même dormi comme quatre…
— ???…
— Manger comme quatre on dit !! Pas dormir !!!
— Allons les enfants, sa formule n’est pas dénuée de sens, mais dis-moi Bourzig, tu as mangé comme un loir alors ??
— Ben j’sais pas, j’sais pas ce qu’y mangent eux…

Bien.

À ce stade, réjouis je fus qu’aucun médecin n’assistât à la scène, sinon c’était hospitalisation d’office pour tous.

— Bon tu veux aller à l’infirmerie ???
— Là non, j’verrai en Maths si ça va mieux.

Mon Dieu que cet enfant est malicieux.

Et c’est ainsi que paisiblement se déroulaient ces petits bouts de vie, insignifiants peut-être, affligeants sans doute, consternants c’est sûr, pitoyables c’est clair, mais qui transcendent chacun (relis pour voir si c’est pas vrai) en une poignante célébration de la vie (qui n’en demandait pas tant) où inlassablement résonnent les questions essentielles dont les 6e4 ne sont que le simple écho.

Allez, à la douche.

Humectons la nuque du corps enseignant avant de le plonger dans le grand bain

charly le profJe te salue Ô Prof, qui va d’ici moins de temps qu’il n’en faut pour évacuer un camp de roms rejoindre la cohorte des affamés de savoirs qui hululent la nuit devant ta fenêtre quémandant leur pitance.

Tu te demandes bien pourquoi d’ailleurs car depuis le temps que tu ne glandes rien, tu ne connais plus vraiment ton statut. Mère au foyer ?? Chômeur longue durée ?? Polyhandicapé ??? Testeur chez Meetic ??

Et tu vis dans le doute.

Mais non !! Rien de tout ça !! Tu es prof en vacances !!!!

Oui, tu es prof, demande à tes amis, ils confirmeront. Si le doute persiste, regarde bien le nombre figurant au bas de ta fiche de paye, en bas à gauche, voilà c’est ça, et bien ça c’est prof. Et tu vois le cartable là dans ton bureau ?? Dans lequel t’as shooté tout l’été en le traitant de noms pas bien polis ?? Ben c’est ton cartable, si si.

Bien sûr, ta dégaine estivale t’a fait perdre toute crédibilité auprès de tes voisins ainsi que le petit brin de dignité dont tu étais si fière mais je t’assure, tu es prof.

Mais c’est vrai que depuis deux mois que tu claques des tongs dans le quartier affublé d’un short improbable et du tee-shirt idoine (et ce bob, mais vire-moi ce bob merde !!), tu as largement oublié quelle était l’origine des virements bancaires mensuels qui viennent ponctuer ta morne vie mais qui égaient tant ta vie de couple.
Hé bien tu dois le savoir : c’est ton salaire !!!

— Tu déconnes ??

Non non, c’est la vraie vérité, de la pure, comme dirait mon coquin de petit voisin de 9 ans qui fait le guet au coin de l’immeuble pour ses frères jusqu’à 23h00 dans un esprit de fratrie exemplaire et particulièrement émouvant.

Hé oui prof, tu as une activité professionnelle.

Ne prends pas cet air ahuri, non, je répète, ce ne sont pas des indemnités chômage, ni le remboursement de ton appareil dentaire, c’est ton salaire.
Alors évidemment je t’entends déjà t’exclamer : « Un salaire ?? Mais j’ai rien fait !!! »
Ça, on le sait, ça s’est vu, si tu pouvais être plus discret, merci.

Donc tu as un travail, qui porte un nom d’ailleurs : enseignant.
— Enseignant ??? Mais c’est quoi enseignant ??

Allons, calme-toi, Google te renseignera abondamment sur ce noble métier, profites-en pour faire une recherche sur « travail » et tu auras une vague idée de ce qui t’attend dans une semaine.

Voilà.

Tu as bien fait de t’asseoir, ça fait un choc c’est sûr, mais rassure-toi, tu n’es pas seul, et moi qui te parle (ou qui t’écris, ouais ça va, fais pas chier) je ne sais même plus où se trouve mon collège. Donc je pars en reconnaissance dès demain et j’ai pris de la bouffe pour trois jours.

Mais le plus difficile selon moi, ce sera le réveil.
— Réveil ?? C’est quoi réveil ??

Hé bien pour faire la chose qu’on appelle « activité professionnelle » il faut se lever le matin à une heure compatible avec la vie terrestre, c’est-à-dire avant midi.

— C’est une blague ??

Mais pas d’inquiétude !! Crénom !!! Se lever ne veut pas dire se réveiller !! Ça, tu pourras toujours le faire plus tard, tes élèves seront une aide précieuse pour ça.

— Élèves ?? C’est quoi l’arnaque ??

Ah oui, tu verras, dans les salles qu’on appelle « classe », y’a plein de monde. Bon, te formalise pas, c’est prévu dans les textes, alors pas de scandale je te prie.

Alors c’est bon ?? Ça revient ?? Ça va ?? Pas trop sonné ???
Ben ouais mais fallait bien que quelqu’un en parle, ça évite les mauvaises surprises.

Un zest de Bourzig

bourzig— Alors Bourzig, tu pars en vacances cette année ??
— Ben oui, comme tous les ans, je vais chez ma tati Laure à Troufigne.
— Troufigne ?? Mais c’est à 3 km Troufigne…
— Ben oui c’est pas loin mais l’année dernière on a eu un bouchon… quand même…
— Mais Troufigne heu… Troufigne le Haut ou Troufigne le Bas ??
— Ben à Troufigne le Bas, à Troufigne le Haut, y’a pas de route…
— Ah oui c’est vrai… Donc bouchon à Troufigne. Oh, la prochaine fois appelle Bison Futé, y te diront tout de suite si ça bouchonne à Troufigne…
— Mais non, pasque c’est pas à Troufigne que ça bouchonne mais à Marcouilles…
— À Marcouilles ?? Mais heu… à Marcouilles le Haut ou à Marcouilles le Bas ??
— Ben à Marcouilles le Bas, à Marcouilles le Haut y’a pas de…
— Oui bon ben ok. Mais dis-moi, comment ça peut bouchonner à Marcouilles, y’a que deux maisons…
— Oui mais elles sont de chaque coté de la route, et la moissonneuse elle s’est coincée dedans.
— Entre les deux maisons tu veux dire ??
— Ben oui. Et c’est bizarre pasque l’année d’avant, c’étaient les mêmes maisons et la même moissonneuse et ça s’est pas coincé.
— Et c’est aussi la même quantité d’alcool que l’année d’avant qu’il a bue le Popeye qui conduit l’engin ??
— Mon père a dit qu’il téléphonait au volant…
— Ah ça, faut pas téléphoner quand on conduit une moissonneuse. En même temps, tant qu’il ne conduit pas un Bœing. Et c’est resté coincé longtemps ??
— Ben oui, pisque y’a même un journaliste qu’est venu faire une photo pour le journal…
— Tu m’étonnes, un bouchon à Marcouilles, il tient son scoop le gugusse…
— Mais mon père il a dit que c’étaient bien les journalistes ça, suffit qu’on fasse un pet de travers pour qu’ils viennent nous renifler le cul…
— C’est pas faux… faudrait nuancer un peu c’est sûr… mais c’est pas faux. Bon sinon, tu vas nager un peu ??
— …
— ???
— …
— Tu sais nager ??
— … Ben quand j’ai pied ça va, mais quand j’ai plus pied, l’eau elle me recouvre…
— Tu coules quoi…
— Ben je sais jamais comment respirer, alors je respire que de l’eau, et ça me noie…
— Ah ouais c’est emmerdant, respirer c’est quand même la base du truc… le truc de la vie même…
— Mais cet été mon cousin y va m’apprendre, il sait nager lui, mais que sur le dos…
— Ben c’est déjà ça.
— Oui mais on voit pas quand on arrive, alors des fois on se tape la tête par derrière…
— C’est tout le problème du dos, mais la vie est mal faite Bourzig, je te l’accorde… Et y vient d’où ton cousin ?
— De Vrillette.
— De Vrillette ?? Mais heu… de Vrillette le Haut ou de Vrillette le Bas ??
— Ah non mais m’sieur à Vrillette, y zont pas de haut ni de bas là-bas.
— Ah ok, peuchère…

Les 6e4 par vent contraire

classe— Le prochain que je choppe…

Voilà.

Les données du problème sont clairement établies, les enjeux explicites, il s’agit là d’une pédagogie de haut niveau, on peut même parler de « must » en la matière. Mais tu n’es point étonné cher lecteur car telle est ta quête en visitant ce blog, t’enivrer de ma science et te parer des oripeaux de mon alter-pédagogie pour enfin parader coiffé du béret de la certitude en agitant les moufles de la félicité.

(Ce qui te donne l’air plutôt con, mais c’est ton choix, je le respecte.)

Mais dans quel contexte particulièrement sordide est-on contraint à une telle parade ??

Une minute je te prie cher lecteur, je viens de rentrer, le temps d’une petite bière, et je suis à toi, y’a pas le feu au lac non plus, et tu connais ma devise : « doucement le matin, et l’après midi pour récupérer ».

Ce matin-là, Bourzig arborait fièrement son tee-shirt de l’OM, et comment ne pas être saisi d’une bouffée de vanité entiché d’un tel accessoire, tee-shirt dont le rêve secret était de rencontrer une machine à laver, comme ça, un soir, dans un bar, Bourzig donc, fit part à ma cohorte de 6e4 d’une trouvaille particulièrement hilarante dont voici le détail.

Bourzig, et vous reconnaîtrez là sa propension à la discrétion tapageuse et roborative, se livrait à un exercice hautement poilant qui consiste à se glisser une main sous l’aisselle, puis à lever l’épaule et ensuite la rabattre brusquement, provoquant une fuite brutale d’air accompagnée d’un bruit assez proche de celui du pet. Je précise que c’est le bruit qui rend l’exercice charmant, la fuite d’air étant généralement ignorée sauf par les passionnés de mécanique des fluides dont je suis. Tu imagines bien cher lecteur que devant l’Extraordinaire la fête battait son plein en 6e4. Et chacun de se congratuler et deviser bruyamment du comment du pourquoi Bourzig pouvait réaliser un tel miracle : imiter le bruit d’un pet avec un simple bras et une vague épaule.

Mais Bourzig, non content d’exalter l’effectif par ses prouesses, se fit honneur d’en enseigner les rudiments aux nombreux volontaires qui se manifestèrent, sans doute poussés par le souffle de l’aventure. Et de voir ainsi Bourzig dans le rôle d’un enseignant, je dois à la vérité de le dire, mon cœur en battit la chamade. Seules quelques joliesses haussèrent les épaules, mais pas pour les mêmes raisons, devant l’obscénité. Mais ne purent s’empêcher d’émietter quelques sourires, car comment résister à la puissance humoristique d’un pet, même imité de façon trivial ??

Pour pimenter la chose, les compères crurent bon d’ambiancer ma séance du jour par quelques déflagrations du plus bel effet qui ne manquèrent pas d’esclaffer l’auditoire. Ainsi chacun s’adonnait, y allant de sa note, les plus graves étant clairement, pour l’effectif, les plus amusantes.

Personnellement, je n’ai pas d’avis sur la question.

Mais que faire ??

Une fois ça va, me dis-je, ce n’est pas bien méchant. Telle est notre jeunesse qui fut aussi la notre. Car je fus jeune moi aussi, bien que cela n’apparaisse pas à première vue.

La première fois donc, dis-je, ma bienveillance l’emporta sur la stricte règle de la bienséance.

Mais curieusement, allez savoir pourquoi, à la vingtième fois je changeais soudain d’avis, et fus à deux doigts de m’emporter avec tout ce que cela induit d’effets visuels spectaculaires, yeux exorbités, teint cramoisi-vert, regard gravement divergent, etc. Mais sans doute que tous ces vents firent trop plier le roseau qui est en moi, d’autant que les bourrasques se produisaient lorsque j’étais de dos, et je trouvais particulièrement hypocrite qu’ils émissent leur pet par derrière.

(Je suis parfaitement conscient à ce stade du récit de la parfaite vacuité de mon propos, de sa vulgarité mitoyenne ainsi que de l’avilissement qui en résulte pour toi lecteur. Aussi je te mets en lien le site du Monde afin que tu puisses t’y réfugier et retrouver un minimum de dignité.)

D’où la phrase d’introduction :
— Le prochain que je choppe…

Effet miraculeux de mon alter-pédagogie, les pets s’envolèrent comme par magie (phrase hautement improbable). D’autant que j’éjectai mon trait suite à un demi tour sur moi-même exécuté à une vitesse tout bonnement ahurissante qui ne fut pas sans rappeler Michael Jackson lorsqu’il était vivant (mort y’a tout de suite moins d’analogies possibles).

Les émetteurs ne pouvaient contester le délit, ni nier. Bien sûr, quelques mains traînaient ci et là sous les tee-shirts béants, les yeux hagards dérivaient du sol au plafond, leur petit air pas futé du tout me réjouit et mon cœur s’envola telle l’hirondelle au printemps.

— M’sieur !! Si vous le choppez le prochain vous lui faites quoi ??
— Bonne question mon enfant.

Mais petite astuce alter-pédagogiste : surtout ne pas répondre.

Entretenir le doute, diffuser subtilement l’angoisse, exhaler le pire, transpirer le mal, mais ne rien dire. Laissez phosphorer leur imagination afin que surgissent dans leur vils esprits les pires craintes : colles en série, contrôles surprise et surprenants, retour dans le pays d’origine, défenestrations massives, ou pire, que je leur narre mon week-end à Perpignan où pour obtenir les faveurs d’une brune et ardente défenseuse des animaux, je dus accepter d’adopter quatre chats non vaccinés, non tatoués, ce qui va me coûter un bras.

Et là ils sont à vous, à point.

Alors la vie peut reprendre son flux, et l’on doit œuvrer maintenant, immerger chacun dans la connaissance, telles des asperges immaculées dans la vinaigrette du savoir.

Rencontre avec les 6e4

panneauCe matin, je me rendais en ville pour boire un p’tit café bien serré, et comme j’avais dix minutes de marche, je me suis dit, et si j’écrivais mes mémoires ??
Et donc je marchais tranquille sur le trottoir, classant mentalement les glorieux épisodes de mon existence dans les divers chapitres de mon œuvre future, lorsque je repère plus loin sur le trottoir d’en face, une classe qui vient dans ma direction. Souvent les profs d’EPS emmènent les gamins au stade qui se trouve à pas loin du collège. Et je reconnais mes 6e4 ainsi qu’une collègue d’EPS et une pionne.

Les gamins sont bien rangés par deux et sages comme tout, méconnaissables quoi. Je continue à marcher pépère comme le dromadaire tout en procédant à la première purge de mon œuvre, et…
– OOOOOH !! C’EST M’SIEUR LE PROF !!!!!

Gaulé.

Je les regarde, sourire poli, sans m’arrêter, mais visiblement la rumeur circule vite et…
– HOUHOU !!!! BONJOUR M’SIEUR LE PROF !!!!

Une vraie clameur.

ils s’arrêtent et se regroupent pour me faire coucou. La collègue d’EPS s’affole, me lance un regard noir, pourtant j’ai rien fait m’dame, et commence à les engueuler. Mais j’t’en foutrais, et vas-y que j’te fais des grands coucous, et que je saute sur place en tirant la langue. Je leur fais signe d’être un poil plus discret et y font :
— VOUS ALLEZ BIEN ???
D’une façon générale moi ça va assez bien, je hoche la tête pour leur en faire part, mais bon j’accélère et j’entends :
— VOUS ALLEZ OÙ ??

Ouais, pasque faut qu’j’vous explique, le respect de votre vie privée, les gamins, y z’en ont juste rien à foutre. Mais bon je réponds au grand dam de ma collègue :
— J’vais m’acheter des croissants !!!
C’est faux mais bon, si y’a moyen de les taquiner un peu hein.
— VOUS NOUS EN DONNEREZ ????
Alors je mets mes mains en porte-voix et je dis :
— NOOOOOON !!!!!
Alors y font :
— BOUUUUUUUUUUH !!!!!

Voilà.

Bon, y s’prennent une bonne avoinée par la collègue, reforment les rangs et reprennent leur chemin.
— AU REVOIR M’SIEUR LE PROF !!!
C’est Bourzig, il a pas pu s’empêcher. Y s’prend une chasse vite fait, baisse la tête, et rejoint la troupe.

Et la prof d’EPS me lance un autre regard noir, mais encore plus, et ben dis donc, que j’me suis pensé, celle-là, sous la couette, ça doit pas être une commode.

Alors on se quitte comme à regrets, snif, mes 6e4, bouuuuuh.

Ah oui au fait, j’en étais où moi, ma biographie, ben voilà, après correction, ça donne ça :

LA VIE PALPITANTE DE CHARLY LE PROF
Chapitre I
Ben, dans l’ensemble, ça s’est pas trop mal passé.
FIN

Sympa non ?
Voilà, ben y’a plus qu’à trouver un éditeur.

6e4 : extrait

fanny_75— Alors mesdemoiselles, ces vacances ??
— M’sieur, faut plus dire « mademoiselle » maintenant…
— Ah bon ?? Et pourquoi ça ??
— Ben j’sais pas, mais faut plus l’dire.
— C’est vrai m’sieur, faut dire « madame » maintenant…
— Ben j’vais quand même pas vous dire « bonjour mesdames », vous avez onze ans !!!
— Ben si.
— Moi m’sieur j’ai dix ans.
— Ben si m’sieur, « madame » c’est pour les filles mariées, et si elles sont pas mariées alors c’est… heu… ah non j’me suis trompé…
— Merci Bourzig.
— Non c’est pour pas qu’on sache si on est mariée pasque ça regarde pas les autres.
— Oui mais j’me doute bien que vous n’êtes pas mariées…
— Oui mais ça vous regarde pas… enfin heu…
— Non mais oh !!! Anaïs ??
— Mais « madame » c’est pour les femmes !! Nous on n’est pas des femmes on est des filles !!
— Ben m’sieur, femme et fille c’est pareil !! C’est juste l’âge qui change !!
— M’sieur, « madame » c’est pour les femmes mariées et les femmes pas mariées c’est « mademoiselle ».
— Merci Bourzig.

Etc.

Bien.

— Bon alors, ces vacances, ça s’est bien passé oui ou merde ???